Bouches-du-Rhône : A Jouques, la course contre la montre pour sauver une rivière de la sécheresse
RECHAUFFEMENT CLIMATIQUE•A Jouques, le Réal est en alerte sécheresse, et les habitants craignent que la rivière d’autrefois se tarisse en raison du réchauffement climatiqueMathilde Ceilles
L'essentiel
- A Jouques, le Réal a été placé en alerte crise sécheresse depuis le mois d’avril.
- La situation inquiète le maire et les habitants, qui craignent de voir disparaître de la carte cette rivière emblématique de ce village provençal.
- Les conséquences de cette sécheresse sont très concrètes, que ce soit pour les agriculteurs, les pêcheurs ou simplement les riverains.
Pierre Gorris vit depuis toujours à Jouques. Soixante-dix années passées dans ce petit village de l’arrière-pays provençal, à une demi-heure d’Aix-en-Provence, dans les Bouches-du-Rhône. Presque autant à tâter pendant des heures la truite dans le Réal, la rivière autour de laquelle le village s’est construit.
Mais cette année, alors que le temps est au beau fixe, avec une vague de chaleur qui balaie la France, les cannes du président de la société de pêche de la petite commune restent désespérément au placard. Pas à cause du manque de poissons : habituellement, une fois la saison ouverte, la société des pêcheurs jette régulièrement des truites dans le lit de la rivière. Non, le problème se trouve ailleurs, et a pour cause le réchauffement climatique.
Quatre jours de pluie
« Après le premier lâcher, qu’on a fait juste avant l’ouverture de la saison en mars, on a retrouvé plusieurs truites mortes, se désespère Pierre Gorris. Pour elles, ce n’est pas possible, parce qu’il n’y a pas assez d’eau. Il n’y a que cinq centimètres de fond. Elles restent coincées à des endroits, et par manque d’oxygénation, elles meurent. Le débit est trop faible, malheureusement. On s’amuse même pas. En un week-end prolongé, on a vidé le Réal. Et on a renoncé à faire les deuxièmes et troisièmes lâchers prévus. »
Depuis le mois d’avril, le bassin du Réal de Jouques est sous le coup d’un arrêté préfectoral, qui a placé la rivière en situation de « crise sécheresse ». Depuis le début de l’année 2022, il n’a plu que quatre jours dans la petite commune provençale. « Et encore, c’est pas des grosses pluies, se désole le maire de la commune, Eric Garcin. Samedi, il a dû pleuvoir deux heures, pas plus. Il n’y a plus d’eau dans le Réal. Quand j’étais enfant, on se baignait dans la rivière en plein été. D’année en année, la situation est de plus en plus difficile. On a peur que la rivière disparaisse. On craint pour la biodiversité : il y a des truites sauvages, mais aussi des castors et des ragondins. C’est la première fois qu’un arrêté préfectoral intervient aussi tôt. Et j’ai l’impression que la période va s’agrandir, et qu’à un moment donné, on sera en crise toute l’année. »
« La situation est catastrophique »
« La fédération de pêche a fait des mesures, abonde Pierre Gorris. Elle a enregistré un débit d’eau de 70 litres par seconde. Normalement, c’est 3 mètres cubes par seconde, voire 5 mètres cubes en période hivernale. Là, c’est grave. La situation est catastrophique. » Les conséquences pour les habitants sont d’ores et déjà palpables. « Il y a beaucoup moins de jardins, constate Pierre Gorris. Avant, sur la bordure, il y en avait peut-être 200 ou 300.On a recensé 320 riverains, et 70 pompes. Maintenant, les jardins sont beaucoup plus petits, et il est interdit de pomper. »
L’arrêté préfectoral réduit de plus drastiquement l’usage de l’eau. « Il est interdit de laver sa voiture, rappelle Eric Garcin. Il faut aller à côté, à Pertuis, pour cela. Les gens qui ont des piscines et qui l’avaient vidé avant l’arrêté ne peuvent plus la remplir. Les autres peuvent juste la remettre à niveau. Et puis, il y a des conséquences pour la trentaine d’agriculteurs de Jouques. »
Pas d’arrosage pour les agriculteurs
Eric Garcin change alors de casquette, lui qui possède trente hectares sur la commune. « Je cultive de la lavande et j’ai aussi des oliviers en bord de rivière, explique-t-il. Avant, j’arrosais avec le Réal. Aujourd’hui, je ne peux plus le faire. Il n’y a pas assez d’eau, et puis, de toute façon, je n’ai plus le droit. L’arrosage est interdit par l’arrêté jusqu’au mois d’octobre la journée. A cause de cette situation, je fais une seule récolte, au lieu de trois dans l’année. »
A la moindre incartade, la police de l’eau peut sévir, et une contravention de 1.500 euros peut être dressée. « Les gens de Jouques qui auront des pelouses toutes vertes en plein mois d’août auront des soucis, je pense », pronostique l’édile. Face à la sécheresse inexorable, la mairie s’organise, en sensibilisant par exemple les habitants de Jouques aux bienfaits du paillage pour cultiver leurs potagers sans trop consommer d’eau.
« Il faut faire prendre conscience du côté précieux de cette rivière, lance Eric Garcin. Je suis persuadé qu’on peut sauver le Réal. Mais pour ça, il faudrait peut-être arrêter de prélever les ressources pour remplir les piscines et arroser des pelouses. Un jour, j’ai entendu une phrase qui m’a marqué. "Il faut faire attention à la nature, pour pas que nos enfants aient honte de leurs ancêtres." Il y a eu peut-être des générations qui n’ont pas fait très attention. Mais aujourd’hui, on ne peut pas dire qu’on n’est pas au courant. » Aucune goutte de pluie n’est annoncée pour les prochains jours à Jouques, avec des températures qui avoisineront les 28 degrés.