Ecologie : Pourquoi Emmanuel Macron veut relancer les trains de nuit (alors que l'Etat n'en voulait plus) ?
PLANETE•Le président de la République a indiqué dans son interview du 14 juillet qu’il entendait refaire des trains de nuit une alternative aux vols domestiques et au TGVJulien Laloye
L'essentiel
- Parmi ses annonces du 14 juillet, le président de la République a indiqué vouloir redynamiser la circulation des trains de nuit en France.
- Malgré une géographie favorable et un maillage presque sans équivalent en Europe dans les années 70, la France a peu à peu abandonné les trains nocturnes jusqu’à ne compter que deux lignes actives en 2020.
- Relancer les trains de nuit permettrait d’offrir une alternative de plus à l’avion et rentrerait dans le cadre de déplacement plus respectueux de l’environnement.
Il est des retournements de veste plus mémorables que d’autres. Même si rien n’égalera jamais la volte-face sur les masques, from « ça sert à rien vous embêtez pas avec ça » to « c’est obligatoire pour tout le monde à partir du mois d’août », rendons hommage également aux atermoiements de la puissance publique sur la question des trains de nuit, brusquement réhabilités par Emmanuel Macron lors de son interview du 14 juillet après avoir été enterrés sans même une oraison funèbre par François Hollande en 2016. Une petite pensée à ce sujet pour Guillaume Pépy, qui doit être bien content d’avoir lâché la commande du poste d’aiguillage à l’automne dernier, lui qui se payait les nostalgiques des Orient Express hexagonaux dans une interview à France Inter en 2017 :
« « On est là dans les petites contradictions françaises qu’on adore. Du temps où les trains de nuit existaient, il n’y avait pas grand monde pour les prendre sauf le vendredi et le dimanche. Depuis qu’ils ont disparu, une décision de l’État parce qu’il en coûtait 100 millions d’euros par an au contribuable, c’est dingue le nombre d’amateurs des trains de nuit, mais c’est un peu tard. Il aurait fallu plus les utiliser avant. Pourquoi les trains de nuit disparaissent partout ? Parce que les hôtels pas chers ont remplacé les couchettes, et deuxième chose, parce que l’arrivée du TGV fait, que quand on se dit qu’il faut 9h pour faire Paris-Marseille, vous dites tiens il y a peut-être un TGV qui le fait en trois heures. J’ai moi-même la nostalgie des trains de nuit, mais on est dans un nouveau monde ». »
Seulement deux lignes encore actives
Le nouveau monde promettrait donc de ressembler à l’ancien, celui d’avant les TGV, quand les trains de nuit desservaient plus de 550 villes françaises en 1981, comme répertorié par un fana de la cartographie ferroviaire ? « Il y a une demande unanime de réduire les émissions de gaz à effet de serre, or quel meilleur moyen de voyager à longue distance avec un faible impact carbone et sans perdre trop de temps que le train de nuit ? », demande Charles Henri-Paquette, membre de l’association Oui au train de nuit depuis 2016. Née des mécontentements locaux après la disparition progressive des lignes historiques, le collectif s’est peu à peu transformé en force de proposition active, auteur d’un rapport très riche sur le sujet. Tous les clichés autour du train de nuit, notamment sa ringardise supposée et son rendement catastrophique, y sont soigneusement démontés, chiffres officiels à l’appui.
En 2019, l’Autorité de Régulation des Transports (ART) démentait ainsi les propos du PDG de la SNCF : « En 2015, le taux d’occupation des trains de nuit (47 %) était près de 10 points au-dessus de la moyenne de l’activité Intercités. Le taux d’occupation dépasse 49 % en 2016, « la ligne Paris – Nice – Vintimille [supprimée depuis] affichait le plus fort taux d’occupation de l’offre de nuit en 2017 (56 %) ». Quand au caractère structurellement déficitaire d’une activité qui ne concerne que 3 % de l’ensemble des passagers, « c’est surtout une question d’affichage », selon Charles-Henri Paquette. « Ramené au nombre de passagers par kilomètres parcourus, c’est le train qui consomme le moins d’argent public, surtout comparé aux investissements d’infrastructure considérables dont a besoin le TGV ».
« Le train de nuit n’a pas de concurrent sur les longues distances »
Il faut pourtant repartir de zéro, dans un pays qui offre les dimensions parfaites pour rallier un peu près n’importe quelle ville du nord au sud et de l’est à l’ouest, sans passer par Paris. Sur les 67 trains de nuit qui circulaient encore quotidiennement en France au début des années 2000, subsistent seulement deux lignes, depuis Paris vers Toulouse-Rodez-Latour-de-Carol, et vers Briançon. Quand elles marchent. Selon La Provence, le Paris-Briançon est par exemple menacé de suppression à la fin de l’année 2021, à la suite de la fermeture de la ligne entre Valence et Veynes pour d’importants travaux devant durer plusieurs mois.
