Nucléaire : Quarante ans après l’abandon du projet de centrale, la lutte de Plogoff reste un modèle
MOBILISATION•En 1980 et 1981, ce village du Finistère s’était soulevé tout entier contre un projet porté par EDFCamille Allain
L'essentiel
- A Plogoff, dans le Sud Finistère, la population s’est soulevée pour exprimer son refus de voir une centrale nucléaire s’installer sur ses terres.
- Ce long combat mené en 1980 et 1981 fait l’objet d’un livre intitulé Plogoff, une lutte au bout du monde, qui retrace le combat des habitants.
- L’arrêt définitif du projet avait été acté en décembre 1981 par un décret paru au Journal officiel.
C’est un modèle de contestation populaire. Un exemple pour de nombreux militants écologistes. Il y a quarante ans presque jour pour jour, la petite commune de Plogoff obtenait ce pour quoi elle s’était soulevée toute entière pendant des mois : l’abandon du projet de centrale nucléaire porté par EDF était abandonné. Le 12 décembre 1981, l’arrêt du projet acté par le nouveau président François Mitterrand (PS) était confirmé par une parution au Journal officiel. La voix du peuple avait gagné.
Pendant près de deux ans, la population de cette petite commune située à deux pas du site sauvage de la pointe du Raz, dans le Finistère, s’est mobilisée pour empêcher la construction d’un réacteur nucléaire. C’est là, tout au bout de la Bretagne, que la mobilisation écologiste obtenait l’une de ses plus belles victoires, bien avant l’abandon de l’aéroport à Notre-Dame-des-Landes ou du barrage à Sivens. Du haut de ses 17 ans, Fanch Le Hénaff y était. Le lycéen qu’il était confectionnait alors des autocollants hostiles au projet. La nuit, ses aînés allaient barrer les routes pour empêcher les forces de l’ordre de circuler. La journée, les femmes prenaient le relais pour harceler les gendarmes en leur parlant pendant des heures.
Quarante ans plus tard, Fanch Le Henaff publie un ouvrage, coécrit avec Gilles Simon et Jean Moalic. Intitulé Plogoff, une lutte au bout du monde, le livre retrace l’histoire de cette contestation née d’un soulèvement populaire auquel la Bretagne n’était pas habituée. « Cet ouvrage est dédié à l’ensemble des gens qui ont contribué à cette victoire », explique l’auteur. Aujourd’hui, beaucoup des grands noms de cette lutte sont morts, mais certains cherchent à faire vivre la mémoire de ce combat féroce entre le petit peuple et le géant du nucléaire français. « Ce n’est pas une nostalgie d’un mai 1968 à la bretonne. C’est le souvenir d’une lutte organisée qui en a inspiré plein d’autres », assure Florent Patron, responsable de Locus Solus, qui édite l’ouvrage.
« C’était des gens ordinaires, ils avaient toujours été obéissants »
Sorti il y a quelques semaines, le livre de près de 200 pages rappelle les grands moments de Plogoff. Des images montrent la population brûlant les documents officiels devant servir à l’enquête publique, les affrontements avec les gendarmes, qui, par miracle, n’ont fait aucun mort, ou encore le « mini-festival » organisé en mai 1980 qui avait rassemblé 100.000 à 120.000 personnes sur ce bout du monde. « Le choix du site de Plogoff a été fait parce que des élus locaux avaient donné leur accord. Mais le procédé n’était pas démocratique, les habitants n’avaient pas été consultés. Ils n’étaient pas tous antinucléaire. Certains habitants avaient même vendu des terrains à EDF. Mais ils se sont soulevés et le tissu associatif s’est organisé. C’est cette mobilisation qui a permis ce renversement », assure l’auteur.
L’an dernier, une version restaurée du film Des pierres contre des fusils avait été projetée au cinéma. Filmé par Nicole et Félix Le Garrec, ce documentaire revient sur les six semaines d’enquête publique pendant lesquelles les forces de l’ordre ont été déployées en masse à Plogoff. Six semaines d’une lutte acharnée contre des gendarmes envoyés au front pour protéger des « mairies annexes » installées dans de vieux Peugeot J7 pour contrer le refus des mairies d’accueillir la consultation. « C’était des gens ordinaires, ils avaient toujours été obéissants, jamais rebelles. Cela montre que l’on peut tous devenir révoltés du jour au lendemain », nous expliquait la réalisatrice lors de la restauration du film l’an dernier.
La lutte contre l’implantation d’unités nucléaires pourrait revenir au galop en France. Emmanuel Macron a annoncé le déploiement de petits réacteurs modulaires pour fournir de l’électricité. « Il n’y a eu aucun débat démocratique sur la question. C’est une décision qui est imposée comme ça, en voulant nous faire passer le nucléaire pour une énergie verte. On a l’impression que l’on revient en arrière », analyse Fanch Le Henaff. Qui acceptera d’accueillir une telle technologie sur ses terres ? Sûrement pas Plogoff.