Gironde : Un vignoble-forêt a fleuri au milieu de la monoculture bordelaise
AGROFORESTERIE•Le domaine Emile Grelier, planté d'arbres fruitiers, de feuillus et parsemés de nichoirs à oiseaux et chauve-souris ne ressemble à aucun autreElsa Provenzano
L'essentiel
- Le domaine girondin Emile Grelier est l’un des pionniers de l’agroforesterie en viticulture avec près d’un millier d’arbres.
- Ses pieds de vigne s’en trouvent protégés des parasites et les rangs sont moins exposés aux canicules, les arbres jouant un rôle de « climatiseurs ».
- Son gérant, Benoît Vinet, estime que l’agroforesterie est à présent « en vogue » chez les viticulteurs, notamment grâce à la crédibilité apportée par la conversion du prestigieux Château Cheval Blanc.
Le saviez-vous ? A l’origine, la vigne est une liane forestière. Et sur son domaine viticole de huit hectares, Benoît Vinet la laisse renouer en partie avec son penchant naturel, en plantant des arbres… Il est l’un des pionniers de l’agroforesterie en viticulture avec près d’un millier d’arbres, trois quarts de fruitiers et un quart de feuillus, planté sur son domaine Emile Grelier à Lapouyade, en Gironde. Une exception au pays de la monoculture bordelaise, où se succèdent des plaines de pieds de vignes à perte de vue.
Il a mis en terre ses premiers arbres en 2008 dans une allée et aujourd’hui, les vignes des rangs placés sous ces pruniers, poiriers et pommiers, ont grimpé jusqu’aux branches de ces fruitiers. Une future tonnelle végétale s’annonce et le vigneron prépare même une cuvée spéciale « raisins dans les arbres ». Il ne s’agit pas de créer une canopée végétale sur tous ces rangs de vignes, qui produirait trop d’ombrage, mais plutôt d’expérimenter les interactions entre vignes et arbres.
Moins de parasites sur la vigne, et des gains financiers
« L’idée c’est de créer un vignoble durable et résilient aux attaques d’insectes, au changement climatique », livre Benoît Vinet. Et son pari est déjà en partie réussi. Côté biodiversité : lièvres, oiseaux, serpents, hérissons, batraciens et chauves-souris ont élu domicile sur son domaine. En attendant que les arbres grandissent, une cinquantaine de nichoirs à oiseaux a été installée pour leur servir d’abris et, des mares ont été creusées pour que les animaux puissent y boire et les batraciens s’y reproduire. Prévenant, le viticulteur enlève une plaque à serpent au bout d’un rang, qui les protège des rapaces, avant le passage d’un petit tracteur.
« On régule très facilement tous les parasites, comme les vers de grappes, les cycadelles, même les escargots et les limaces alors qu’en bio ça peut être compliqué, constate Benoît Vinet. Cela ne fonctionne pas pour les maladies cryptogamiques (mildiou et oïdium), mais j’ai de l’espoir que cela s’améliore avec la densité de plantation d’arbres ». Pour y parvenir, il envisage aussi de revenir à des cépages plus anciens, alors que son domaine est quasiment entièrement planté de Merlot.
Les arbres jouent aussi un rôle de brise-vent particulièrement ravageur sur la vigne, en cas de canicule. « La transpiration des arbres nous fait espérer une sorte de climatisation dans les vignes, pointe le viticulteur. On gardera nos merlots un peu plus longtemps qu’ailleurs, peut-être… » Et le domaine récolte aussi les fruits financiers de son choix agroforestier. « On est partis de rien, notre première bouteille en vente directe c’était en 2014, raconte-t-il et aujourd’hui, on a plus de 300 revendeurs en France (cavistes, épiceries fines, magasins bios). Une telle percée à Bordeaux s’explique par cette histoire particulière ».
Des vendanges adaptées
Sur les rangées de vignes où se trouvent des arbres, on vendange forcément à la main. « Je taille très court de manière à avoir de petites grappes, pour qu’elles occupent 100 % du linéaire et obtenir une grande concentration aromatique », livre le vigneron. Le reste est vendangé mécaniquement. Et historiquement, c’est d’ailleurs l’arrivée des tracteurs puis des machines à vendanger qui a uniformisé le relief des exploitations viticoles.
« Cela ne demande pas plus de travail dans les vignes qu’un vignoble classique mais il faut entretenir les arbres et récolter leurs fruits », décrit le vigneron. L’an dernier, le domaine, dont 5 à 10 % des arbres sont rentrés en production, a commercialisé ses premiers fruits (prunes, pommes, poires, abricots et cerises). Signataire d’une charte avec le conservatoire des espèces végétales, il abrite 50 variétés de pommiers différentes, 35 poiriers et une vingtaine de pruniers. Des races plus rustiques et plus résistantes aux maladies.
Il y a vingt ans, après avoir acquis cette prairie bordée de forêt, il a commencé à planter des vignes en agriculture biologique, comme ses parents l’ont fait en Charente dès les années 1980. Il sollicite alors un naturaliste pour faire un diagnostic sur le site qui lui apprend que malgré la réduction des intrants chimiques, la biodiversité n’y est pas très riche. C’est un choc pour le vigneron et sa femme, Dephine. Et c’est à ce moment-là qu’ils décident de tenter de recréer un écosystème complet, en plantant des arbres. Si certains ont pu se montrer sceptiques au départ, « aujourd’hui, personne ne se permettrait de remettre en cause ce qu’on met en place, on nous écoute facilement », constate Benoît Vinet.
Un laboratoire à ciel ouvert
Des chercheurs de différents instituts (Inra, Biosphère et Vitinnov) se sont succédé sur le vignoble, l’un des premiers à s’installer en agroforesterie avec le Château d’Esther, à Saint-Loubès. Et le vigneron commence lui aussi à devenir spécialiste : « On sait que beaucoup de choses se jouent au niveau des mycorhizes, précise-t-il. Celles de la famille des endomycorhizes sont plus favorables à la vigne ». Traduction : il n’est par exemple par recommandé de planter du chêne pédonculé dans les vignes mais de privilégier des arbres à pousse rapide. Il teste encore des cohabitations mais commence à maîtriser son sujet : « Tous ces arbres qui sont des feuillus je les taille en trogne (taille radicale) pour éviter un effet ombrage qui pourrait être préjudiciable à la vigne. »
L’an dernier, le vignoble a accompagné une dizaine de projets en Nouvelle-Aquitaine, dans le cadre du programme de plantations de haies piloté par France Relance. Le domaine est aussi régulièrement ouvert au public pour des balades à thèmes.
Il y a quelques jours, des vignerons du Portugal et de l’Autriche sont venus visiter le site. Et, des projets émergent en Dordogne ou en Charente notamment. « L’agroforesterie est en vogue dans le monde viticole, estime le vigneron. Depuis que le Château Cheval Blanc y est passé l’an dernier, cela a apporté de la crédibilité. »