Guerre de l’eau : Dans la Sèvre niortaise, la bataille des bassines à son paroxysme ce week-end ?
Agriculture•Dans cette partie du marais poitevin des agriculteurs veulent construire seize retenues d’eau de plusieurs hectares chacune. Un accaparement inacceptable dénonce « Bassines non merci » dont le combat a un écho de plus en plus national. La preuve ce week-end ?Fabrice Pouliquen
L'essentiel
- Un bal en guise d’ouverture ce vendredi soir, une grande marche samedi midi, comme point culminant, et puis des assemblées et débats le dimanche matin… La Rochenard, bourg des Deux-Sèvres, accueille ce week-end le Printemps maraîchin.
- Ambiance festive, mais déterminée aussi. Ces trois jours visent avant tout à retrouver les grandes mobilisations de l’automne contre le projet « des méga bassines », ces retenues d’eau que veulent construire 220 exploitations agricoles de la Sèvre niortaise.
- Une fuite en avant dans l’agriculture intensive dans une région où l’eau vient à manquer chaque été, fustigent les opposants. Ils veulent faire de cette querelle des bassines la mère des batailles, alors que des projets similaires sont dans les cartons ailleurs en France.
A RELIRE : Alors que les tensions sont vives autour des réserves d'eau dans les Deux-Sèvres, « 20 Minutes » vous propose de relire cet article de mars 2022 sur le sujet.
De Lyon, de Lille, de Besançon, de Paris, de Toulouse… Au total, Julien Le Guet, du collectif « Bassines non merci » compte quinze cars de toute la France auxquels doivent s’ajouter des cortèges de tracteurs venus des départements voisins. Tout ce monde doit converger à La Rochénard, dans les Deux-Sèvres. La commune (500 âmes) accueille à partir de ce vendredi soir le Printemps maraîchin, trois jours d’un grand rassemblement à l’appel d’une cinquantaine d’organisations (associations, syndicats, partis…) contre le projet « des méga bassines » qui agite depuis plusieurs années déjà le bassin de la Sèvre niortaise.
Le territoire, à cheval sur trois départements (Deux-Sèvres, Charente, Vienne) est au cœur du marais poitevin, deuxième zone humide de France et où pourtant l’eau vient à manquer désormais chaque été. Pour faire face, 220 exploitations agricoles réunies dans la Coop de l'eau 79 veulent construire seize réserves d’eau à vocation agricole, de plusieurs hectares chacune. Des « méga-bassines » qualifient les opposants, des « retenues d’eau » disent les porteurs de projet.
Une marche samedi matin sous haute tension ?
La bataille n’est pas seulement lexicale, elle est aussi sur le terrain, à coups de grandes mobilisations comme celles de cet automne qui ont réuni jusqu’à 3.000 personnes dans un contexte des plus tendus. Que donnera ce printemps maraîchin ? Julien Le Guet a déjà deux certitudes. « La première est qu’on battra le record des mobilisations à des manifestations anti-bassines, la seconde est qu’on sera sous étroite surveillance policière (lire encadré) », énonce-t-il. En particulier lors de la grande marche du samedi midi, annoncé comme le point culminant du week-end.
Il s’agira de rejoindre Mauzé-sur-le-Mignon, la commune voisine où une première bassine est déjà sortie de terre fin décembre. Son remplissage a commencé dans la foulée en pompant dans la nappe phréatique. Elle l’est aujourd’hui à 85 %. Et la Coop de l’eau souhaite lancer la construction de trois nouvelles bassines à la fin de l’été. Le projet, d’un montant total de 60 millions d’euros et subventionné à 70 % par des fonds publics, devait permettre de stocker initialement 6,9 millions de m². Ça ne devrait plus être que 5,8 millions après que le tribunal administratif de Poitiers, en mai dernier, a demandé de revoir à la baisse le dimensionnement de neuf bassines. « On s’y pliera », indique Thierry Boudaud.
