Projet de loi climat : Faut-il rendre obligatoire l’option végétarienne quotidienne à la cantine ?
ALIMENTATION•D’obligatoire dès 2022, comme le souhaitait la Convention citoyenne, l’option végétarienne dans la restauration collective publique a été ramenée à une expérimentation dans le projet de loi Climat. Au grand dam des ONG… mais au soulagement des élus locaux ?Fabrice Pouliquen
L'essentiel
- La commission spéciale de l’Assemblée nationale, qui passe au crible le projet de loi Climat avant son examen en séance plénière à compter du 29 mars, devrait arriver, d’ici la fin de la semaine, à la mesure très discutée de l’option végétarienne dans les cantines.
- La Convention citoyenne voulait la rendre obligatoire dans la restauration collective publique à partir de 2022. Le gouvernement propose une expérimentation sur la base du volontariat. Trop frileux, disent Greenpeace et l’Association végétarienne de France.
- 200 communes proposent déjà l’option végétarienne quotidienne dans leurs cantines, rappellent les deux ONG. Mais des élus locaux, y compris parmi ceux qui appliquent déjà le choix végétarien, mettent en garde contre une transition à marche forcée.
Haché de veau, paupiette de poisson ou saucisses végétales… A Montereau-Fault-Yonne, les écoliers ont l’embarras du choix, ce jeudi, pour accompagner leurs épinards à la crème. Depuis la rentrée 2015, la commune de Seine-et-Marne propose une alternative végétarienne quotidienne dans ses écoles.
Un virage d’abord pris pour des raisons sociétales, précise James Chéron, le maire (UDI). « L’alternative végétarienne a été introduite en même tant que nous avons plafonné le tarif des repas à 1 euro, précise-t-il. Nous voulions qu’il n’y ait plus de frein éthique, religieux et social à la prise d’un repas à la cantine pour les enfants de la commune. »
L’une des mesures passées au filtre gouvernemental
Six ans plus tard, Montereau ne songe pas à revenir en arrière. « De 92.000 repas servis, nous sommes passées à 135.000 pour l’année scolaire 2015-2016, et à 163.000 pour celle de 2018-2019, compte James Chéron. Et l’option végétarienne est prise par 35 % des élèves. »
Un exemple à montrer dans toutes les écoles ? C’est en tout cas sur cela que Greenpeace et l’Association végétarienne de France (AVF) s’appuient pour montrer que le fait de proposer un choix végétarien quotidien dans les cantines n’a rien d’impossible.
C’est d’ailleurs l’une des propositions la Convention citoyenne pour le climat pour réduire nos émissions de gaz à effet de serre : « passer à un choix végétarien quotidien dans la restauration collective publique à partir de 2022, y compris celle à menu unique ». Le filtre gouvernemental est passé par là. La mesure est bien dans le projet de loi Climat et résilience, mais il n’est plus question que d’une expérimentation de deux ans, sur la base du volontariat.
Pas un deuxième menu à faire de A à Z
La mesure sera examinée d’ici à la fin de la semaine par la commission spéciale de l’Assemblée, avant de passer en séance plénière dès le 29 mars. Mais elle a déjà beaucoup fait parlé autour du menu sans viande instauré par la ville de Lyon pendant la crise sanitaire. « Au point de s’être parfois fait une montagne de l’option végétarienne, regrette Elyne Etienne, responsable du pôle végécantines de l’AVF. Il s’agit bien d’une option proposée en plus du menu carné. De nombreuses cantines proposent déjà des "options sans viande", à base notamment de poisson. Ce ne sera pas le cas pour les options végétariennes, mais elles pourront intégrer œufs et produits laitiers, même si l’idée reste de diversifier les sources de protéines en piochant dans les légumineuses [haricots secs, fèves, pois chiches, lentilles...] »
« L’option végétarienne ne nécessite pas non plus de tout faire en double, ajoute Laure Ducos, porte-parole "alimentation" à Greenpeace. Souvent, seul le plat principal change. Et encore, des ingrédients (une sauce, un féculent…) peuvent être en commun. »
Déjà 204 communes s’y sont mises
Plus de 200 communes et des dizaines de structures [lycée, collège, hôpitaux, prison…] du pays proposent déjà une option végétarienne quotidienne. Greenpeace et l’AVF ont sondé plusieurs d’entre elles dans une étude publiée le 4 mars. Il en ressort trois freins souvent évoqués à sa mise en place : le manque de recettes, des locaux parfois trop exigus et le temps de travail limité. « Introduire une option végétarienne demande de revoir les méthodes de travail, de se réinventer, de se former à de nouvelles méthodes de cuisson, plus longue par exemple pour les légumineuses », concède Elyne Etienne.
