RAPPORTLa France pas encore sur les bons rails pour le Haut conseil pour le climat

Des progrès mais doit mieux faire… Le Haut conseil pour le climat rend sa copie sur l’action climatique du gouvernement

RAPPORTCe mardi, le Haut conseil pour le climat publie son troisième rapport sur les politiques climatiques du gouvernement. S’il y a des progrès depuis 2019, ils restent très insuffisants. L’instance invite surtout à accélérer sur l’adaptation à un climat qui change d’ores et déjà
Fabrice Pouliquen

Fabrice Pouliquen

L'essentiel

  • Créé fin 2018 à la demande d’Emmanuel Macron, le Haut conseil pour le climat, composé de treize experts, a pour mission principale d’évaluer les politiques climatiques du gouvernement et leur cohérence au regard des objectifs fixés.
  • C’est ce que fait l’instance ce mardi en publiant son rapport annuel. Bon point : le rythme de baisse des émissions de gaz à effet de serre s’est accentué en 2019. Mais la France est loin d’être à la bonne échelle, et les transports et l’agriculture sont à la traîne.
  • Surtout, le Haut conseil invite à accélérer sur l’adaptation à un climat qui change dès à présent. Plus on tarde, plus les marges de manœuvre s’amenuisent, prévient-il.

C’est un peu les résultats du bac avant l’heure pour l’exécutif. Le Haut conseil pour le climat (HCC) publie ce mardi soir son rapport annuel 2021, le troisième, évaluant la stratégie gouvernementale sur les questions climatiques et sa cohérence avec les objectifs fixés. C’est la principale mission pour laquelle cet organisme indépendant de treize experts a été créé en novembre 2018, à la demande d’Emmanuel Macron.

Pour ses deux premières évaluations, le HCC disait de la France qu’elle n’était pas sur les bons rails et ne se donnait pas tous les moyens d’y parvenir. La copie est-elle meilleure cette fois-ci ?


Un rythme de baisse qui s’est accéléré en 2019

Le HCC constate en tout cas quelques progrès sur le front de la baisse des émissions de gaz à effet de serre (GES). Passons sur la baisse de 9 % des émissions françaises de GES estimées pour 2020, « attribuableau Covid-19 et ainsi conjoncturelle », insiste Corinne Le Quéré, présidente du HCC. Tout de même, « on observe une légère accentuation de la tendance à la baisse en 2019, reprend la climatologue franco-canadienne. Le rythme était de – 1,9 % contre – 1,7 % jusqu’alors. »

Trois secteurs y concourent principalement. Les bâtiments, l’industrie et la production d’énergie. Ces améliorations s’expliquent notamment par des gains d’efficacité dans les procédés de fabrication et la décarbonation de l’énergie utilisée pour le second, et enfin le développement des énergies renouvelables et l’amélioration de l’efficacité énergétique pour le troisième. Des efforts à poursuivre et même à intensifier, encourage Corinne Le Quéré.

Les transports et l’agriculture à la traîne

Voilà pour les bons points. Le HCC souligne aussi les mauvais. Le secteur des transports notamment, première source d’émissions de GES en France et seul secteur en hausse entre 1990 et 2019. « Les principales causes sont la croissance de la demande en transport, ainsi que l’absence de report modal, notamment vers le rail », pointe Corinne Le Quéré. L’autre secteur à la traîne, c’est l’agriculture. La France a moins réduit ses émissions agricoles – - 9 % depuis 1990 – que ses principaux pays voisins européens, précise le rapport. « Il y a une trop faible ambition dans ce domaine », regrette Corinne Le Quéré.

Une critique qui revient ailleurs dans le rapport. « Globalement, les politiques publiques sont encore insuffisamment alignées avec la Stratégie nationale bas-carbone (SNBC) », écrit le HCC. Cette feuille de route décrit, pour chaque secteur, comment la France entend réduire ses émissions de GES pour atteindre l’objectif de - 40 % [par rapport à 1990] qu’elle s’est fixé pour 2030. Ce non-alignement pose d’autant plus question que l’UE vient de rehausser son ambition climatique en visant désormais une baisse de 55 % en 2030, contre 40 % jusque-là.

