Un nouveau sommet sur les forêts, mais pour quoi faire ?

« Global forest Summit » : Un nouveau sommet sur les forêts… Mais pour quoi faire ?

ENVIRONNEMENT« Mettre la forêt en haut de l’agenda international »… C’est l’objectif des Français Stéphane Hallaire et Thomas Friang, qui lancent ce vendredi un sommet sur la préservation et la restauration des forêts. Mais des ONG tiquent sur les réelles intentions de ce rendez-vous
Pourquoi, sans la forêt, nous ne pourrions pas survivre
Fabrice Pouliquen

Fabrice Pouliquen

L'essentiel

  • Organisé sous le haut patronage de l’Élysée et avec la ministre Barbara Pompili pour ouvrir l’événement, le « Global forest Summit » est parvenu à rassembler un joli parterre de personnalités pour sa première édition, ce vendredi.
  • À l’origine de ce nouveau sommet, on trouve un think-tank, l’Institut Open Diplomacy, et une entreprise spécialisée dans la plantation d’arbres, Reforest’action. Deux organismes français qui veulent mettre la forêt au sommet de l’agenda international.
  • L'association Canopée ou encore Greenpeace s’étonnent de ce sommet sorti de « nulle part », s’inquiétant qu’il soit avant tout une opération pour promouvoir « cette fausse bonne idée selon laquelle planter des arbres est la solution magique ».

Il y a du beau monde annoncé à la première édition du « Global forest summit ». Un sommet mondial virtuel organisé depuis Paris, ce vendredi matin, pour tenter d’accélérer sur la protection et la restauration des forêts. À commencer par Barbara Pompili, ministre de la Transition écologique, attendue pour ouvrir la journée. Mais aussi son homologue britannique, le commissaire européen à l’Environnement, ou encore la primatologue Jane Goodall

« Sur les 2.800 inscrits, on compte environ un quart de personnes venues du secteur académique, un autre quart des ONG, un gros tiers du secteur privé, 15 % des pouvoirs publics… », détaille Thomas Friang*, président de l’Institut Open Diplomacy.

Les forêts, « rôle clé sur les crises jumelles du climat et de la biodiversité »

Ce think-tank** coorganise l’événement avec Reforest’action, entreprise qui porte des projets de reforestation financés par des entreprises et des particuliers via des opérations de crowfunding ***. Les deux organismes français avaient déjà travaillé ensemble, en septembre, lors des Rencontres du développement durable, créées par l’Institut Open Diplomacy. « Avec Stéphane Hallaire, fondateur de Reforest’action, on s’était dit qu’il fallait faire quelque chose pour placer les forêts en haut de l’agenda international en ce début 2021, alors que se profile une série de sommets internationaux cruciaux tant sur les enjeux climat que biodiversité », reprend Thomas Friang.

Puits de carbone, habitat d’un grand nombre d’espèces animales et végétales… La préservation et la restauration des forêts constituent « l’une des solutions basées sur la nature les plus efficaces pour répondre à la crise jumelle du climat et de la biodiversité », insistent les organisateurs du sommet.

Sur le modèle des « One planet summit » ?

Des points trop souvent occultés ? « Ce n’est pas tant qu’on ignore aujourd’hui le rôle crucial des forêts ni l’ampleur des dégradations qui les affectent, mais on peine encore à passer de l’analyse à l’action », répond Stéphane Hallaire. Pour preuve, sur les 4 milliards d’hectares de forêts que compte la Terre – soit un tiers des terres émergées – environ 10 millions ont été déboisés chaque année entre 2015 et 2020, selon le dernier rapport de l’ Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO). Un rythme plus lent que dans les années 1990, mais « qui révèle l’échec de certains engagements internationaux », indique Stéphane Hallaire. L’ONU s’était notamment fixé pour ses objectifs de développement durable, à atteindre d’ici à 2020, de mettre un terme à la déforestation et de restaurer les forêts dégradées.

Le « Global forest summit » veut donc marquer un passage aux actes. « Il listera les solutions connues, reconnues, maîtrisées qu’on va inviter à passer à l’échelle », poursuit Stéphane Hallaire. Sur ce point, l’événement n’est pas sans rappeler les « One Planet Summit », rendez-vous diplomatiques initiés par Emmanuel Macron, sur les enjeux environnementaux, pour faire naître des coalitions d’acteurs très variés sur des engagements très concrets. « À la différence que le sommet de ce vendredi est lancé par des acteurs de la société civile, insiste Thomas Friang. Mais l’intention est là même et il y aura des annonces d’entreprises et d’organisations internationales. » « Ça se chiffrera en millions », lance-t-il, en précisant qu’il parle à la fois en euros et en racines [nombre d’arbres plantés].

