ANIMAUXHippopotames et baleines ont-ils le même ancêtre aquatique ?

L’ancêtre commun des hippopotames et des baleines était-il aquatique ?

ANIMAUXDécouvrez, chaque jour, une analyse de notre partenaire The Conversation. Aujourd’hui, une chercheuse en paléobiologie nous explique ce qui lie et différencie deux des mammifères les plus massifs
Vue d'artiste d'un Anthracotherium
Vue d'artiste d'un Anthracotherium - © Dmitry Bogdanov / CC BY-SA 3 & Republica / Pixabay / 20 Minutes
20 Minutes avec The Conversation

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L'essentiel

  • Des études moléculaires ont récemment établi que certains caractères anatomiques des baleines les rapprochent des hippopotames, selon une étude publiée par notre partenaire The Conversation.
  • La question est de savoir si l’ancêtre commun de ces deux espèces était aquatique ou si elles se sont indépendamment adaptées à un mode de vie semi-aquatique pour l’une, aquatique pour l’autre.
  • Ces recherches ont été menées par Alexandra Houssaye, chercheuse en Paléobiologie/Morphologie fonctionnelle au Muséum national d’histoire naturelle (MNHN).

Il est aujourd’hui bien connu que les baleines sont des mammifères. Des études moléculaires ainsi que certains caractères anatomiques les ont rapprochées des artiodactyles, ongulés possédant un nombre pair de doigts (vaches, chameaux, cochons, moutons, girafes).

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Ces organismes sont notamment caractérisés par la forme d’un des os de la cheville, l’astragale, qui est à double poulie (voir ci-dessous). Mais comment les chercheurs ont-ils pu observer cette particularité chez les cétacés puisque ces derniers n’ont pas de membre postérieur ? S’il en est ainsi chez les cétacés actuels, ce n’est pas le cas des premiers cétacés (par exemple chez Pakicetus) qui possédaient des membres postérieurs et chez qui ce caractère a pu être observé.

Astragale de Pakicetus (à gauche), un des premiers cétacés, montrant la double poulie typiquement observée chez les artiodactyles (cochon, cerf) © www.nyit.edu (via The Conversation)

Il a fallu ensuite trouver quel groupe était le plus proche des cétacés au sein des artiodactyles. Depuis les années 1990, les analyses moléculaires suggèrent qu’il s’agit des hippopotames. Cependant entre les hippopotames modernes et les cétacés – même les premiers – il est difficile de visualiser une telle proximité.

Il n’existe actuellement que deux espèces d’hippopotames : l’hippopotame commun (environ 1.500 kg) et l’hippopotame pygmée (environ 225 kg). L’hippopotame commun vit sur les fleuves et rivières en Afrique subsaharienne tandis que l’hippopotame pygmée, dont le mode de vie est très mal connu, car il est peu observé, vit dans des milieux forestiers proches de cours d’eau en Afrique de l’Ouest.

Hippopotames communs (à gauche) et hippopotames pygmées (à droite) © Wikimedia CC BY-SA

Ce n’est que récemment que l’on a trouvé qui était le groupe souche des hippopotamidés. Alors qu’on avait rapproché les hippopotamidés des cochons et des pécaris, des découvertes paléontologiques récentes ont confirmé leur relation avec les anthracothères, groupe d’herbivores de tailles variées (d’une trentaine de kilos à plusieurs tonnes) et présentant des formes terrestres et semi-aquatiques, qui se sont diversifiés depuis la fin de l’Éocène moyen, il y a environ 40 millions d’années, et sont représentés dans le registre fossile par un peu moins d’une centaine d’espèces.

Un ancêtre commun semi-aquatique ?

La question est de savoir si l’ancêtre commun des hippopotames et des baleines était aquatique ou si ces deux lignées se sont indépendamment adaptées à un mode de vie semi-aquatique pour l’une, aquatique pour l’autre.

Anthracotherium et Elomeryx, deux anthracothères, proches parents des hippopotames modernes et cousins des cétacés © Apokryltaros/Wikipedia, CC BY-SA

En effet, de nombreuses formes sont considérées comme semi-aquatiques au sein des anthracothères mais leurs modes de vie restent très incertains, les données sédimentaires et morphologiques étant ambiguës. Divers types d’approches complémentaires cherchent à clarifier le mode de vie de ces formes disparues : l’étude de leurs capacités sensorielles, le type d’usure de leurs dents traduisant leur alimentation, des analyses isotopiques (valeurs différentes notamment selon le milieu de l’eau bue).

