Empreinte carbone : Calculer ses émissions de CO2 à partir de ses relevés bancaires, la bonne idée de l’appli Greenly ?
TRANSITION ECOLOGIQUE•La transition vers un monde bas carbone se joue en partie à l’échelle des particuliers. Mais encore faut-il avoir une idée précise des émissions de CO2 liées à nos trains de vie. C’est ce que propose de faire l’application Greenly à partir de nos relevés bancaires…Fabrice Pouliquen
L'essentiel
- Votre abonnement Netflix, votre passage chez le coiffeur, le cappuccino pris à la machine à café du boulot… L’outil Greenly propose de calculer l’empreinte carbone de la moindre de vos dépenses en se synchronisant (avec votre accord) à votre compte bancaire.
- Avoir une connaissance précise des émissions de CO2 liés à nos trains de vie est présenté comme un enjeu clé de la transition. Mais les informations en la matière peinent encore à voir le jour et se limitent essentiellement, pour l’instant, au secteur de l’alimentation.
- Si Greenly calcule l'empreinte carbone tous les biens et services inimaginables, reste à se pencher sur la méthode de calcul. Elle consiste, dans les grandes lignes, à convertir des euros en kg d’équivalent CO2. Pas très fin ?
Pour votre abonnement Netflix, comptez 17 kg équivalent CO2 (eqCO2) émis par mois. 90 euros de courses en grande surface vous coûteront 60 kg eqCO2. Un trajet Paris-Bretagne en TGV à 50 euros ? 0,5 kg. La séance chez le coiffeur à 29 euros ? 2,9 kg. Et le cappuccino à 30 centimes pris à la machine à café de 20 Minutes ? 9 g…
Du moins, c’est à ces estimations qu’arrive Greenly. Après une synchronisation préalable de son compte bancaire, via une connexion sécurisée, l’application smartphone se propose de calculer en continu l’empreinte carbone de chacune de nos dépenses.
Un enjeu clé de la transition
L’enjeu est de taille. L’empreinte carbone moyenne des Français est estimée à 11,2 tonnes eqCO2 par an, et doit tomber à 2 tonnes d’ici à 2050 si l’on veut limiter le réchauffement climatique à + 2 °C. « Mais pour engager cette baisse, encore faut-il avoir une connaissance fine des émissions de gaz à effet de serre générées par nos trains de vie, glisse Fany Fleuriot, ingénieure climat et comptabilité carbone à l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe). Cela demande de dépasser les lieux communs, du type "le vélo, c’est mieux que la voiture", ou "il faut prendre l’avion de moins en moins", pour arriver à des photographies bien plus précises des impacts carbone de nos dépenses. »
C’est tout l’objectif de l’appli Greenly. Avec le pari, derrière, « que plus on aura ces informations sous le nez, plus on y prêtera attention et plus on cherchera à réduire notre empreinte carbone », lance Alexis Normand, son cofondateur et directeur général. « De la même manière que plus une personne se pèse, moins elle aura tendance à prendre du poids », compare celui qui, avant Greenly, travaillait dans la santé connectée.
Alors que l’affichage environnemental patine ?
Depuis son lancement en janvier 2020, l’application a été téléchargée par 30.000 utilisateurs. « En parallèle, nous nous sommes associés à des banques qui peuvent, à partir de notre solution, proposer un relevé d’empreinte carbone à leurs clients », explique Alexis Normand. C’est le cas de BNP Paribas, de la banque en ligne Hello bank!, et bientôt de la néobanque verte Onlyone. Deux autres noms devraient suivre prochainement.
