Pénuries d’électricité : Le charbon a-t-il encore de longues années devant lui ?
ENERGIE•Pour sortir de la crise énergétique qu’elle traverse, la Chine fait tourner ses centrales à plein régime et rouvre des mines. Un choix que d’autres pays font. Le signe que cette énergie, fortement émettrice de CO2, a encore de longues années devant elle ?Fabrice Pouliquen
L'essentiel
- La Chine, déjà premier producteur mondial de charbon, énergie fort émettrice de gaz à effet de serre, est en passe d’augmenter de près de 6 % sa production.
- L’Inde, la Turquie, la Mongolie, le Vietnam, le Pakistan… se sont aussi rabattus sur le charbon ces derniers mois. Une situation conjoncturelle, mais qui témoigne de la dépendance mondiale encore forte à la houille.
- Car si les annonces dans le sens d’une sortie du charbon se multiplient depuis 2015 et le nombre de nouveaux projets d’infrastructures charbonnières diminue, il reste 8.500 centrales au charbon encore en activité. Et de nouvelles à venir.
C’est un mauvais signal à quelques jours de l’ouverture de la COP26 de Glasgow, la grand-messe diplomatique annuelle dédiée à la lutte contre le changement climatique. La Chine, déjà premier producteur mondial de charbon, énergie fort émettrice de gaz à effet de serre, est en passe d’augmenter de près de 6 % sa production, et a même atteint récemment un record de production quotidienne, ont annoncé mardi les autorités chinoises.
Ce n’est pas une surprise. Le 8 octobre, Pékin demandait à 72 mines de charbon de la région de Mongolie-intérieure d’augmenter leur production d’un total de 98 millions de tonnes. Début août, il avait aussi autorisé la réouverture de quinze mines dans le nord du pays. En parallèle, la Chine augmente ses importations. Y compris d’Australie, plus grand exportateur mondial , bien que celles-ci étaient interdites depuis octobre 2020 sur fond de tensions commerciales entre les deux pays, indiquait début octobre le Financial Times.
Juste une pause dictée par un contexte très particulier ?
Tout est donc fait pour que les centrales électriques au charbon chinoises puissent tourner à plein régime, alors que le pays traverse des pénuries d’électricités à répétition qui affectent son économie. Et l'économie mondiale par ricochet.
Ce retour en force du charbon en Chine, dont le mix électrique repose déjà à 60 % sur cette énergie, est en contradiction avec sa promesse, il y a un an, d’atteindre un pic de ses rejets de CO2 avant 2030 et la neutralité carbone en 2060. François Kalaydjian, à la tête de la direction « économie et veille » à l’IFP Energies nouvelles (IFPEN), y voit surtout une pause dans l’atteinte de ces objectifs climatiques « dictée par un contexte tout de même très particulier ». « L’hiver 2020 a été particulièrement froid et long dans l’hémisphère nord, si bien qu’on a puisé plus que d’ordinaire dans les stockages de gaz naturel, commence-t-il. S’est ajouté le redémarrage des économies mondiales après la crise sanitaire. Dont celle de la Chine qui, dans un premier temps, a importé massivement du gaz [moins polluant que le charbon] pour répondre aux besoins de ses industries. » Résultat : des tensions sur le marché du gaz et un prix qui s’envole, au point de contraindre Pékin à chercher des alternatives.
Une tentation charbon encore vive ?
Parmi celles-ci, le charbon justement. Tentant pour la Chine, donc, mais pas seulement. Le 25 août, Ember, cabinet d’études britannique sur l’énergie et le climat, notait que plusieurs pays émergents – l’Inde, la Turquie, la Mongolie, le Vietnam, le Pakistan – ont engagé « une relance grise » de leur production d'électricité au redémarrage de leurs économies. C’est-à-dire en misant en partie sur l’éolien et le solaire, mais aussi massivement sur le charbon. D’où un retour à la hausse, depuis début 2021, des émissions de GES liée à la production d’électricité.
« Le charbon est encore aujourd’hui une énergie peu coûteuse à produire, rappelle Sofia Kabbej, chercheuse au sein du programme « climat, énergie et sécurité » de l’Institut de relations internationales (Iris). Il est facile d’accès, les réserves restant importantes dans de nombreux pays, et les technologies pour le transformer en électricité sont aujourd’hui maîtrisées. » Des atouts que n’ont pas encore les énergies renouvelables (ENR). Les développer massivement nécessite de lourds investissements et de lever encore des verrous technologies, dont celui du stockage. « Cette transition énergétique ne se décrète pas un beau matin, c’est un chemin long et difficile », rappelle François Kalaydjian.
