NUCLEAIREDix ans après, la France a-t-elle tiré les leçons de Fukushima ?

Fukushima : Dix ans après, la France a-t-elle appliqué les leçons tirées de la catastrophe ?

NUCLEAIREDes Forces d’action rapide, un noyau dur pour chaque réacteur, un centre local de crise pour chaque centrale. Après l’accident de Fukushima, la France s'est dotée d’un plan visant à renforcer la sûreté de ses réacteurs nucléaires. Où en est-on dix ans plus tard ?
Fabrice Pouliquen

Fabrice Pouliquen

L'essentiel

  • Le 11 mars 2011, un séisme et un tsunami au large du Japon provoquaient plusieurs explosions et la fonte de trois des six réacteurs de la centrale nucléaire de Fukushima Dai Ichi, l’une des plus grandes au monde alors.
  • De par son scénario et son ampleur *, l’accident a poussé à une remise en cause profonde de la sûreté nucléaire au niveau mondial. En France, cela s'est traduit par une série de mesures pour améliorer encore la sécurité de nos réacteurs.
  • Dix ans plus tard, plusieurs mesures de ce plan post-Fukushima sont effectives. Comme les Forces d'action rapide ou les Diesels d'ultime secours. D'autres, en revanche, accusent d'importants retards, fustige Greenpeace.

«On ne peut garantir qu'il n'y aura jamais d'accident grave en France ». Le 30 mars 2011, alors que les caméras du monde entier étaient toujours braquées sur l’accident nucléaire de Fukushima Daïchi, toujours en cours, André-Claude Lacoste, président de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), le gendarme du nucléaire français, appelait à tirer toutes les leçons de la catastrophe dans les colonnes du Monde.

C’est au moins ce à quoi peuvent servir ces accidents. « Les retours d’expérience sont, avec la recherche, les deux piliers de l’amélioration de la sûreté nucléaire », indique Karine Herviou, directrice générale adjointe à l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (Irsn).

« Imaginer l’imaginable »

De par son scénario et son ampleur *, l’accident de Fukushima Daïchi a poussé à une remise en cause profonde de la sûreté nucléaire au niveau mondial. « Y compris en Europe, bien qu’un passage en revue des installations nucléaires, très vite après la catastrophe, a montré que ce qui était arrivé à Fukushima y était peu envisageable », glisse Jean-Pierre Pervès, ancien directeur du centre CEA de Saclay et membre de la Société française d’énergie nucléaire (SFEN), association pro-nucléaire.

Mais « Fukushima nous oblige à imaginer l'inimaginable et à nous y préparer », lançait en mars 2013 Jacques Repussard, alors directeur de l’Irsn, dans Le Figaro. Concrètement, « les exploitants d’installations nucléaires ont eu pour consigne de renforcer significativement la sûreté de leurs sites afin qu’ils soient protégés contre des agressions naturelles plus importantes que celles prises en compte lors de leur conception (des séismes de forte magnitude ou des événements météorologiques extrêmes comme des tornades), illustre Karine Herviou. Il leur a aussi été demandé d’être en capacité de gérer des situations accidentelles affectant tous les réacteurs d’un même site à la fois, quand les simulations d'accident portaient jusque-là sur un seul réacteur. »

Forces d’action rapide, noyau dur et centre local de crise...

En France, un plan post-Fukushima compile toute une série de mesures demandées par l’ASN, notamment à EDF, pour renforcer la sûreté nucléaire des réacteurs. Cela passe notamment par la création des Forces d’action rapide du nucléaire (Farn). Autrement dit, « des équipes commandos très entraînées, qui ont des moyens de franchissement et des apports en eau et en électricité qu’elles peuvent rapidement déployer sur un site nucléaire accidenté, explique Karine Herviou. Il en existe quatre en France, pleinement opérationnelles depuis fin 2015 et comptant au total 300 membres. Elles peuvent être envoyées sur n’importe quel site nucléaire dans les 24 heures qui suivent un accident. »

