Pourquoi le fonds réparation n’est-il toujours pas en place ?

Conso : Pourquoi le fonds réparation, censé booster cette option en France, n’est-il toujours pas en place ?

ECONOMIE CIRCULAIRELe fonds réparation devait entrer en vigueur au 1er janvier pour les appareils électriques et électroniques. L’idée ? Prendre en charge une partie de la facture de celui qui répare plutôt que remplace. Mais il se fait attendre et l’ambition a été revue à la baisse, disent les ONG
Fabrice Pouliquen

Fabrice Pouliquen

L'essentiel

  • Le « fond réparation » a pour but de prendre en charge une partie de la facture de ceux qui réparent plutôt qu’achètent neuf. Pour l’instant pour les équipements électriques et électroniques.
  • Problème, alors que son entrée en vigueur était attendue début janvier, ça ne devrait pas être avant le 1er juin… au plus tôt.
  • Et ce n’est pas tout : le fonds devait initialement prendre en charge au moins 20 % des coûts estimés de la réparation. Un niveau abaissé à 10 %, au grand dam des ONG.

D’une certaine façon, ce sera les soldes toute l’année… Pas pour acheter neuf, mais pour faire réparer. Des deux options, c’est trop souvent la première, pourtant bien moins écologique, qui l’emporte dans le cœur des Français.

« Les consommateurs renoncent à la réparation lorsqu’elle coûte en moyenne plus de 30 % du prix du neuf », pointe Ronan Groussier, responsable des affaires publiques de l’association Halte à l’obsolescence programmée (HOP). Ce plafond arrive assez vite, d’autant plus que le prix des appareils neufs n’a cessé de baisser ces quinze dernières années, rappelle l 'Ademe dans l'édition 2019 de son étude sur les Français et la réparation.



Un fond réparation qui prendra en charge 10 % de la facture

D’où le « fonds réparation », qui prendra en charge une partie de la facture de ceux qui réparent, faisant ainsi baisser le coût de cette option. Cette mesure de la loi antigaspillage pour une économie circulaire (Agec) de février 2021 doit s’appliquer, pour commencer, aux équipements électriques et électroniques (EEE). Là où les enjeux sont les plus importants. Déjà parce qu’on en a plein la maison. Le Groupement des marques d’appareils pour la maison (Gifam) estimait le parc français à 208 millions d’unités rien que sur le gros électroménager. Soit sept par foyer. Et sur ces équipements, « les trois quarts des émissions qu’ils génèrent sur l’ensemble de leur cycle de vie le sont lors de leur fabrication », ajoute Ronan Gousier.

Concrètement, la réduction accordée prendra la forme d’un forfait fixé en fonction du type de produit, avec un seuil minimum de 10 %, si on s’en tient au dernier décret d’application qui en détaille la réglementation, paru le 31 décembre. Tout consommateur qui se rendra chez un réparateur labellisé pourra en profiter, y compris donc si son appareil n’est plus garanti, et ceci dès le moment du paiement. Ce sera à la charge du réparateur de faire les démarches pour récupérer le montant de la réduction auprès du fonds.

Sur le principe, le dispositif n’est pas sans rappeler le « Coup de pouce vélo » instauré au printemps 2020 pour inciter les Français à réparer leurs bicyclettes et à se remettre en selle dans l’optique du déconfinement. Après plusieurs prolongations, l’opération, qui prenait en charge jusqu’à 50 euros de la facture, a été arrêtée en mars dernier. Elle a bénéficié à 1,3 million de Français et permis 1,9 million de réparations chez 4.371 réparateurs.

« Impliquer les producteurs dans la prévention des déchets »

Le fond réparation pourrait connaître le même succès. Il a en tout cas un boulevard devant lui. « Le taux de réparation des EEE tombant en panne [hors garantie] est seulement de 10 % selon l’Ademe », pointe Ronan Gousier. La loi Agec fixe l ’objectif d’arriver à 60 % d'ici à 2026. Alice Elfassi, responsable des affaires juridiques de Zéro Waste France, association spécialisée dans la problématique des déchets, voit un autre avantage dans ce fonds réparation. « Il ne sera pas abondé par l’État, mais par les industriels qui mettent sur le marché ces appareils », explique-t-elle.

