VIDÉO. Malgré leurs superpouvoirs, les insectes sont menacés par les changements environnementaux
BIODIVERSITÉ•Découvrez, chaque jour, une analyse de notre partenaire The Conversation. Aujourd’hui, deux chercheurs en écologie nous rappellent combien l’activité des insectes est essentielle pour la planète20 Minutes avec The Conversation
L'essentiel
- Les insectes représentent environ 50 % de tous les organismes vivants connus sur terre, selon une étude publiée par notre partenaire The Conversation.
- Leur biodiversité est de plus en plus affectée par les changements environnementaux mondiaux.
- L’analyse de ce triste constat a été menée par Fabrice Requier, chargé de recherche à l’Université Paris-Saclay et Olivier Dangles, écologue à l’Institut de recherche pour le développement.
Les scientifiques tirent la sonnette d’alarme : la biomasse d’insectes a diminué au cours des 40 dernières années, déclinant même de près de 75 % dans certaines régions d’Europe. Les insectes sont pourtant indispensables pour notre sécurité alimentaire et le maintien de la biodiversité. Leur déclin pose question quant à la résilience des services qu’ils rendent pour l’agriculture, qui dans sa forme actuelle ne pourrait pas exister sans eux ! Ces services peuvent être vus comme autant de super-pouvoirs trop souvent négligés et malheureusement menacés.
Ce sont principalement les changements environnementaux mondiaux qui affectent la biodiversité des insectes, en premier lieu la destruction et l’altération des habitats naturels ainsi que la contamination des milieux par les pesticides. La mondialisation des échanges, responsable de l’arrivée d’insectes envahissants, et le réchauffement climatique, qui favorise leur implantation et modifie les aires de distribution de nombreuses espèces, accentuent encore le phénomène.
Les insectes représentent environ 50 % de tous les organismes vivants connus sur la terre, regroupant 75 % du règne animal. Par leur abondance et leur diversité, ils constituent une composante essentielle de la vie terrestre.
Tout d’abord, les insectes sont une ressource alimentaire directe pour les oiseaux, les mammifères et les amphibiens.
Mais les ils ne fournissent pas seulement de la nourriture à d’autres organismes ; ils leur apportent également des services écosystémiques qui permettent le maintien et l’équilibre dynamique des écosystèmes tels que la pollinisation, le cycle des nutriments et la lutte biologique.
Ces facultés sont également clés pour la sécurité alimentaire, la santé humaine et le développement économique, car l’agriculture en bénéficie tous les jours. Tour d’horizon de quelques-uns de ces super-pouvoirs.
Champions de la pollinisation
Dans le monde, près de 90 % des espèces de plantes à fleurs sont pollinisées par des animaux, principalement des insectes tels que les abeilles. Ces plantes à fleurs sont essentielles au fonctionnement des écosystèmes et garantissent, par exemple, la régulation de la qualité de l’air, de l’eau douce et du climat, et l’approvisionnement en médicaments.
Par ailleurs, 5 à 8 % de la production agricole mondiale est directement attribuable à la pollinisation par les insectes. Ainsi, la valeur économique de la pollinisation par les insectes est estimée entre 235 à 577 milliards de dollars (USD) annuellement pour les cultures destinées à l’alimentation humaine.
Les insectes pollinisateurs sont donc des super-héros, garantissant notre sécurité alimentaire. En effet, de nombreux fruits, légumes, semences, noix et oléagineux fournissant des proportions importantes de micronutriments, de vitamines et de minéraux dans l’alimentation humaine, dépendent des pollinisateurs.
Notre dossier « Insectes »
Par ailleurs, une étude a mis en évidence que la baisse de diversité alimentaire associée au déclin des pollinisateurs pourrait causer des déficits en certains nutriments et engendrer une augmentation de la fréquence de certains troubles ou maladies. Si les services de pollinisation des insectes sont considérablement endommagés, il y aura de graves impacts sur les économies agricoles et la sécurité alimentaire.
Ce sont les images du miel et de la ruche qui viennent généralement à l’esprit lorsqu’on évoque le mot « abeille ». Pourtant, en Europe, le miel est produit par une seule espèce, l’abeille mellifère (Apis mellifera L.), tandis que le mot « abeille » rassemble une diversité écologique remarquable.
La super-famille des Apoidea, ou abeilles, comprend en effet environ 20 000 espèces dans le monde et près de 2 000 espèces en Europe. En agriculture, le service de pollinisation est d’autant plus efficace lorsqu’il est rendu par une diversité d’abeilles. Des études ont mis en évidence une complémentarité et une synergie d’action entre l’abeille mellifère et les abeilles sauvages pour les rendements des cultures entomophiles (c’est-à-dire dont la pollinisation est faite par les insectes).
En Argentine, par exemple, les bourdons améliorent la production de pommes en association avec les abeilles mellifères. Le bourdon sud-américain Bombus pauloensis a presque disparu du territoire argentin depuis l’introduction de bourdons européens, importés pour polliniser des cultures sous serre.
Il a déserté les environnements agricoles et ne s’aventure plus, comme la plupart des pollinisateurs, dans les vergers de pommes traités aux pesticides. Or ce bourdon natif est un excellent pollinisateur de pommiers. Pour étudier l’impact potentiel de sa disparition pour la production fruitière, des chercheurs ont réintroduit quelques colonies de Bombus pauloensis dans plusieurs vergers et en ont mesuré les rendements.
Comparée à celle obtenue dans des vergers sans bourdons et seulement pollinisée par l’abeille mellifère (Apis mellifera), la production de fruits est nettement améliorée : les pommiers donnent plus de fruits et les pommes portent plus de graines lorsque les fleurs sont visitées par le bourdon et les abeilles mellifères.