L’agriculteur, président de la Coop de l’eau 79, espère voir les seize bassines achevées d’ici 2026. « Ce projet est vital pour le territoire et au service d’une gestion plus durable de l’eau », plaide-t-il. L’idée est de remplir ces ouvrages l’hiver, au moment où les pluies sont les plus abondantes, pour s’en servir l’été et ainsi moins solliciter les nappes phréatiques dans cette période critique. Une façon de sécuriser les cultures dans une région où on ne peut plus nier la réalité du changement climatique, glisse Thierry Boudaud. « Ces cultures ne sont pas celles d’exploitants lancés dans l’agro-business comme caricaturent nos opposants, complète-t-il. La taille moyenne des 220 exploitations (450 agriculteurs) est de 170 ha et la moitié sont dans un système polycultures/élevage, avec des cultures de céréales qui servent avant tout à nourrir le bétail de l’exploitation. C’est aussi ça l’enjeu de ces bassines : maintenir l’élevage dans la région. »
« De l’ESS à l’envers »
Dans le camp d’en face, le tableau décrit est tout autre. « Il s’agit ni plus ni moins d’un accaparement de l’eau, bien commun, par une poignée d’agriculteurs », pointe-t-on à Bassines non merci. « Sur les 220 exploitations, seules une centaine seront connectées aux bassines, les autres finançant les travaux pour avoir le droit de continuer à irriguer l’été en puisant dans la nappe phréatique, explique Julien Le Guet. C’est de l’économie sociale et solidaire (ESS) à l’envers, les plus petits, ceux qui ont les droits d’eau les moins importants, payant pour les plus gros. » Et pour Bassines non merci, ces 100 fermes connectées sont parmi les plus grandes du territoire, « tournées vers des cultures céréalières en intensif, reprend Julien Le Guet. Du maïs, du blé, du tabac, dédiés le plus à l’exportation. Certaines se tournent vers le marché du CBD. Et on veut nous faire croire que ces bassines vont aider à nourrir le territoire. Est-ce à ça que doit servir l’eau en priorité ? »
La question sera au cœur de ce printemps maraîchin. Elle ne se pose pas que dans la Sèvre niortaise. Dominique Chevillon, vice-président de la Ligue de protection des oiseaux (LPO), compte 93 projets de réserves de substitution sur l’ensemble du marais de poitevin. « Une catastrophe, s’alarme-t-il. Ces réserves prélèveront des volumes d’eau considérables dans les nappes de la région, en supposant que les pluies hivernales les rendront indolores. Pourtant, il n’est plus rare de voir déjà, dans la région, des nappes qui sortent de l’hiver à des niveaux très bas. C’est le cas d’ailleurs cette année. » Derrière, la LPO pointe le risque que font peser ces réserves sur le cycle de l’eau et sa qualité dans le marais poitevin et, par extension, sur la biodiversité elle-même, « déjà mis à mal depuis 50 ans malgré nos efforts », rappelle Dominique Chevillon. « Tout ça pour permettre à l’agriculture intensive de s’ancrer un peu plus sur le territoire », peste-t-il.
Derrière ces bassines, « la question du modèle agricole que nous voulons demain »
C’est bien toute la « pirouette » que dénonce Nicolas Girod, porte-parole de la Confédération paysanne, syndicat agricole. « Plutôt qu’adapter des pratiques agricoles à une ressource qui se raréfie, ces méga-bassines permettent de poursuivre un plus cette fuite en avant dans l’industrialisation de notre agriculture », considère-t-il. En la matière, le Varenne agricole de l’eau n’a pas rassuré Nicolas Girod. La consultation, lancée par le gouvernement pour tendre vers une meilleure gestion de l’eau dans le secteur, a rendu ses conclusions le 1er février. « Elle a fini comme elle a commencé, avec cette conviction de l’exécutif que le stockage massif de l’eau l’hiver, via des projets de retenues, est la réponse ultime au dérèglement climatique », reprend le porte-parole de la Confédération paysanne. A l’été 2020 déjà, Julien Denormandie, ministre de l’agriculture, demandait « à alléger un peu les procédures pour construire ces retenues ». « Des projets de stockage massif sont dans les tuyaux un peu partout en France, reprend Nicolas Girod. En Auvergne-Rhone-Alpes, dans la région Grand-Est, dans la Nièvre… »
De quoi tourner tous les regards vers la Sèvre niortaise où les projets de bassines sont les plus avancés à ce jour. « Ce n’est pas seulement un conflit local entre des citoyens et des agriculteurs, il pose la question du modèle agricole que nous voulons en France », considère Nicolas Girod. « La bataille est cruciale car on sait bien que si ces premiers chantiers vont au bout, les autres suivront », abonde Benoît, des Soulèvements de la terre, mouvement de désobéissance civile qui a rejoint la mobilisation anti-bassines en septembre. Jusqu’à faire de la Rochenard une nouvelle Zone à défendre ? « Ces trois jours de mobilisations festives, politiques, culturelles, sont dans l’esprit de ce qui a pu exister à Notre-Dame-des-Landes », poursuit Benoît.
Des engagements qui ne convainquent pas ?
Une tournure que n’aime guère Thierry Boudaud. Elle s’accompagne d’une radicalisation des actions, regrette-t-il. Il y a eu des dégradations de retenues de substitution inacceptables dans la région, ces derniers mois, Et on craint des nouvelles ce week-end, dans la même veine de l’attaque d’un train de marchandises qui transportait du blé le week-end dernier dans le Morbihan. »
L’agriculteur constate aussi que cette politisation accentue un peu plus encore les caricatures. « Il n’y a pas de fuite en avant dans un modèle agricole intensif dans la Sèvre niortaise, insiste-t-il. Depuis les années 2000, les agriculteurs du territoire sont sur une trajectoire de baisse des prélèvements en eau que les bassines vont permettre de poursuivre. » Le président de la Coop de l’eau renvoie vers le protocole de décembre 2018 signé avec les pouvoirs publics, des associations environnementales et la Coop de l’eau. Le document acte la construction des bassines en échange de quoi les bénéficiaires s’engagent à faire évoluer leurs pratiques. « Une soixantaine d’agriculteurs [ceux concernés par la première tranche de bassines] ont déjà signé leurs contrats d’engagements. Ils sont axés principalement sur la restauration de corridors écologiques (plantation de haies, bandes enherbées…) mais il y a aussi une réflexion lancée sur une baisse de l’utilisation de produits phytosanitaires. »
« Réflexion »… Le terme veut tout dire pour Bassines Non Merci. « Du pur Greenwashing, déplore Julien Le Guet. Sur les quatre associations environnementales qui en faisaient partie initialement, deux l’ont quitté, déçues par le peu d’efforts consentis. ». C’est le cas également de Delphine Batho, présidente de Génération Ecologie, qui a quitté la table du comité de suivi du projet en octobre 2020.