Changement climatique : Faut-il s’attendre à de plus en plus de microalgues toxiques sur les côtes françaises ?
OCEAN•Lingulodinium polyedra, Ostreopsis, Gambierdiscus… Ces dernières années, les scientifiques de l’Ifremer observent sur nos côtes l’apparition de microalgues toxiques, dont certaines venues des eaux tropicales. Une autre conséquence du changement climatique ?Fabrice Pouliquen
L'essentiel
- Il y aurait près de 100.000 espèces de microalgues, dont 5.000 qu’on connaît très bien. Et parmi celles-ci, 175 sont considérées comme toxiques pour l’Homme ou nuisibles pour la biodiversité marine.
- Ces dernières risquent-elles de proliférer davantage sur nos littoraux dans le futur, sous l’effet du changement climatique ? C’est la question que posait ce mardi l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (Ifremer), qui étudie de plus en plus près ces microalgues.
- Depuis quelques années, cet institut observe l’apparition de microalgues toxiques à des concentrations élevées, dont certaines venues des eaux tropicales. A l’image de l’Ostreopsis.
Des eaux colorées rouge-marron…. Voilà à quoi on repère la présence en grande quantité de la Lingulodinium polyedra, une microalgue toxique qui s’invite de plus en plus au large du littoral sud-breton. « On la sait présente quasiment tous les ans en petite quantité, invisible à l’œil nu, commence Maud Lemoine, biologiste à l’Ifremer et coordinatrice national du réseau de surveillance Rephy-Refytox, chargé du suivi du phytoplancton dans nos eaux. Mais nous avons aussi observé, certaines années, de plus grandes concentrations, de l’ordre de plusieurs centaines de milliers de cellules par litre. C’était le cas en 2003, puis en août dernier, et ces dernières semaines encore. »
Ces pullulations sont appelées bloom ou efflorescences. C’est la première fois qu’elles sont observées deux années de suite sur cette microalgue au large de la Bretagne.
Une microalgue sous étroite surveillance
Inquiétant ? La Lingulodinium polyedra libère la yessotoxine, une toxine qui contaminent les coquillages qui se nourrissent de cette microalgue, puis qui peut avoir des effets indésirables, pour l’instant méconnus, sur ceux qui les consomment. « Pour l’instant, les concentrations sont largement inférieures au seuil réglementaire au-delà duquel l’État peut demander la fermeture d’une zone de conchyliculture », reprend Maud Lemoine.
A l’Ifremer, la Lingulodinium polyedra reste tout de même suivie de près. Ne serait-ce parce que les intoxications ne sont pas la seule conséquence. « Comme d’autres microalgues, la Lingulodinium polyedra pourrit rapidement, consommée par des bactéries marines qui, en se faisant, vont utiliser l’oxygène de l’eau », reprend Maud Lemoine. Le risque est alors celui de l’hypoxie, soit la réduction de la teneur en oxygène de l’eau, dont pâtissent les organismes marins vivants à proximité. A commencer par ceux qui se déplacent trop lentement pour y échapper.
Essentielles à la vie, mais certaines avec un côté face
La Lingulodinium polyedra n’est qu’un exemple de ces microalgues qui se plaisent de plus en plus le long de nos côtes. A l’échelle du globe, il y aurait près de 100.000 espèces de microalgues, « dont 5.000 qu’on connaît très bien », précise Philippe Hess, responsable de l’unité de recherche Phytox*, inaugurée en mars à l’Ifremer pour mieux comprendre le fonctionnement de ces microalgues.
D’un côté, elles sont essentielles à la vie en mer et sur terre. « Elles produisent la moitié de l’oxygène sur la planète et sont à la base de la chaîne alimentaire de l’océan », reprend Philippe Hess. De l‘autre, elles peuvent être toxiques pour l’homme et/ou nuisibles pour la biodiversité marine. Sur ces 5.000 espèces connues, 175 ont ce côté face. « Elles peuvent engendrer des mortalités de poissons ou de coquillages, des problèmes respiratoires ou cutanés chez des baigneurs ou des travailleurs en contact régulier avec la mer, ou encore des intoxications alimentaires via la consommation de coquillages », liste Philippe Hess. Jusqu’à nécessiter la fermeture de zones de baignade ou de production conchylicole. Si bien qu’aux impacts sanitaires et environnementaux, il faut ajouter ceux potentiellement économiques.