Une communauté diversifiée de pollinisateurs assure généralement une pollinisation des cultures plus efficace et plus stable que n’importe quelle espèce seule. La diversité des pollinisateurs contribue à la pollinisation des cultures même lorsque des espèces gérées par l’Homme (par exemple, les ruches d’abeilles mellifères Apis mellifera) sont présentes en abondance.
Pour les agriculteurs, cette étude démontre que la réintroduction du bourdon local se traduirait par de meilleurs revenus. Mais son maintien ne sera possible que si le recours aux pesticides diminue. D’autres études récentes ont démontré qu’en termes de production et rentabilité des cultures, le service de pollinisation rendu par les abeilles surpasse les bénéfices dérivés des pesticides dans le cas du colza. Ces résultats illustrent parfaitement l’importance de conserver les insectes pour notre production alimentaire.
Le bourdon, un auxiliaire précieux pour la pollinisation des cultures © Observateur / Pixabay
Il est important de souligner que les abeilles ne sont pas les seuls insectes pollinisateurs. Certaines espèces parmi les diptères (les syrphes par exemple), les coléoptères (les cétoines par exemple) ou les lépidoptères (les papillons de jour et de nuit) jouent un rôle crucial dans la pollinisation de nombreuses cultures et dans la reproduction des plantes en général.
Il est également important de rappeler qu’il faut bien différencier l’abeille mellifère et les abeilles sauvages (et autres pollinisateurs sauvages) lorsque l’on parle de déclin des pollinisateurs. La première, employée en apiculture, accuse des surmortalités importantes mais le nombre global de ruches augmente chaque année.
Les surmortalités sont encore mal comprises, mais elles résulteraient d’une combinaison de plusieurs facteurs : exposition aux pesticides, manque de ressource florale et augmentation des pathogènes et parasites.
Les abeilles sauvages et les pollinisateurs sauvages accusent quant à eux un déclin important causé avant tout par l’altération et la destruction des habitats (disparition des haies, raréfaction des fleurs, etc.), sans que l’on puisse négliger, là encore, l’incidence négative des pesticides.
Les insectes, alliés de la fertilité des sols
Contrairement à la pollinisation, les autres services écosystémiques fournis par les insectes (lutte biologique, décomposition et cycle des nutriments, maintien de la structure et de la fertilité du sol) sont souvent difficiles à relier directement à la sécurité alimentaire, et sont donc plus difficiles à évaluer en terme économique. Le superpouvoir le plus répandu fourni par les insectes, et peut-être le plus sous-évalué, est leur rôle dans le développement et le maintien de la structure et de la fertilité du sol.
De nombreuses espèces d’insectes, essentiellement des coléoptères, décomposent les détritus végétaux et animaux, améliorent la structure du sol, et augmentent le stockage de carbone et d’eau sous nos pieds. Ces super-pouvoirs fournis par les bousiers sont estimés aux États-Unis à 380 millions USD par an.
Le scarabée bousier utilise des pelotes sphériques de matière fécale comme nourriture et comme matériau de construction © MichLogan / Pixabay
Les bousiers et les coléoptères en général ne sont qu’un petit composant de tous les insectes qui permettent le recyclage rapide et efficace des nutriments. D’autres insectes jouent ce rôle comme les termites, les fourmis, les mouches, les blattes et les collemboles.
Ennemis des nuisibles
La lutte biologique est un autre superpouvoir rendu par les insectes. Les super-héros mis en avant peuvent être des ennemis et antagonistes naturels et des agents de lutte biologique qui réduisent les populations de différents organismes nuisibles. Par exemple, de minuscules guêpes et mouches peuvent contrôler naturellement les ravageurs des cultures en pondant leurs œufs dans le corps des ravageurs.
Sans elles, celles-ci seraient dévastées et la dépendance aux produits agrochimiques, avec tous les coûts environnementaux et financiers associés, serait ruineuse. Pour ne prendre qu’un exemple, la guêpe Cotesia flavipes qui a été importée en Afrique de l’Est et australe pour lutter contre le foreur envahissant du maïs, le Lepidoptère Chilo partellus, dans les années 90, aurait sauvé les moyens de subsistance de plus de 130 000 agriculteurs ruraux de la région.
L’analyse coûts-avantages suggère que les avantages économiques sur une période de 20 ans de cette minuscule guêpe étaient de 183 millions USD au Kenya et de 39 millions USD en Zambie. Un autre exemple, plus emblématique est le service rendu par les coccinelles dans nos cultures et jardins. Les coccinelles peuvent, par prédation, contrôler les invasions de pucerons.
Coccinelle ayant isolé des pucerons au bout de feuilles de rosiers et s’apprêtant à en manger © Wikimedia cc by-sa 4.0
Qu’ils soient pollinisateurs, agent de lutte biologique ou décomposeur, les insectes rendent des services écosystémiques inestimables en agriculture tout comme dans la nature et nos jardins. Ils fécondent de nombreuses espèces cultivées et contribuent au maintien de la biodiversité. Trop souvent, nous attendons que ces services se détériorent pour prendre conscience de leur importance. La conservation des insectes est devenue une question urgente. L’agriculture dans sa forme actuelle ne pourrait pas exister sans eux.
Chacun d’entre nous doit prendre conscience de l’importance des insectes dans notre monde moderne, et le mot « insecte » ne devrait pas être perçu comme négatif : ces animaux ont des superpouvoirs qui peuvent sauvegarder la capacité de nos systèmes agricoles à garantir notre sécurité alimentaire.
Cette analyse a été rédigée par Fabrice Requier, chargé de recherche à l'Université Paris-Saclay et Olivier Dangles, écologue à l'Institut de recherche pour le développement. L’article original a été publié sur le site de The Conversation.