Pour le sénateur de l’Isère Guillaume Gontard « le train de nuit est une offre de transport qui n’a pas de concurrent sur les longues distances. Aucune autre offre ne permet à un travailleur résidant dans le sud de la France et travaillant en région parisienne de passer une soirée avec sa famille avant de prendre son train et d’arriver sur son lieu de travail tôt le matin. » Les habitants du Sud-Ouest en savent quelque chose, eux qui se situent le plus souvent à plus de 6 h de la capitale en train.
Marie-Pierre Vieu, ancienne députée européenne communiste très engagée sur ce thème à Bruxelles, s’est heurtée à cette réalité de plein fouet quand le train de nuit reliant Paris à Tarbes a été supprimé : « Il y a eu des compensations, on nous a mis un TGV très tôt dans le matin, mais il arrive à 10 h du matin alors que le train de nuit vous faisait arriver à Austerlitz à 7 h du matin. Vous étiez opérationnel pour un rendez-vous à 9 h. C’était aussi un moyen de décloisonnement. On sent bien qu’on pourrait être une alternative rurale et écologique permettant d’accueillir de nouvelles populations alors qu’en réalité on est de moins en moins connectés à l’espace national ».
Si ce n’est par avion, en dépit d’un certain bon sens écologique. Les longs pèlerinages en train vers Lourdes ont ainsi été remplacés par le bal des charters depuis toute l’Europe. « Il y a une alternative au ciel à construire, autrement on ne s’en sortira pas sur le bilan carbone. Encore plus dans l’état d’esprit actuel, qui postule qu’il faut reposer les choses, consommer moins, vivre moins vite, la question du train de nuit va se reposer ».
Un matériel vétuste et un service à repenser
Elle se pose déjà au niveau européen, où l’émergence du « flygskam », la honte de prendre l’avion, a permis un mouvement de fond en faveur de la renaissance d’un réseau continental des trains de nuit, autour de discussions parlementaires de tous bords. En Autriche, la Deutsche Bahn allemande avait préféré arrêter les frais, mais l’exploitant national ÖBB a mis les mains dans le cambouis pour refaire du train de nuit un must emprunté chaque année par 1,4 million de passagers. Un exemple encourageant pour le reste de l’UE, à condition d’y mettre les moyens. Or, la SNCF a peu à peu laissé mourir son réseau de trains de nuit avec la complicité de l’État. En 2015, la Cour des Comptes a rendu un rapport sévère sur l’état des rames, conditionnant à l’époque le maintien du service des six lignes de nuit à la rénovation de 300 voitures hors d’âge, « malgré leur robustesse reconnue ».
Cela veut dire concrètement que les rares trains de nuit français n’offrent plus que des places assises inclinables ou des compartiments couchette au confort spartiate, sans offre premium, sans douche, même collective, sans wifi, évidemment, et sans service de restauration la plupart du temps, ce qui ne donne pas très envie, il faut bien le dire. « On ne sait pas quand vont pouvoir recirculer les trains de nuit en France de manière importante, s’inquiète Charles-Henri Paquette. Il semblerait que la SNCF se soit empressée d’envoyer le matériel à la ferraille, il n’y a presque plus de voitures couchettes. Or, comme il y a eu un redéploiement des trains de nuit en Europe, il existe une tension même à la location ».
L’association Oui au train de nuit a ainsi calculé que constituer un parc de trains de nuit incluant 750 voitures neuves ou rénovées pour 15 lignes nationales et un cofinancement pour 15 lignes intra-européennes coûterait de l’ordre de 1,5 milliard d’euros.
« Nous avons beaucoup d’ambition pour les trains de nuit »
C’est bien plus que ce qu’avait promis Elisabeth Borne, l’ancienne ministre à la transition écologique, en 2018, quand l’État avait finalement reconduit sa convention avec la SNCF pour prolonger l’existence des deux dernières lignes nocturnes. Sur ce point, l’art du « en même temps » d’Emmanuel Macron a encore frappé, avant même la naissance du concept. Les trains de nuit, que le président de la République veut désormais réinstaller dans le paysage ferroviaire, avaient été remplacés dans la pratique par les fameux bus à bas prix, promus par celui qui n’était alors que ministre de l’Economie.
Mais le secrétaire d’État aux transports Jean-Baptiste Djebbari l’assurait avant même l’intervention du chef de l’Etat : « Nous avons beaucoup d’ambition pour les trains de nuit en France et dans les discussions que j’ai pu avoir avec le président de la République, je partage ça avec lui, nous allons dans les semaines, dans les mois qui viennent avoir une politique de promotion et de redynamisation des trains de nuit ». Il y a du boulot.