Pas de mégafeux, mais un max de fronts à combattre… L’Europe du sud n’échappe pas aux incendies cet été
INCENDIES•Si la France est pour l’instant relativement épargnée, la vague de chaleur qui frappe le pourtour méditerranéen a multiplié les incendies en Europe du sud, de la Turquie à l’Espagne. Et l’été est loin d’être finiFabrice Pouliquen
L'essentiel
- Turquie, Grèce, Macédoine du Nord, Bulgarie, Italie… Les feux de forêts font rage cet été, en Europe, sur le pourtour méditerranéen. Et pour cause, ce mois de juillet est le deuxième le plus chaud jamais enregistré sur le continent.
- « S’il n’y a pas de mégafeux comme ceux qu’on a pu observer aux Etats-Unis ou au Canada », commence Jean-Baptiste Filippi, chercheur (CNRS), cette vague de chaleur fait qu’un incendie peut être déclenché par une très faible énergie initiale.
- D’où cette multitude de départs de feux auxquels doivent faire face les pompiers. Et si la France est relativement épargnée jusqu’à présent, la saison estivale est encore loin d’être finie.
On peut avoir du mal à le croire, vue de France. Pourtant, nous vivons le troisième mois de juillet le plus chaud jamais enregistré au niveau mondial, à égalité avec juillet 2020, indique ce jeudi le Service Copernicus pour le changement climatique (C3S), le système d’observation satellitaire de la Terre de l’Union européenne. Et même le deuxième mois de juillet le plus chaud jamais enregistré en Europe.
Si la France est relativement épargnée à ce jour, c’est en raison « de cette poche d’air froid et humide qui se détache des régions polaires et qui, en raison de la configuration particulière de cet été, a suivi une trajectoire l’amenant vers l’Europe occidentale, explique Patrick Gallois, prévisionniste à Météo France. C’est le hasard des déplacements des masses d’air atmosphérique, et ceci explique les températures médiocres pour un mois de juillet que nous connaissons ces dernières semaines. »
Des vagues de chaleur qui assèchent la végétation
Dans d’autres parties de l’Europe, en revanche, on sue. Particulièrement en Europe du Sud-Est, en proie à des épisodes de canicule d’une rare intensité. Parfois même depuis de longues semaines, comme en Turquie ou à Chypre. Les températures de surface – « c’est-à-dire la quantité réelle d’énergie rayonnante de la Terre, et non pas la température de l’air au sens météorologique du terme », précise Clément Albergel, chercheur sur le climat à l’ESA (l’agence spatiale européenne) – ont de nouveau atteint plus de 50 °C lundi dernier, indique Copernicus. Une même carte, publiée le 2 juillet, montrait déjà à peu près la même situation.
Et que dire de la Grèce ? Elle est frappée par la pire canicule depuis trente ans, s’alarmait son Premier ministre, Kyriakos Mitsotakis, lundi dernier toujours. Au point que le mercure a grimpé à 45 °C dans certaines régions du pays en début de semaine. Cette vague de chaleur a pour corollaire une vague de sécheresse intense pour la végétation. Ajoutez un air sec et des vents qui facilitent les propagations, et voilà toutes les conditions réunies pour que se multiplient les feux de forêts. C’est ce contexte qu’on retrouve en ce moment sur le pourtour méditerranéen. De la Turquie à l’Espagne, en passant par la Grèce et d’autres pays des Balkans (Albanie, Macédoine du Nord, Bulgarie) mais aussi l’Italie.
