Journée des baleines : « La pollution sonore aussi est un fléau pour les mers et les océans »
INTERVIEW•Pour la journée mondiale des baleines ce vendredi, Michel André, directeur du Laboratoire de bioacoustique appliquée de l’université de Catalogne, nous parle d’une pollution méconnue de nos océans : les nuisances sonores… Qui touche les cétacés, mais pas seulementPropos recueillis par Fabrice Pouliquen
L'essentiel
- Depuis trente ans, le bioacousticien Michel André écoute les mers et océans, avec une attention particulière sur l’impact de la pollution sonore générée par les activités humaines sur la biodiversité marine.
- « Avec l’idée de départ que les cétacés seraient les premières espèces affectées par ces bruits, raconte-t-il à 20 Minutes. Mais plus on avance dans nos recherches, plus on se rend compte que d’autres animaux souffrent sans doute plus encore de cette pollution sonore. »
- Un fléau qui tend à s’accroître à mesure que nos activités en mer s’intensifient. Mais Michel André reste optimiste. Des solutions sont à l’œuvre pour rendre les futurs bateaux moins bruyants.
Une marée noire ou une soupe de déchets plastiques… Ce sont souvent les premières images qui nous viennent en tête lorsqu’on parle de « pollution marine ». Et le bruit alors ? Depuis trente ans, Michel André, directeur du Laboratoire de bioacoustique appliquée de l ’université polytechnique de Catalogne, écoute les mers et océans.
Le programme LIDO (Listen to the Deep-Ocean), qu’il coordonne, a permis d’installer 150 capteurs acoustiques sous-marins dans les principaux océans, réseau qu’il continue de faire croître. A partir de celui-ci, le bioacousticien, lauréat des Prix Rolex à l'esprit d'entreprise, se penche en particulier sur la façon dont la pollution sonore générée par les activités humaines affecte la biodiversité marine. A commencer par les baleines, dont ce vendredi est la journée internationale. « Mais pas seulement », insiste Michel André, qui répond aux questions de 20 Minutes.
Les mers et les océans sont-ils finalement beaucoup moins silencieux qu’on ne le croit ?
Le milieu marin n’a jamais été un monde du silence. Depuis que la Terre existe, il est traversé de sons et de bruits. Ils proviennent déjà des processus physiques naturels. Les tremblements de terre, les vagues, la pluie… Puis sont arrivés les organismes marins.
Dans les mers et les océans, il n’y a pas de lumière, sauf très près de la surface. Dès lors, le seul moyen pour ces organismes de communiquer, d’échanger des informations, passe par les sons et les bruits… Ces codes acoustiques, d’une diversité incroyable, régissent toute la vie des océans. Mais notre oreille n’est pas faite pour entendre sous l’eau, si bien qu’ils nous échappent.
Les sons et les bruits que génèrent les activités humaines tendent-ils de plus en plus à couvrir ces sons naturels ?
Cette pollution sonore est aussi ancienne que la pollution plastique ou les marées noires. Toutes sont apparues il y a un peu plus d’un siècle, lorsque nous avons commencé à exploiter la mer de façon industrielle. Mais parce qu’invisible et pratiquement inaudible, la pollution sonore est restée longtemps ignorée alors que c'est autant un fléau pour les mers et océans. Ce n’est que depuis une vingtaine d’années que nous sommes capables de la mesurer.
Ces bruits sont déjà ceux des moteurs des bateaux. Plus de 100.000 porte-conteneurs sillonnent les mers chaque jour. Mais ce sont aussi les charges acoustiques qu’utilise la prospection gazière et pétrolière pour tenter de découvrir des gisements dans les fonds marins, les manœuvres militaires ou encore la construction de parcs éoliens en mer.
Cette pollution sonore impacte-t-elle surtout les baleines ?
Nous le pensions au regard de l’importance des signaux acoustiques que les cétacés s’échangent pour communiquer, s’orienter, se reproduire, chercher leurs proies… L’idée était même d’étudier la sensibilité de toutes les espèces de cétacés* à cette pollution, pour définir des seuils de tolérance qui vaudraient à la fois pour ces grandes baleines mais aussi pour le reste de la chaîne alimentaire marine. Mais plus nous avançons dans nos recherches, plus nous nous rendons compte que d’autres animaux souffrent, sans doute plus encore, de ces nuisances.
