« Vous pouvez bifurquer »… Des étudiants d’AgroParisTech appellent à fuir les jobs « destructeurs » qu’on leur promet
TRANSITION ECOLOGIQUE•Samedi 30 avril, lors de la cérémonie de remise des diplômes, des étudiants de la prestigieuse école d’agronomie, ont pris la parole pour fustiger leur formation « qui pousse globalement à participer aux ravages sociaux et écologiques en cours »Fabrice Pouliquen
L'essentiel
- Samedi 30 avril, devant plusieurs centaines de leurs camarades de promotion, huit élèves d’AgroParisTech ont profité de la cérémonie de remise de diplômes de leur école pour délivrer un message critique sur leur formation.
- « Nous sommes plusieurs à ne pas vouloir faire mine d’être fières et méritantes d’obtenir ce diplôme à l’issue d’une formation qui pousse globalement à participer aux ravages sociaux et écologiques en cours », fustigent-ils.
- Ce discours s’inscrit dans la lignée d’autres prononcés ces dernières années par des étudiants français invitant leurs écoles et leurs futurs employeurs à accorder une plus grande importance aux enjeux environnementaux.
On peut sortir d’AgroParisTech et ne pas en être fier. C’est en tout cas le sentiment exprimé par huit élèves de la prestigieuse école d’agronomie française, lors de la cérémonie de remises de diplômes, qui s’est tenue samedi 30 avril à Paris. « Nous sommes plusieurs à ne pas vouloir faire mine d’être fières et méritantes d’obtenir ce diplôme à l’issue d’une formation qui pousse globalement à participer aux ravages sociaux et écologiques en cours », attaquent-ils d’emblée dans un discours de sept minutes au vitriol contre leur école, devant plusieurs centaines de jeunes diplômés.
« Vous n’êtes pas les seuls à trouver qu’il y a quelque chose qui cloche »
Ils regrettent qu’AgroParisTech « forme chaque année des centaines d’élèves à travailler pour l’industrie de diverses manières ». Des bonnes et des moins bonnes, à leurs yeux. Comme « trafiquer en labo des plantes pour des multinationales qui asservissent toujours plus les agricultrices et les agriculteurs : concevoir des plats préparés et des chimiothérapies pour soigner ensuite les malades causées, inventer des labels « bonne conscience » pour permettre aux cadres de se croire héroïques en mangeant mieux que les autres, développer des énergies dites « vertes » qui permettent d’accélérer la numérisation de la société tout en polluant et en exploitant à l’autre bout du monde », énumèrent-ils.
Très vite, ces étudiants invitent leurs camarades de promotion à changer de voie, en s’adressant « à celles et ceux qui doutent ». « Nous voulons vous dire que vous n’êtes pas les seuls à trouver qu’il y a quelque chose qui cloche, car il y a vraiment quelque chose qui cloche », dit l’une d’entre eux, avant de poursuivre : « Nous avons douté, et nous doutons parfois encore. Mais nous avons décidé de chercher d’autres voies, de refuser de servir ce système et de construire nos propres chemins. »
« Vous pouvez bifurquer maintenant »
« Vous pouvez bifurquer maintenant », concluent ces étudiants avant de quitter l’estrade sous les applaudissements. La vidéo, postée mardi sur YouTube, a fait mouche et affiche plus de 192.000 vues au compteur, bien aidée sans doute par le leader de La France insoumise Jean-Luc Mélenchon qui l'a partagée sur son fil Twitter.
Surprise par le retentissement médiatique de la vidéo, Delphine, l’une des étudiantes d’AgroParisTech à avoir participé à la préparation de ce discours, espère désormais qu’on n’en restera pas à « ce simple buzz ». « Cela reste facile de partager et commenter un discours sur les réseaux sociaux, mais ce qu’on espère est que des étudiants se détournent concrètement de ces jobs destructeurs de l’environnement, qu’ils trouvent chacun leur façon de bifurquer. »
Ce n’est pas la première fois, en tout cas, que des étudiants profitent d’une cérémonie de remise de diplômes pour inviter au sursaut écologique de leur école, de leurs futurs employeurs et de leurs camarades de promotions. Fin 2018, Clément Choisne, élève à l’école Centrale de Nantes, avait aussi, par exemple, marqué les esprits. « Il y a des choses qui ne sont jamais remises en cause dans nos études d’ingénieur », expliquait le jeune diplômé, en citant notamment « le modèle qui crée des élites qui devront trouver des solutions sans jamais se demander si les solutions que l’on trouve sont pérennes, durables et égalitaires pour la société ». Son discours, lui aussi posté sur YouTube, affiche 370.000 vues. Plus de 33.000 étudiants, essentiellement de grandes écoles, ont aussi signé à ce jour le manifeste « Pour un réveil écologique » publié en septembre 2018 et dans lequel ils se disent prêts « à questionner [leur] zone de confort pour que la société change profondément », quitte à se détourner des grandes entreprises auxquelles leurs formations les prédestinent souvent.