Sécheresse : « Il est urgent de travailler à une meilleure gestion des sols », selon l’hydrogéologue Florence Habets
INTERVIEW•L’été n’a pas commencé que le déficit de pluie se fait déjà ressentir dans la plupart des régions françaises. Comment faire face à cette sécheresse ? L’hydrogéologue Florence Habets répond à « 20 minutes »Propos recueillis par Fabrice Pouliquen
L'essentiel
- Le déficit de pluies se ressent dans la plupart des régions françaises et le bas niveau des cours d’eau et des nappes phréatiques inquiète déjà, en particulier dans le sud-est de la France.
- Une sécheresse précoce que la France a déjà connue par le passé, mais qui pourrait devenir habituelle à l’avenir. « Toutes les projections convergent vers ce point, le changement climatique implique plus de sécheresses », rappelle Florence Habets.
- Or, nous y sommes plus vulnérables que par le passé, insiste l’hydrogéologue qui pointe un chantier urgent : celui de mieux gérer nos sols… Et pas seulement agricoles.
Quinze départements sont déjà touchés par la sécheresse, dont dix ont déjà dépassé le seuil d’alerte. Et la situation devrait se dégrader encore cette semaine alors que Météo-France prévoit un épisode de forte chaleur sur tout le territoire.
Pas rassurant à un mois et demi de l’été. Est-ce un avant-goût de ce qui nous attend à l’avenir ? L’hydrogéologue Florence Habets, directrice de recherche au CNRS, au Laboratoire de géologie de l’Ecole normale supérieure, répond à 20 Minutes et aborde les pistes de solutions.
Depuis le début de l’année, il manque 35 % de précipitations sur l’ensemble du pays, alertait Météo-France, dimanche soir. La situation est-elle inédite en France ?
Si on regarde dans le passé, on trouvera toujours des années où la situation était plus détériorée encore à cette période de l’année. La France a par exemple, connu de très grandes sécheresses en 1946, puis encore en 1976 ou en 1989-1990. Cette année, on observe déjà une sécheresse très étendue, au sortir d’un hiver sec au cours duquel de nombreuses nappes phréatiques ne se sont pas du tout rechargées. C’est le cas par exemple, dans les plaines alluviales du Var (vers Nice) ou en région Poitou-Charentes où les niveaux des nappes sont aujourd’hui très bas. Surtout, non seulement l’hiver a été sec, mais les prévisions saisonnières annoncent encore du chaud et du sec comme le scénario le plus probable pour les semaines à venir.
Faut-il s’attendre à ce que ces épisodes de sécheresse, précoces, deviennent habituels avec le changement climatique ?
Clairement, le changement climatique conduit à plus de sécheresses. Toutes les projections convergent vers ce point. Certaines régions seront plus touchées que d’autres. En Europe, par exemple, on s’attend à un nord plus pluvieux et un Sud, à l’inverse, plus sec. En particulier sur le pourtour méditerranéen, où l’assèchement en cours est comparable à celui observé dans le golfe du Mexique ou la Californie. Mais d’une, on ne sait pas très bien encore où sera cette frontière entre ces deux Europe (la France sera-t-elle intégralement dans celle du sud ?), ni si cette frontière sera nette d’ailleurs. Surtout, ce n’est pas parce que certaines régions pourraient avoir plus de pluies à l’avenir qu’elles seront à l’abri des sécheresses. Le changement climatique se traduit aussi par un air de moins en moins humide et des températures plus élevées, ce qui accroît l’évaporation. Autrement dit, même là où il pleut beaucoup, il faut s’attendre à ce que l’eau reste moins dans les sols, moins dans les lacs… Il reste donc encore des incertitudes sur les niveaux de sécheresses auxquels nous serons exposés en France à l’avenir. Une certitude, en revanche : nous y sommes aujourd’hui bien plus vulnérables que par le passé.
Comment expliquer cette plus forte vulnérabilité ?