Pas de mégafeux… mais une multitude de fronts
Jean-Baptiste Filippi, chercheur (CNRS) au laboratoire Sciences pour l’environnement et coordinateur du programme FireCaster*, distingue ces feux « des méga-incendies qu’on observe en ce moment en Sibérie ou qu’on a pu voir, par exemple, aux Etats-Unis ou en Australie ». « Un seul de ces mégafeux peut s’étendre sur 80,000 ha et devenir assez puissant pour créer son propre système météorologique, précise-t-il. Ils vont chauffer l’air tellement fort qu’il va monter en altitude et fabriquer un nuage de convection, qui va changer complètement les vents dans la région, fabriquer potentiellement des éclairs… »
Les incendies qui touchent en ce moment l’Europe ne sont pas de la même ampleur. En revanche, « cette vague de chaleur crée les conditions pour qu’un incendie puisse être déclenché par une très faible énergie initiale, explique Jean-Baptiste Filippi. Un mégot, ou même de l’électricité statique. Forcément, plus il est facile d’allumer un feu, plus le risque qu’ils se multiplient est grand. » Un calvaire pour les pompiers, qui doivent se déployer sur plusieurs fronts à la fois. « En juillet, nous avons eu 1.584 feux, contre 953 en 2019 », comptabilisait ainsi le vice-ministre grec de la protection civile, Nikos Hardalias, en début de semaine. Et jusqu’à 240 incendies par jour ont été enregistrés au cours des derniers jours en Bulgarie.
Une saison encore loin d’être finie
Mis bout à bout, ces feux ont déjà ravagé un grand nombre d’espaces naturels. D’après le système européen d’information sur les feux de forêt (Effis), 13.511 hectares sont partis en fumée depuis le début de l’année en Grèce. C’est près de 95.000 hectares pour la Turquie. L’Italie, de son côté, a enregistré des centaines d’incendies ces dernières semaines dont l’un, dans l’ouest de la Sardaigne, a ravagé près de 20.000 hectares.
2019 faisait déjà office de pire année en la matière dans l’histoire récente : « plus de 400.000 hectares (ha) d’espaces naturels (ont été) brûlés en Europe et un nombre record de zones naturelles protégées ont été touchées par des feux de forêt », indiquait la Commission européenne dans un rapport publié le 30 octobre dernier. 2021 pourrait s’achever sur un constat similaire. « La saison d’été ** des feux de forêts, en Europe, est encore loin d’être finie, rappelle Jean-Baptiste Filippi. Elle prend fin véritablement avec les premières grandes pluies automnales, entre octobre et début novembre. »
Cela laisse encore le temps à la France d’être touchée, elle qui a, on l’a dit, été relativement épargnée, mis à part ce feu dans l’Aude, entre le 24 et le 25 juillet, qui a dévasté le massif d’Alaric, près de Carcassonne, sur 850 hectares. « Dans les prochains jours, des paramètres vont favoriser la survenue de feux de forêts en France, prévient Patrick Gallois. A savoir le retour du soleil et des chaleurs sur le pourtour méditerranéen français mais pas que, ce qui devrait assécher les sols superficiels. En revanche, le vent ne devrait pas souffler de façon importante, ce qui ne concourt pas à la propagation des feux s’ils s’en déclenchent. »
Un risque accru avec le réchauffement climatique ?
Quoi qu’il en soit, pour Clément Albergel, il faut s’attendre à faire face à des saisons de feux de forêts plus intenses et plus fréquentes en Europe, comme ailleurs, dans les années à venir. « L’ESA a mis en place en 2010 son initiative au changement climatique, un programme de recherche et développement qui se penche sur des indicateurs clés du climat et leur variabilité sur de longues séries temporelles, précises, robustes et globales, commence-t-il. On s’est rendu compte que, depuis le début des observations de la Terre depuis l’espace dans les années 1980 et en allant croissant, les épisodes de chaleur sont de plus en plus fréquents et durent de plus en plus longtemps. »
Ces températures plus élevées favorisent l’évapotranspiration des plantes. La végétation s’asséchant, elle devient plus sensible au développement des incendies. L’Organisation mondiale de la météorologie a déjà mis en garde contre l’impact de ce changement climatique d’origine humaine sur une augmentation de la sévérité et du nombre des feux. « Ceci sur des zones géographiques plus étendues avec un allongement de la saison des feux, précise Météo France. La fréquence des incendies pourrait ainsi augmenter sur plus de 37,8 % du territoire mondial, pour la période 2010-2039, pour un scénario de réchauffement d’environ 1,2 °C. »