Pyrénées : Ses partisans manifestent à Toulouse, ses opposants en Ariège… Comment la guerre de l’ours s’est rallumée
TENSIONS•La découverte du cadavre d’un ours tué par balles, le 9 juin en Ariège, a ravivé le conflit latent entre pro et anti-ours dans les Pyrénées. Chaque camp se rassemble ce samediNicolas Stival
L'essentiel
- Samedi matin, deux rassemblements sont prévus autour de la question de l’ours dans les Pyrénées : à Toulouse pour les partisans du plantigrade, au bord de l’étang de Lers en Ariège pour les opposants.
- Déjà vive, la tension entre les deux camps est encore montée de plusieurs crans depuis la découverte d’un ours tué par balles le 9 juin.
- Au milieu, l’Etat tente tant bien que mal de jouer les arbitres, sans satisfaire ni les uns, ni les autres.
Deux lieux, deux ambiances. Samedi matin, les partisans de l’ours dans les Pyrénées ont rendez-vous à Toulouse. Une « télémanifestation » est organisée en parallèle sur Internet pour les sympathisants de la cause qui ne pourraient pas se rendre devant la préfecture d’Occitanie. Pendant ce temps, une « journée pyrénéenne pour les libertés » doit démarrer à 140 km plus au sud, sur les rives de l’étang de Lers, perché à 1.264 m d’altitude en Ariège.
Les opposants au plantigrade s’y retrouveront en nombre, non loin d’Ustou, où la découverte du cadavre d’un mâle d’environ quatre ans tué par balles, le 9 juin, a exacerbé des tensions déjà vives. Citadins contre montagnards, on ne pourrait pas faire plus « cliché ». Pourtant, de nombreux membres du camp des « anti », éleveurs et agriculteurs en premier lieu, revendiquent cette opposition entre ceux qui ne connaîtraient pas le monde des estives et ceux qui y vivent.
En témoignerait la manifestation des pro-ours à Foix le 20 juin, dont les détracteurs moquent autant la faible participation (quelques dizaines de personnes) qu’ils s’irritent devant sa couverture médiatique, jugée disproportionnée. Ou bien la cohésion affichée face à la récompense promise par l’ONG Sea Sheperd (10.000 euros, réévalués ensuite à 30.000 euros) pour retrouver le tueur de l’ours. Cette omerta est soutenue par la majorité des élus locaux, dont la présidente du conseil départemental de l’Ariège Christine Téqui, attendue samedi à l’étang de Lers.
L’Etat tergiverse sur le remplacement de l’ours tué
Au milieu de tout ça, l’État tente de recoller les morceaux. Jeudi, le préfet d’Occitanie Etienne Guyot, coordinateur du massif des Pyrénées, a dirigé à Toulouse une réunion du groupe « pastoralisme et ours ». Il y a été question de gros sous (environ 10 millions d’euros débloqués en 2020 pour favoriser la cohabitation éléveurs-plantigrades) et d’un grand coup de pied en touche au moment d’évoquer l’épineuse question du remplacement de l’animal tué au début du mois.
« Ce point n’est pas tranché, indique la préfecture dans un communiqué, aux mots soigneusement pesés. Le cas échéant, cela ne contreviendrait pas à l’engagement du Président de la République, puisqu’il ne s’agirait pas d’une réintroduction. » Forcément, ni les pro ni les anti-ours présents à la réunion n’étaient satisfaits à la sortie. Certains représentants des éleveurs, des agriculteurs (FNSEA, Jeunes Agriculteurs) et des chambres d’agriculture ont carrément boycotté l’événement, et tenu une conférence de presse à quelques mètres de là, devant la cathédrale Saint-Etienne.
L’Ariégeois Philippe Lacube a ainsi snobé ce qu’il qualifie d'« attrape-couillon » où, selon le président de l’association des chambres d’agriculture des Pyrénées, « ceux qui représentent les territoires sont toujours mis en minorité », puisqu’ils ne pèsent qu’un tiers des voix face aux représentants de l’État et aux associations environnementales. L’éleveur installé aux Cabannes, au pied du plateau de Beille, a parlé au nom de collègues « au bout du rouleau ».
Un nombre d’ours incertain
Le nombre d’ovins indemnisés a quasiment doublé entre 2018 et 2019. Il est passé de 625 à 1.129 bêtes officiellement reconnues victimes de l’ours, notamment à travers les dérochements, ces phénomènes de panique collective qui provoquent la chute de brebis au pied d’une falaise.
Comme le communiqué préfectoral, Philippe Lacube a évoqué les engagements pris par Emmanuel Macron en janvier à Pau, qu’il traduit ainsi : « pas de nouveau lâcher d’ours dans les Pyrénées », « la sortie du territoire des ours violents, très prédateurs » et, point « le plus important » pour lui, « la gouvernance placée dans les mains des populations locales et des élus du territoire ».
« Depuis 1997, les décisions sont prises depuis Paris », peste-t-il. Soit depuis les premières réintroductions d’ours slovènes en 1996-97, venus revivifier une population autochtone réduite à cinq individus et promise à l’extinction. Aujourd’hui, même le recensement fait débat. Là où les chiffres officiels font état d’une cinquantaine d’ursidés, essentiellement en Ariège, épicentre de la contestation, certains opposants poussent jusqu’à « 70 ou 80 » individus.
Notre dossier ours
Bataille d’images sur les réseaux sociaux ?
Les pro-ours affirment que certains éleveurs ne protègent pas assez bien leurs troupeaux ? Les anti sortent leurs statistiques et répliquent que les chiffres de prédation sont les mêmes, quel que soit le type de gardiennage (chiens patous, regroupement nocturne…). Conscients que les défenseurs de la nature ont l’avantage dans l’opinion publique, ils posent le pastoralisme en garant de la biodiversité, grâce à l’entretien de milieux ouverts en montagne « qui évitent des incendies comme en Australie ».
Certains se disent prêts à une véritable guerre des images, où des photos de brebis agonisantes après une attaque viendraient concurrencer celle de l’ours abattu à Ustou, devenue virale. En résumé, l’orage qui menaçait depuis des années autour de la question ursine dans les Pyrénées, avec un climat très lourd et quelques éclairs de-ci de-là, a éclaté le 9 juin. Et dans un ciel aussi chargé d’électricité, il semble impossible d’apercevoir ne serait-ce qu’un soupçon d’éclaircie.