Depuis 2006, la filière EEE est soumise à la Responsabilité élargie du producteur : elle oblige les entreprises du secteur à se doter d’éco-organismes qu’ils financent via une éco-contribution, afin de prendre en charge la collecte et le recyclage des déchets qu’ils génèrent. « Mais ça s’arrêtait là, reprend Alice Elfassi. Ces éco-organismes géraient l’élimination de leurs déchets. Et le fonds réparation acte le principe qu’elles doivent aussi participer à les prévenir, ce qui est la priorité. »

Voilà pour les promesses. Le hic ? Ce fonds réparation devait entrer en vigueur au 1er janvier. Ce n’est toujours pas le cas ce mercredi, et ça ne devrait pas l’être avant le 1er juin… au plus tôt. Le 21 décembre, le ministère de la Transition écologique a estimé que le dossier soumis par les éco-organismes, qui piloteront le fond réparation, n’était pas satisfaisant.

Une ambition diminuée de moitié ?

Un contretemps pas du goût d’Ecosystem, l’un des deux éco-organismes de la filière EEE, qui dénonçait ce report de dernière minute comme une « attitude irresponsable » du gouvernement. « Avec du recul, on peut le comprendre, estime René-Louis Perrier, président d’ Ecologic, le deuxième éco-organisme de la filière. Ce fond est complexe à mettre en place, bien plus que le Coup de pouce vélo. » Pour la première année de fonctionnement, l’État demande à la filière EEE de l’alimenter à hauteur de 20 millions d’euros. « Mais toute la particularité de cette filière est d’avoir deux éco-organismes qui ne représentent pas tout à fait les mêmes entreprises, reprend René-Louis Perrier. Il faut donc créer deux fonds et savoir comment on répartit l’effort financier entre Ecologic et Ecosystem. Ce point n’est pas tout à fait résolu, et ce n’est qu’un exemple. »

Pour René-Louis Perrier, mieux vaut donc prendre un peu plus de temps pour régler ces points techniques. ZéroWaste et HOP ne se formalisent pas non plus, même si Ronan Groussier parle d’un « mauvais signal envoyé ». Mais il y a plus grave pour les deux ONG. « Initialement, la réglementation prévoyait que le fonds réparation prenne en charge au moins 20 % des coûts estimés de la réparation pour les particuliers, rappelle Alice Elfassi. Mais ce seuil a été ramené à 10 %, notamment dans le décret du 31 décembre. » La responsable des affaires juridiques de Zéro Waste France dénonce le lobbying des industriels. « En juin dernier, l’Ademe a publié une estimation du montant qu’il faudrait réunir pour permettre d’atteindre ces 20 %, soit entre 200 et 230 millions d’euros, reprend-elle. Les industriels ont trouvé que c’était trop cher. »

Le montant à réunir est tombé à 102 millions d’euros. Mais la déception ne s’arrête pas là pour Ronan Gousier et Alice Elfassi. « Il est prévu désormais une montée en puissance très progressive, expliquent-ils. Avec donc cette première étape de réunir de 20 millions d’euros pour la première année de fonctionnement. Le cap des 102 millions d’euros n’étant fixé que pour 2027. »

Bientôt aussi les jouets, les articles de sport, de bricolage…

De son côté, le Gifam assure que les fabricants ne sont pour rien dans l’abaissement du seuil de financement. « Une première étude d’impact réalisée en 2019 visait un objectif de 70 millions d’euros à réunir. Le gouvernement a tranché entre cette première estimation et celle de l’Ademe », y explique-t-on. Quant à la montée en puissance progressive du fonds, René-Louis Perrier, à Ecologic, y voit un avantage. « Elle permettra de s’assurer que ce dispositif, très novateur, répond véritablement aux objectifs, explique-t-il. C’est-à-dire cible prioritairement les pannes pour lesquels les consommateurs hésitent le plus à faire réparer et profite à l’ensemble des acteurs de la réparation. »

« Mais à commencer si doucement, le risque est que ce fonds réparation passe totalement inaperçu, s’inquiète Ronan Gousier. Notamment auprès des réparateurs. Ils ne s’empareront pas du dispositif, d’autant plus qu’il leur ajoute du travail administratif, si les réductions sont dérisoires. »

A trop patiner sur les équipements électriques et électroniques, le fonds pourrait finir par prendre son envol ailleurs. Des dispositifs semblables sont en effet prévu, dans le courant de l’année, dans les secteurs des jouets, des articles de sport et ceux de bricolages, pour lesquels viennent de se créer des filières REP. « Cette fois-ci, l’ambition est toujours de prendre en charge un seul minimal de 20 % des coûts de la réparation », se félicite Ronan Gousier.