Le squelette postcrânien (corps) de ces organismes a été relativement peu étudié d’un point de vue fonctionnel. Or les adaptations du squelette postcrânien peuvent permettre de clarifier les hypothèses paléoécologiques. Et pourquoi ne pas regarder à l’intérieur de leurs os ? En effet, la distribution des tissus osseux dans les os varie selon les contraintes imposées au squelette, et donc selon le mode de locomotion et le milieu de vie des organismes.

Notre récente étude (en cours de publication) s’est donc intéressée à la structure interne des os des membres chez les hippopotamoïdes (hippopotamidés + anthracothères). Les chercheurs ont passé des humérus (os du bras) et fémurs (os de la cuisse) au microtomographe à rayons X qui permet de faire une sorte de radio en 3D des os et ont comparé les structures observées à celles d’animaux actuels.

Humérus d’hippopotame pygmée passé aux rayons X afin d’en observer la structure interne © Alexandra Houssay

Ces comparaisons montrent que la quasi-totalité des mammifères quadrupèdes terrestres, comme le sanglier, présente une structure en tube, avec un tube d’os compact entourant une cavité médullaire libre (comme un os à moelle ; voir coupes d’os ci-dessous). Chez les animaux assez massifs, ce tube est plus épais, comme chez le buffle. Chez les animaux très massifs, comme les rhinocéros, l’organisation est complètement modifiée : un tissu spongieux occupe l’espace médullaire, afin de mieux résister aux très lourdes contraintes liées au poids. Quant aux animaux aquatiques montrant des capacités de nage assez limitées, comme les premiers cétacés, ils ont tendance à avoir des os très compacts donc très lourds, ce qui leur permet notamment de contrôler leur flottabilité.

Coupes transverses d’humérus d’hippopotamoïdes (en bas) et d’autres mammifères à titre comparatif. Coupes faites à l’endroit du trait rouge de la figure précédente. En noir le tissu osseux. En blanc : l’espace médulaire. T : Terrestre ; L : Lourd ; SA : semi-aquatique ; A : aquatique ; + : fortement © Alexandra Houssaye

Pour ce qui est des animaux semi-aquatiques, ils montrent généralement un épaississement du tube d’os compact et un léger remplissage de la cavité médullaire. L’importance de ce changement dépend de leur degré d’adaptation et de dépendance au milieu aquatique. Ainsi il est assez faible chez l’hippopotame pygmée et le tapir qui peuvent tous deux nager sous la surface, mais bien plus élevé chez une loutre de mer qui passe l’essentiel de son temps dans l’eau et dont la locomotion terrestre est très difficile.

Une augmentation de la compacité peut ainsi être associée à un poids massif ou à un mode de vie semi-aquatique. Si entre une loutre et un éléphant la contrainte adaptative en jeu paraît évidente, les choses ne sont pas aussi simples pour les animaux massifs semi-aquatiques comme l’hippopotame commun, qui sont à la fois lourds et semi-aquatiques ! Il est ainsi nécessaire de prendre en compte la stature pour inférer le milieu de vie de ces organismes.


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L’hippopotame commun est plus massif et davantage lié au milieu aquatique que l’hippopotame pygmée. Ses humérus montrent un tube très épais et des travées dans l’espace médullaire.

L’étude de ces structures osseuses a permis de suggérer un mode de vie terrestre chez Microbunodon, forme élancée ne dépassant pas 20 kg, un léger degré d’adaptation à un mode de vie semi-aquatique chez Brachyodus, forme massive dépassant 2 tonnes, et un degré plus important chez Hexaprotodon, forme massive dépassant également 2 tonnes. Ces résultats suggèrent que, chez les hippopotamoïdes, aucune forme ne montre une plus forte dépendance au milieu aquatique que l’hippopotame commun. L’adaptation à un mode de vie semi-aquatique se fait différemment de chez les cétacés, ce qui suggère bien deux retours convergents au milieu aquatique chez ces lignées. Il n’y a donc sûrement pas une seule et même origine semi-aquatique à ces deux lignées.

Cette analyse a été rédigée par Alexandra Houssaye, chercheuse en Paléobiologie/Morphologie fonctionnelle au Muséum national d’histoire naturelle (MNHN).
L’article original a été publié sur le site de The Conversation.