C’est le cas des invertébrés marins, qui regroupent des milliers d’espèces (crustacés, céphalopodes, méduses, coraux…). Ils ont beau être dépourvus d’oreilles, ils sont capables de capter les composantes mécaniques du son grâce à des organes sensoriels. Lorsqu’ils sont exposés à des sources sonores artificielles, on observe des traumatismes au point, sans doute, d’impacter leur capacité à se nourrir, se déplacer, gérer la gravité… Or, pour la plupart, ces invertébrés n’ont pas la capacité des cétacés à fuir rapidement une zone polluée, si bien qu’ils peuvent subir des doses de sons artificiels bien plus importantes.
Peut-on même dire que les cétacés ont fini par s’adapter à cette pollution sonore ?
Ils ont sans doute appris à la gérer parce que leur vie en dépend. Des espèces continuent de vivre dans des zones d’intenses activités humaines, en Méditerranée ou en Asie du sud-est, par exemple. Comme nous, finalement, les cétacés sont capables de vivre dans un espace bruyant du moment que cela ne les empêche pas totalement de s’orienter, se nourrir… Mais il y a des limites. Quand la pollution sonore devient trop forte, ils finissent par partir, ce qui déséquilibre toute la chaîne alimentaire.
Existe-t-il des zones épargnées ?
Les propriétés physiques des océans font que les sons s’y propagent cinq fois plus vite que dans l’air et à des distances bien plus importantes. Jusqu’à des centaines de kilomètres. Dès lors, il n’y a pratiquement plus aujourd’hui de zones exemptes de pollution sonore.
Bien entendu, les niveaux diffèrent. Plus on est près des activités humaines et plus ces nuisances sonores sont intenses. A l’inverse, dans les mers du Pacifique Sud, près de la Polynésie française, nous avons relevé les niveaux de pollutions sonores les plus bas, sans doute proches de zéro. Mais même l’Antarctique n’est plus épargnée. Le continent est pourtant juridiquement protégé des activités humaines, mais les bateaux de croisières y restent autorisés une partie de l’année. Cette activité a beau être très encadrée sur le volet environnemental, aucune mesure n’est prise pour limiter les nuisances sonores qu’elle crée.
L’Antarctique et l’Arctique sont des cas d’études très intéressants. Nous avons lancé la mission « A l’écoute des pôles » en mars dernier. Elle vise à installer six observatoires acoustiques dans chacune de ces deux régions pour y étudier l’impact du changement climatique sur la pollution sonore. La fonte des glaces permet à de nouvelles espèces d’accéder à ces zones et à de nouvelles activités humaines de se développer, ce qui peut bouleverser le paysage sonore et donc l’équilibre de la biodiversité polaire.
Des solutions sont-elles mises en œuvre pour réduire cette pollution sonore ?
On peut espérer que les bateaux seront à l’avenir plus silencieux. Jusque-là, on pensait surtout à isoler les salles de machines pour le confort des humains à bord. De plus en plus, on isole les coques pour protéger la vie marine. En tournant, les hélices des navires engendrent aussi des variations de pression qui provoquent l’apparition de bulles gazeuses. Lorsqu’elles explosent, elles produisent des bruits de grande intensité. Des améliorations ont été apportées pour réduire ce phénomène de cavitation.
Plus difficiles à éradiquer : les nuisances sonores volontaires émises par la recherche pétrolière ou lors des manœuvres militaires. Mais même là, il y a des pistes d’amélioration. En 2002, nous avons mis par exemple au point un système de localisation acoustique en temps réel des cétacés. L’idée a inspiré le dispositif « Repcet », qui équipe aujourd’hui des navires en Méditerranée dans le but d’éviter les collisions avec ces animaux marins. On travaille aussi à équiper les plateformes pétrolières ou les bateaux militaires de dispositifs acoustiques pour qu’ils puissent cesser ponctuellement leurs activités lorsqu’ils repèrent des cétacés à proximité.