Le projet de loi Climat et résilience, en cours d’examen au Parlement, aurait pu donner un élan supplémentaire à Greenly et aux applications similaires. Un amendement déposé par des députés LREM proposait en effet d’imposer « aux banques l’obligation de transmettre à leurs clients leur relevé carbone, avec l’accord préalable de ces derniers ». « L’amendement a été rejeté, le sujet n’ayant pas été traité par la Convention citoyenne pour le climat, indique la députée Nicole Le Peih (Morbihan), qui le portait. Mais ce n’est que partie remise, il y aura de nouvelles occasions de le proposer. »
En attendant, le projet de loi Climat avance sur un autre volet de la sensibilisation des particuliers. Celui de l’affichage environnemental, ou « score carbone ». Cet étiquetage est une note de A à E affichée sur les produits ou services et calculée sur l’ensemble de leur cycle de vie. Un vaste chantier, à l’étude depuis 2008, et qui balbutie encore. Plusieurs initiatives ont été lancées ces derniers mois, dont un dispositif officiel piloté par l’Ademe en février 2020. Mais il reste volontaire et expérimental.
Le projet de loi Climat et Résilience pourrait le renforcer et le rendre à terme obligatoire. Mais potentiellement pas avant cinq ans, un délai qui exaspère les députés écologistes. Une carte à jouer pour Greenly ? « Le score carbone n’est une réalité que pour des produits alimentaires et un peu du textile, quand des applications comme la nôtre proposent, dès aujourd’hui, des estimations de bilan carbone sur l’ensemble de nos dépenses », pointe Alexis Normand.
Convertir des euros en CO2… Une méthode qui a ses limites ?
Mais avec quelle justesse ? Les bilans d’émissions donnés par Greenly correspondent au ratio des émissions de CO2 d’un produit ou d’un service rapporté au montant de la dépense. « On sait qu’un ticket de caisse de 50 euros dans un supermarché correspond à tel panier moyen de produits, dont nous allons estimer l’empreinte carbone », illustre Alexis Normand. Autre exemple : pour un passage chez le coiffeur, Greenly part du principe que « les émissions associées aux activités de services à la personne, notamment de coiffure, sont estimées à 0,1 kg eqCO2 par euro TTC ». Ce ratio est ensuite multiplié par le prix dépensé.
La méthode à ses limites. « Dans l’immense majorité des cas, l’empreinte carbone des produits est difficile à obtenir et/ou peu fiable, rappelle déjà Quentin Guignard, responsable du Pôle méthodologie de l’Association Bilan Carbone, qui accompagne les entreprises dans leur stratégie bas carbone. Par exemple, les données disponibles sur les cartouches d’encre datent de 2014, et ont une incertitude de 100 %. »
Fany Fleuriot, de l’Ademe, tique aussi sur le principe de calculer des empreintes carbone à partir des dépenses. « Cela revient à convertir des euros en gramme de CO2, ce qui suppose que le prix indique effectivement l’intensité carbone du produit ou du service, commence-t-elle. Ça marche assez bien pour nos dépenses d’énergie. Pour d’autres, c’est loin d’être évident. Un panier de courses alimentaire à 50 euros n’aura pas forcément une empreinte carbone supérieure à un autre de 30 euros. Tout dépendra des produits. Le constat est le même pour un repas au restaurant, des boissons consommées dans un bar… »
La possibilité de préciser ses dépenses pour les plus motivés
Pour autant, Fany Fleuriot et Quentin Guignard sont loin d’enterrer Greenly et les outils similaires. « Ils ont le mérite de sensibiliser les particuliers en leur donnant un premier ordre de grandeur de leur empreinte carbone », pointe la première. « Et d’apporter, pour bon nombre de produits et services, la seule estimation possible à ce jour », complète le second.
Surtout, Greenly propose déjà, aux plus motivés, de préciser leurs dépenses afin d’affiner le calcul des empreintes carbone et leur permettre de les réduire plus facilement. « Pour les achats en supermarché, on peut donner leur nature (alimentaire, non alimentaire, mixte), son régime alimentaire (végétarien, flexitarien, gros mangeur de viande…), si on consomme bio et/ou local », liste Alexis Normand. De la même façon, on peut préciser que son fournisseur d’énergie est vert, indiquer si le paiement SNCF concernait un trajet en TGV ou en TER, et même donner des détails sur les fromages achetés au marché. Au lait de chèvre, de brebis, ou de vache ?