L’ostreopsis, des eaux tropicales au Pays basque
Une menace croissante due au changement climatique ? « Nous ne disposons pas de preuves suffisantes pour affirmer qu’il y aura globalement plus de microalgues toxiques sur nos côtes dans le futur, répond Philippe Hess. La situation variera selon les années, avec des régions plus impactées et d’autres épargnées. » En revanche, ces dernières années, les scientifiques de l’Ifremer observent l’apparition de microalgues toxiques, habituellement tropicales, dans les eaux métropolitaines pourtant tempérées.
Un exemple marquant est l’ostreopsis ovata, bien connue des Basques désormais. La toxine qu’elle sécrète, la palytoxine, a provoqué des cas de difficultés respiratoires chez les baigneurs et surfeurs l’été dernier. « Plusieurs plages ont dû être fermées et 800 personnes ont déclaré au centre antipoison du CHU de Bordeaux des symptômes d’intoxication », rappelle Philippe Hess. Rien ne permet de dire que la microalgue fera encore des siennes dans le Golfe de Gascogne, reprend le scientifique. Mais de l’autre côté des Pyrénées, en Méditerranée, l’Ostreopsis ovata est désormais bien installée. « Elle est arrivée au début des années 2000, à la faveur du réchauffement de l’eau, reprend Philippe Hess. Cette présence répétée peut être vue comme un témoin de la "tropicalisation" rapide de cette mer semi-fermée. » Là encore, les baigneurs en font les frais. « Mais nous avons aussi observé des mortalités d’oursins et d’autres animaux vivant sur le fond marin », reprend l’expert.
D’autres microalgues sont dans le collimateur de l’Ifremer. Certaines, là encore, sont déjà dans nos eaux. Comme Dinophysis, présente de la Manche au golfe du Gascogne, et dont la toxine contamine les coquillages, provoquant diarrhées et autres risques sanitaires chez qui les mangent. L’été dernier, 20 événements toxiques la mettant en cause ont été enregistrés en France métropolitaine, engendrant des fermetures d’exploitations conchylicoles. C’était 38 un an plus tôt, 24 en 2019, 36 en 2018… Autrement dit, les années se suivent et ne se ressemblent pas toujours avec ces micro-algues. En revanche, « Dinophysis a la particularité de pouvoir se nourrir par la photosynthèse et en mangeant d’autres microalgues, ce qui la rend très adaptable au changement climatique », raconte Philippe Hess. Autrement dit, on est loin de s’en débarrasser, l’Ifremer prévoyant au contraire des efflorescences au moins jusqu’en 2100, quel que soit le scénario climatique.
En attendant la Gambierdiscus ?
Il est aussi à craindre que de nouvelles microalgues toxiques gagnent nos eaux à l’avenir, toujours à la faveur du réchauffement climatique. Philippe Hess cite la Gambierdiscus, qui doit son nom aux îles Gambier, au beau milieu du Pacifique, où elle est apparue. La répartition géographique de cette microalgue ne cesse de progresser, à la faveur de l’acidification des océans, autre conséquence du changement climatique. « Des cas ont d’ores et déjà été signalés aux Canaries, à Madère, aux Açores, liste Philippe Hess. Et on en trouve aussi, à de faibles concentrations, en Méditerranée. » Dans son sillage, Gambierdiscus apporte la ciguatera, une intoxication alimentaire causée par la consommation de poissons et de fruits de mer contaminée par la toxine de la microalgue. Elle provoque des troubles digestifs, neurologiques et cardiovasculaires. Pas une bonne nouvelle, donc.
Ces proliférations de microalgues toxiques ne sont pas simples, voire impossible à contrer. Tout l’enjeu, en revanche, est d’apprendre à s’y adapter, glisse Philippe Hess. Ce qui implique, en amont, de les surveiller et de les étudier, pour comprendre leur fonctionnement, leurs interactions avec les autres organismes marins vivants, la biodiversité chimique des toxines qu’elles produisent et leurs conséquences sur l’homme et ses activités. C’est tout l’objet de cette nouvelle unité de recherche Phytox.