Mais la persévérance paierait. Les structures interrogées disent être parvenues à absorber la surcharge de travail avec le temps et l’expérience ; 85 % assurent également que l’option végétarienne n’a pas été associée à une augmentation du gaspillage. Et 91 % disent que le menu végétarien coûte moins cher que le menu standard ou s’équilibre en termes de budget. « Surtout, dans la plupart des cas, elle s’est accompagnée d’une montée en gamme des menus, avec plus de produits bio et locaux, y compris sur la viande », pointe Laure Ducos.
Revoir le calendrier ?
De son côté, l'étude d'impact sur le projet de loi Climat commandée par le gouvernement estime qu’une option végétarienne obligatoire dès 2022 constituerait « une accélération trop importante soulevant à la fois des enjeux d’adaptation et de faisabilité » pour les collectivités territoriales. « Le délai est trop court, en convient Laure Ducos. Mais un autre calendrier est possible. Nous proposons de rendre obligatoire l’introduction d’une option végétarienne quotidienne dans toute la restauration collective dès 2023 pour les cantines qui proposent déjà plusieurs options, et en 2025 pour les autres. »
Il reste, pour Greenpeace et l’AVF, à convaincre les députés et sénateurs. Pas simple, d’autant que le gouvernement n’est pas le seul à être réticent à l’idée de rendre obligatoire cette option. Des maires s’y opposent également, à commencer par James Chéron, attaché à « la libre administration des collectivités ». « Il ne faut pas qu’on en arrive à avoir des cantines d’État où ce dernier dicterait des menus aux communes alors qu’elles ont chacune leurs besoins et leurs problématiques », explique-t-il.
« Qu’on laisse les communes décider comment elles s’organisent »
C’est aussi la position de Gilles Pérole, de l’Association des maires de France (AMF). Mouans-Sartoux (Alpes-Maritimes), où il est adjoint, travaille déjà beaucoup sur l’impact environnemental de ses cantines. « Nous sommes 100 % bio depuis 2012, 80 % local, grâce notamment à notre ferme municipale, et nous intégrons deux repas végétariens par semaine (en menu unique) », liste-t-il. Mais en rendant obligatoire l’option végétarienne, la crainte de l’élu est d’entraîner les petites communes dans une marche forcée risquée. « Si on leur impose deux repas au quotidien, beaucoup, y compris Mouans-Sartoux, devront faire des concessions, anticipe-t-il. Sur l’un des deux menus, plutôt que du fait maison, elles opteront pour des produits industriels et on sera tous perdants, y compris sur le volet environnemental. »
Gilles Pérole n’est pas contre des recommandations nationales, « mais qu’on laisse les communes décider, d’autant qu’elles avancent bien sur le sujet », insiste-t-il. La preuve avec le menu végétarien hebdomadaire que toute la restauration scolaire doit proposer depuis le 1er novembre 2019, dans le cadre d'une expérimentation ouverte par la loi Egalim. « Sur un échantillon de 3.000 communes interrogées par l’AMF, 89 % ont mis en place la mesure », indique-t-il. « Mais si elles s’y sont globalement mises pour leurs écoles primaires, c’est trop peu le cas encore des départements et régions pour les collèges et lycées », indique Laure Ducos. C’est tout le problème de l’expérimentation à ses yeux : « Le gouvernement s’attend lui-même à ce que peu de collectivités expérimentent l’alternative végétarienne. C’est d’autant plus regrettable que la mesure est très efficace pour réduire nos émissions de gaz à effet de serre. »