En France, nous sommes certes parvenus à baisser la consommation d’eau domestique par rapport au début des années 2000 [autour de 148 litres d’eau par jour par Français contre 165 en 2004]. Mais cette consommation reste supérieure à celle de 1976 [105 litres]. Surtout, la population française a augmenté. Depuis 1976 toujours, la surface de cultures irriguées s'est aussi accrue*, peut-être peu depuis les années 2000, mais beaucoup en revanche depuis 1976. L’agriculture est le principal consommateur d’eau en France**. En face, nous avons aussi une qualité de l’eau pas toujours optimale en France, ce qui nous prive d’une partie de la ressource en eau. Près de 15 % des captages en eau potable sont fermées aujourd’hui à cause de pollutions par les nitrates [imputées à l’agriculture intensive].
A-t-on suffisamment conscience de cet enjeu de la raréfaction de la ressource en eau ?
Non, comme pour le climat, malgré l’accumulation de signaux d’alerte, le message n’imprime pas. Les conclusions du Varenne agricole de l’eau [grande consultation lancée par le gouvernement pour tendre vers une meilleure gestion de l’eau dans ce secteur], rendues le 1er février, sont plutôt décevantes. Certes, le rapport intègre des solutions qui permettraient de mieux gérer la ressource à l’avenir, mais le gouvernement, le ministère de l’Agriculture surtout, a surtout retenu l’idée qu’il va falloir à l’avenir stocker plus d’eau pour l’agriculture.
Via des projets de création de retenues d’eau pour usage agricole comme celui des seize bassines qui agite en ce moment la Sèvre niortaise ?
Oui, ces retenues [des réservoirs de plusieurs hectares qui visent à un meilleur stockage des eaux de pluies, notamment hivernales], sont la principale solution mise en avant. Sans dire qu’il faut arrêter totalement l’agriculture d’irrigation, il est urgent en revanche de décider collectivement de ce que nous jugeons prioritaires à irriguer et comment nous menons ces cultures. Avec ou sans produits phytosanitaires, par exemple ? Aujourd’hui, les projets de retenues se multiplient France, financés en partie par de l’argent public, sans qu’il y ait cette réflexion en amont. C’est sans doute dans la Sèvre niortaise, autour de ces seize bassines, que la concertation a été la plus poussée à ce jour. Mais c’est loin d’être parfait. Le projet reposait notamment sur un protocole d’accord, dans lequel les agriculteurs qui bénéficieront de l’eau de ces bassines s’engageaient à revoir leurs pratiques dans le but de moins consommer d’eau et d’en préserver la qualité. Or, dans les premiers contrats signés, le compte n’y est pas sur ce volet « qualité » avec peu d’engagements d’agriculteurs à réduire leurs produits phytosanitaires par exemple.
Quelles solutions peuvent être développées en France pour réduire l’impact des sécheresses ?
Il faut se pencher sur nos pratiques agricoles. Se demander ce qu’on cultive, ce qu’on irrigue, certaines espèces étant moins gourmandes en eau que d’autres. L’urgence est aussi de travailler à une meilleure gestion des sols pour leur permettre de mieux stocker l’eau et faciliter son transfert vers les nappes phréatiques. Tout un panel de solutions existe, notamment dans l’agroécologie, l’agroforesterie, le bio. C’est planter des haies, des arbres, apporter de la matière organique dans les sols, y laisser les résidus de cultures pour les couvrir, réduire le labour…
Mais tout ne se limite pas à l’agriculture. Travailler à une meilleure gestion des sols implique aussi de se pencher sur l’aménagement urbain. Il nous faut rendre les villes plus perméables, en privilégiant d’autres matériaux que le béton, en laissant plus de place à la nature en leur sein. Un autre enjeu majeur est de réduire drastiquement l’artificialisation des sols [ce grignotage de terres agricoles et milieux naturels au profit de routes, maisons, commerces]. On s’est fixé, en France, un objectif de zéro artificialisation nette en 2050, que nous sommes encore très loin d’atteindre. Enfin, en tant qu’individu, nous avons encore fort à faire pour réduire nos consommations d’eau. Il ne s’agit pas seulement de passer moins de temps sous la douche, mais aussi se pencher sur notre alimentation ou les vêtements et autres biens qu’on achète et dont la fabrication est aussi, bien souvent, gourmande en eau**.