« On n’a jamais vu ça »… Une mystérieuse invasion de poulpes dans les eaux françaises
TENTACULAIRE•Dans le Morbihan et en Loire-Atlantique, des tonnes de pieuvres sont débarquées chaque jour dans les criées, qui ne voient plus de crustacésCamille Allain
L'essentiel
- Dans le Finistère, le Morbihan, la Loire-Atlantique et en Vendée, une invasion de poulpes est constatée par les pêcheurs depuis le début de l’été.
- Les pêcheurs de crustacés ne trouvent plus trace de homards, crabes ou araignées et ont dû s’adapter en pêchant la pieuvre.
- Les raisons de cette prolifération spectaculaire ne sont pas connues, mais le réchauffement des eaux pourrait en être une explication.
Tout juste 150 kg en mai. Trois tonnes en juin, cinq tonnes en juillet, onze tonnes en août. Et déjà six tonnes en une seule semaine pour septembre. A la criée municipale de Quiberon (Morbihan), la nouvelle star des étals, c’est le poulpe. Depuis le début de l’été, les pêcheurs ne cessent de voir les quantités de pieuvres grimper dans leurs filets ou leurs casiers. Un phénomène que l’on peine pour l’heure à expliquer mais qui inquiète certains professionnels de la mer. Au fil de l’été, la filière s’est pourtant organisée, afin de trouver des débouchés pour cette étrange marchandise. Du Finistère à la Vendée, les pêcheurs sont unanimes : « On n’a jamais vu ça. »
Cela fait plus de trente ans que Dominique Debec est pêcheur. Basé au port du Croisic (Loire-Altantique), l’homme est spécialisé dans la pêche aux crustacés. A bord de son caseyeur L’Atlantide, il a pour habitude de remonter des homards, des tourteaux ou des araignées dans ses casiers. Depuis quelques mois, il n’en trouve plus. « On ne trouve que des poulpes. Avant, on en remontait un de temps en temps. Mais là il n’y a plus que ça. Et plus rien d’autre », explique le patron pêcheur. Lors de sa dernière sortie en mer, il en a ramené plus de 300. Du jamais vu.
Privé de sa ressource principale, Dominique Debec n’a eu d’autre choix que de s’adapter. « Le poulpe se vend plutôt bien donc maintenant on va les chercher, on les cible ». Dans son désarroi, il a pu compter sur un coup de pouce du destin. Parmi ses trois matelots, le Croisicais compte un Portugais. « Il est habitué à travailler avec, c’est très courant chez eux », explique son patron. Son matelot aurait d’ailleurs confié que les pieuvres, d’ordinaire si nombreuses au large du Portugal et de l’Espagne où elles sont beaucoup consommées, auraient disparu. L’espèce aurait-elle migré vers le nord cet été ? En tout cas, elle est très gourmande et décime la ressource en crustacés. « Chez nous, ça a démarré en juin. Mais ça concerne tout le monde. A Lorient, à La Turballe, aux Sables d’Olonne, c’est pareil », explique Jean-Marc Lizé.
« On ignore pourquoi on a une telle prolifération »
Avec cette nouvelle manne à traiter, le directeur de la criée de Quiberon a vu débarquer de nouveaux acheteurs cet été. Des mareyeurs habitués à travailler avec l’Italie, l’Espagne et le Portugal, où les poulpes sont très appréciés. « En Bretagne, ça se vend assez mal », concède-t-il. Pour l’heure, le prix d’achat s’est maintenu à un niveau correct (5 à 6 euros le kilo en criée) malgré les impressionnantes quantités débarquées. Mais qui reste quatre à six fois inférieur à celui du noble homard par exemple. « On ignore pourquoi on a une telle prolifération. Certains scientifiques expliquent que l’hiver a été doux. Mais ce n’est pas le premier comme ça », poursuit Jean-Marc Lizé. Lui pense que le facteur climatique et le réchauffement des océans y sont pour quelque chose mais aucun scientifique ne peut être aussi catégorique.
Dans les criées, le prix du poisson a sérieusement grimpé cet été et les pêcheurs ont clairement vu moins de bars, de dorades ou de rougets remonter dans leurs filets. Le poulpe y est-il pour quelque chose ? Aucun moyen de le savoir. Mais l’invasion de tentacules inquiète la profession. « La saison n’est pas encore lancée mais comment va-t-on faire quand on ira chercher les coquilles Saint-Jacques ? Ou les crevettes roses ? Les poulpes mangent tout », analyse Dominique Debec. Avant de concéder, un brin désarmé. « S’il faut continuer à faire du poulpe, on le fera ».