D’autres mesures de ce plan post-Fukushima concernent plus directement les installations nucléaires. A commencer par la mise en place, pour chaque réacteur, d’un « noyau dur », concept développé par l’Irsn. « C’est un ensemble d’équipements, autonomes du réacteur et très robustes aux agressions extrêmes, pour assurer les fonctions vitales d’une centrale en cas d’accident très grave, poursuit Karine Herviou. C’est essentiel pour pouvoir arrêter et contrôler la réaction nucléaire, évacuer la puissance contenue dans le réacteur et confiner la matière radioactive. » Tout ce qui n’a pu être fait à Fukushima. « Ces noyaux durs se composent principalement d’un Diesel d’ultime secours (DUS) , pour l’alimentation en électricité, et d’une source d’eau froide ultime, pour l’alimentation en eau, tous deux reliés aux réacteurs par un système de tuyaux qui leurs sont propres », ajoute Jean-Pierre Pervès.

Autre point clé du plan : le Centre local de crise (CCL), dont doit être dotée chaque centrale française. « Il s’agit d’un bâtiment de repli, bunkerisé, où le personnel d’une installation nucléaire accidentée doit pouvoir se réfugier et continuer à assurer au mieux la maintenance du site tout en restant en liaison avec l’extérieur », décrit Karine Herviou.

Un plan post-Fukushima pas achevé avant 2039 ?

Reste à savoir où en est EDF dans la mise en œuvre des leçons tirées de Fukushima. Dix ans après la catastrophe, Greenpeace dresse un constat sévère : « Sur 23 mesures structurantes demandées par l’ASN, seules 12 ont été mises en place sur l’ensemble du parc », constate l’ONG en s’appuyant sur un rapport commandé à l’Institut Négawatt.

Pour les Farn, les fameux « commandos », c’est fait. EDF a également achevé l’installation des Diesels d’ultime secours en février dernier. « Soit tout de même deux ans après le délai fixé initialement par l’ASN », pointe Roger Spautz, chargé de campagne Nucléaire à Greenpeace France.

Quant aux sources d’eau ultimes dédiées, une composante clé des noyaux durs, seuls quatre réacteurs en sont aujourd’hui équipés, regrette Greenpeace. « L’ASN avait demandé à ce que les travaux soient achevés pour l’ensemble du parc d’ici à fin 2021 », indique Karine Herviou. Ce ne devrait pas être le cas avant 2023, estime l’Institut Negawatt.

Les Centres locaux de crise prennent aussi du retard. « Une seule centrale, celle de Flamanville, en est équipée », indique Roger Spautz. L’ensemble du parc devrait être équipé d’ici à 2026, toujours selon l’Institut Negawatt. « Au rythme actuellement prévu, il faudrait attendre 2039 pour que les normes post-Fukushima soient enfin respectées sur l’ensemble des réacteurs français », résume Greenpeace. Qui ne critique pas seulement EDF mais aussi l’ASN, laquelle a laissé à « l’énergéticien un retard considérable ».

« Des chantiers parfois considérables »

Pour Jean-Pierre Pervès, il n’y a pas matière à scandale. « Le niveau de sûreté des réacteurs français était déjà bon avant mars 2011. Le plan post-Fukushima demande juste d’aller plus loin en prenant en compte l’inimaginable, rappelle-t-il. Et certaines mesures demandées par l’ASN entraînent des chantiers considérables. Les Diesels d’ultime secours, par exemple, sont des bâtiments bunkerisés d’une taille équivalente à trois étages, construits sur des patins antisismiques et en hauteur pour prendre en compte le risque inondation. Pour un tel chantier, il faut qualifier le matériel, obtenir les autorisations administratives, multiplier les aller-retours avec les autorités de sureté, entreprendre les travaux quand le réacteur est à l’arrêt... » En clair, « tout cela prend du temps, résume le membre de la SFEN. Encore plus quand on veut bien le faire. »

* Un séisme de mangnitude 9.1 suivi d’un tsunami qui provoquent plusieurs explosion dans la centrale et la fonte de trois des six réacteurs