Passer de – 1,9 % en 2019 à – 3 % dès 2021

La France devra suivre le rythme, du moins en partie. Or, elle a déjà cumulé du retard sur ses objectifs actuels ces dernières années. Une baisse de 1,9 %, c’est donc loin d’être assez. « Le rythme devra pratiquement doubler pour atteindre – 3 % dès 2021 et – 3,3 % en moyenne sur la période du troisième budget carbone (2024-2028) », cadre Corinne Le Quéré. « Le plan de relance, mais aussi tout ce qui est en discussion au Parlement [ le projet de loi Climat et résilience] vont nous permettre d’accélérer », assure-t-on à Matignon, où l’on ne désespère pas de s’améliorer y compris sur les secteurs à la traîne. « Sur les transports, nous sommes à la veille d’un changement structurel très important avec l’électrification du parc automobile, y reprend-on. En 2020, 11 % des véhicules neufs vendus étaient électriques. C’est bien plus que ce qui avait été imaginé dans les scénarios et nous faisons en sorte que cette tendance se confirme. »

L’urgence d’accélérer sur l’adaptation

Nouveauté de ce rapport, le HCC n’y aborde pas seulement la question de l’atténuation du changement climatique. Autrement dit, tout ce qui est entrepris pour réduire nos émissions de GES. L’instance pointe aussi l’urgence d’accélérer sur la question de l’adaptation à un climat qui change dès à présent. « Deux tiers de la population française sont déjà fortement ou très fortement exposés au risque climatique », rappelle le rapport. « Ce ne sont pas seulement les catastrophes naturelles qui augmentent, mais aussi les stress chroniques, ces événements qui vont, par leur récurrence, déstabiliser un certain nombre de systèmes », détaille la géographe Magali Reghezza-Zit, maître de conférences à l’Ecole normale supérieure (ENS) et l’une des treize membres du HCC.

L’agriculture est en première ligne, elle qui devra (quand ça n’a pas déjà commencé) « changer les dates des semis, modifier les variétés plantées, voire concevoir des nouveaux systèmes de production », liste Corinne Le Quéré. Parmi les secteurs concernés, Magali Reghezza-Zit ajoute aussi celui de l’eau, du tourisme, de l’assurance…

Déjà des marges de manœuvre qui se réduisent ?

La France s’est déjà dotée d’un Plan national d’adaptation au changement climatique (PNACC). Il comprend une soixantaine d’actions disparates qui gagneraient à définir une trajectoire plus ambitieuse, estime le HCC. « Il faut définir une stratégie nationale avec des objectifs prioritaires, à affiner ensuite territoire par territoire, car les régions ne font pas toutes face aux mêmes problématiques », invite Magali Reghezza-Zit. Elle insiste aussi sur la nécessité de veiller à ce que les politiques d’adaptation et d’atténuations aillent bien de pair.

C’est donc le moment d’accélérer pour la géographe. « Plus on repousse l’action dans le temps, plus l’ampleur du changement climatique fera qu’on ne pourra plus s’adapter, ni même compter sur nos puits de carbone naturels [les forêts, les terres, les océans…] pour l’atténuer », reprend-elle. Les marges de manœuvre ont déjà commencé à se réduire. « Les forêts françaises, qui souffrent du changement climatique, n’ont capté que les trois quarts de la quantité de CO2 qu’avait escomptée la SNBC entre 2015 et 2019, illustre Jean-François Soussana, vice-président de l’Institut national de la recherche agronomique (Inrae), parmi les treize également. C’est pourtant un puits de carbone essentiel pour atteindre la neutralité carbone. D’où la nécessité d’adopter une stratégie nationale de long terme qui permette d’adapter les forêts à ces nouvelles conditions climatiques. »