« Une confusion des genres » ?

Prometteur ? Sylvain Angerand, coordinateur des campagnes de l'association Canopée – Forêts vivantes, affiliée aux Amis de la Terre, comme Cécile Leuba, chargée de campagneà Greenpeace France, sont sceptiques. « Il y a une confusion des genres, fustige le premier. On présente l’événement comme un sommet mondial, sous le haut patronnage de l’Elysée, alors que c’est une opération de communication achetée et financée par une entreprise privée, Reforest’action, dont l’activité est de vendre des arbres. »

Toute la crainte des deux ONG est que ce « Global forest summit » assoit un peu plus l’idée que la plantation d’arbres serait « la solution magique » aux problèmes environnementaux. Parmi les invités à débattre, Sylvain Angerand et Cécile Leuba pointent notamment la présence du chercheur britannique Thomas Crowther, qui a publié une étude en février 2019 assurant que planter 1.200 milliards d’arbres permettrait d’annuler au moins dix ans d’émissions de CO2 anthropiques. « Elle a été reprise par de nombreux médias, bien que très vite critiquée par des scientifiques qui estimaient que le message était bien trop simpliste », indique Cécile Leuba. « Le minimum, ce vendredi, aurait été de mettre un contradicteur en face de Thomas Crowther, poursuit Sylvain Angerand. Je n’en vois pas. »

Pas si anodin ? « Planter un arbre est devenu une sorte de caution verte pour des entreprises qui, puisqu’elles le font, se disent qu’elles n’ont pas besoin de revoir leur modèle économique, même s’il est basé sur les énergies fossiles **, regrette le coordinateur de campagnes de Canopée. Ce sommet ne prévoit pas de débat, par exemple, sur la question de savoir s’il faut permettre à ces entreprises-là de faire de la compensation carbone via la plantation d’arbres. »

« Pas un sommet pour justifier la compensation carbone »

« On ne fait pas ce sommet pour justifier la compensation qui, au passage, ne représente qu’une petite partie de l’activité de Reforest’action****, se défend Stéphane Hallaire. On le fait pour avancer sur la question de comment protéger les forêts encore existantes et restaurer celles qui ont été dégradées. Ces deux enjeux sont tout aussi importants. L’ONU ne lance pas cette année la décennie de la restauration des écosystèmes pour rien. »

Mais pourquoi alors ce nouveau sommet « sorti de nulle part » ?, se demande Sylvain Angerand. « Il y a déjà de nombreuses instances de débat et de concertations sur ces enjeux de la forêt », rappelle-t-il. En France, cela se joue notamment autour de la Stratégie nationale de déforestation importée (SNDI), que le gouvernement a adoptée en novembre 2018. Ambitieuse, elle prévoit de mettre fin, d’ici à 2030, à la déforestation causée par l’importation de produits forestiers et agricoles non durables. « Mais seulement en misant sur les engagements volontaires des entreprises à revoir leurs approvisionnements, déplore Sylvain Angerand. Sans surprise, sa mise en œuvre est un échec et nous poussons, avec d’autres ONG, au sein du comité de suivi, pour que le gouvernement aille bien plus loin. Ne serait-ce qu’en réexaminant ses accords commerciaux internationaux… » «Ou en s'assurant que le soja importé par les entreprises françaises ne proviennent pas de déforestation», complète Cécile Leuba.

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Sylvain Angerand regrette alors que ni Reforest’action, ni l’Institut Open Diplomacy ne s’engagent à leurs côtés sur ces sujets. « On ne voit pas non plus Barbara Pompili aux réunions du comité de suivi de la SNDI d’ailleurs, tacle-t-il. Voilà pourquoi sa présence, ce vendredi, nous met en rogne également. »

*Thomas Friang est aussi co-fondateur et membre du conseil politique d’En Commun !, parti politique créé l’an dernier autour de Barbara Pompili

**Le think-tank se fixe l’objectif de favoriser la compréhension et la participation des citoyens à la vie internationale.

*** En onze ans, Reforest’action a planté 15 millions d’arbres dans trente pays, « avec pour cheval de bataille de promouvoir des forêts diversifiées et qui rendent un maximum de services écosystémiques (lutte contre le réchauffement climatique, préservation de la biodiversité, développement social et économique des populations locales…).

**** « La compensation carbone ne représente que 10 à 20 % de notre activité », assure Stéphane Hallaire. Un cas typique : Eni a un partenariat avec Reforest’action via lequel l’énergéticien propose à ses nouveaux clients de planter des arbres pour compenser les émissions de CO2 liées à leur consommation de gaz naturel.