Ce qui laisse encore de longues années au charbon ? Les appels insistants du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) et de l’Agence internationale de l’énergie (AIE) à renoncer immédiatement à tout nouveau projet d’énergie fossile ne sont en tout cas pas toujours restés lettre morte. Depuis 2015 et l’accord de Paris, 44 Etats, dont 27 de l’OCDE, se sont officiellement engagés à ne plus lancer de nouvelles centrales, rappelle Ember dans un rapport du 7 octobre. Quarante autres n’ont plus le moindre avant-projet de cette nature, parmi lesquels quatre – Japon, Corée du Sud, Emirats arabes unis et Kazakhstan – achèvent la construction de leur dernière centrale et n’ont pas l’intention d’aller plus loin. Au global, depuis 2015 toujours, « le nombre de projets de centrales au charbon s’est effondré de 76 % », constate Ember.
8.500 centrales à charbon en activité… de nouvelles à venir ?
Voilà pour le côté pile, plutôt enthousiasmant, auquel on peut ajouter l’annonce de la Chine, le 22 septembre, de cesser de construire des centrales charbon à l’étranger, elle qui a investi massivement à ce titre, sur la dernière décennie, en Indonésie, au Vietnam, au Bangladesh.
Lorette Philippot, chargée de campagne « finance privée » aux Amis de la Terre, et Lucie Pinson, directrice de Reclaim Finance, attirent l’attention sur le côté « face ». « On est encore très loin de la bonne trajectoire pour sortir du charbon avant 2030 pour les pays de l’OCDE, et avant 2040 pour les autres », rappellent-elles. Environ 8.500 centrales sont en activité dans le monde, soit une capacité totale de plus de 2.000 gigawatts, rappelaient Fatih Birol, directeur exécutif de l’AIE, et David Malpass, président du groupe de la Banque mondiale, dans une tribune au Monde le 7 octobre. Elles produisent plus d’un tiers de l’électricité et sont à l’origine d’un cinquième des émissions mondiales de GES, plus que toute autre source d’énergie, poursuivaient-ils. Et en Asie, ces centrales sont jeunes – 13 ans en moyenne selon l’AIE – alors qu’elles sont prévues pour une durée de vie de quarante à cinquante ans.
Surtout, si le nombre de projets charbonniers ralentit ces dernières années, cela ne veut pas dire qu’il y en a plus aucun. « Plus de 300 nouvelles centrales devraient être mises en service dans les cinq prochaines années », indiquaient ainsi Fatih Birol et David Malpass dans Le Monde. A elle seule, la Chine représente plus de la moitié (55 %) des projets en cours de construction ou à venir. Plusieurs unités sont aussi prévues en Inde, au Vietnam, en Indonésie, en Turquie, au Bangladesh.
Mettre la pression sur les institutions financières ?
De son côté, l’ONG allemande Urgewald a mis à jour, début octobre, la « Global coal exist list », une base de données publique sur l’industrie mondiale du charbon. « Sur les 1.030 entreprises référencées, près de la moitié prévoit toujours de nouveaux projets de mines, centrales ou infrastructures, et seulement 49 ont annoncé des dates de sortie du charbon », détaille le rapport.
Que faire pour que le charbon ne puisse plus être une énergie d’avenir ? Pour François Kalaydjian, le principal levier serait « de donner un prix dissuasif à l’émission d’une tonne de CO2, ce qui n’a pas été fait jusqu’à présent sur les différents marchés carbone existants, indique-t-il. En Europe, il tourne autour de 60 euros. Il faudrait que la valeur soit double. »
De leurs côtés, les Amis de la Terre et Reclaim Finance veulent mettre les institutions financières (investisseurs, banques, assureurs…) face à leurs responsabilités. « Nous demandons qu’elles arrêtent enfin tout soutien financier aux entreprises listées dans cette "Global coal exist list", même pour leurs projets d’ENR, à partir du moment où elles continuent, en parallèle, de développer des projets dans le charbon », indique Lorette Philippot. Là encore, on y est loin, y compris en France. Mais les deux ONG ne désespèrent pas d’annonces fortes en ce sens dans les prochains jours. En particulier mardi, à Paris, lors de la septième édition du Climate finance day, grand rendez-vous annuel de la finance internationale sur les problématiques du réchauffement climatique. Ce qui serait un bon signal avant la COP26.