ENVIRONNEMENT«Ça sent l’œuf pourri»... Les algues vertes de retour en force en Bretagne

Bretagne : « Ça sent l’œuf pourri »… Les algues vertes débarquent en force par le sud

ENVIRONNEMENTLes fortes chaleurs de début de printemps ont contribué à la prolifération des ulves dans le Morbihan
Camille Allain

Camille Allain

L'essentiel

  • D’importants échouages d’algues vertes ont été constatés dans le Morbihan ce printemps. La chaleur aurait contribué à la prolifération des ulves.
  • Samedi, un homme a été secouru à Larmor Plage, près de Lorient, alors qu’il était empêtré dans les algues vertes.
  • Le plan de lutte censé s’arrêter en 2021 a été prolongé de deux à trois ans pour permettre aux collectivités de lutter contre le phénomène imputé aux rejets de l’agriculture.

«L’enfer vert des Bretons » refait surface. Alors que les autorités avaient annoncé des échouages en forte baisse sur la côte nord bretonne, les algues vertes ont visiblement décidé d’attaquer par le sud. Depuis quelques semaines, les ulves ont progressivement colonisé plusieurs sites du Morbihan. La rade de Lorient, la ria d’Etel ou encore le golfe du Morbihan ont vu les algues se déposer sur leur rivage.

Samedi, un homme a même dû être secouru par les pompiers alors qu’il était tombé de son annexe à Larmor Plage, en face de Lorient. Empêtré dans les algues, l’homme a passé une trentaine de minutes à se battre dans une épaisse couche verdâtre, avant d’être repêché par les pompiers, sain et sauf.

« C’est toute la Bretagne qu’il faut traiter »

«Quand j’ai vu les images, j’ai eu peur que l’homme décède. J’en étais malade», concède Thierry Burlot, vice-président de la région chargé du dossier. « Il a eu de la chance que les algues ne dégageaient pas d’hydrogène sulfuré. Sinon, il ne serait sans doute plus là ». Jean-Yves Piriou sait de quoi il parle. Vice-président de l’association Eau et rivières de Bretagne, il suit depuis des années l’épineux dossier environnemental qui pollue sa région natale. L’homme a vu des sangliers périr, un cheval mourir et des hommes perdre la vie au contact des algues, dont la putréfaction génère de l’hydrogène sulfuré. Depuis une dizaine d’années, deux plans de lutte ont pourtant été signés par l’État et les collectivités locales pour endiguer le fléau. « Le problème de ce plan, c’est qu’il ne concerne que huit baies. C’est largement insuffisant. C’est toute la Bretagne qu’il faut traiter », assure le militant écologiste.

L'anse de Zanflamme, à Larmor Plage, est tapissée d'algues vertes en ce printemps 2020.
L'anse de Zanflamme, à Larmor Plage, est tapissée d'algues vertes en ce printemps 2020. - 20 Minutes

L’exemple de 2020 semble lui donner raison puisque tous les sites surveillés se situent dans le Finistère et les Côtes d’Armor. Mais en cette fin de printemps, c’est bien le Morbihan qui morfle. Les pluies hivernales et la chaleur printanière, associées à une dose de nitrates toujours trop élevée, ont contribué à l’arrivée des trop célèbres algues. Nichées sur des vasières, elles sont impossibles à ramasser, les engins ne pouvant intervenir que sur le sable. « Ça sent l’œuf pourri, c’est une odeur fétide », décrit Nadège (le prénom a été changé) qui habite non loin de l’anse de Zanflamme où l’homme a été secouru. « Cette année, il y en a partout, poursuit-elle. Tout le monde en a marre, les gens s’arrêtent souvent pour prendre la baie en photo. C’est triste ».

Un délai de deux ans pour le plan de lutte

Pour lutter contre le phénomène, un plan gouvernemental appelé Plav2 (plan de lutte contre les algues vertes numéro 2) avait été signé en 2017 et devait arriver à son terme en 2021. Dans un courrier, la préfète de région a annoncé au comité de pilotage que le fameux plan serait prolongé de « deux à trois ans ». En début d’année, la préfète de région Michèle Kirry avait justifié ce nouveau délai. « Il faut laisser le temps au changement de pratiques. On ne peut pas agir de manière brutale. Ce modèle d’agriculture intensive, il a sorti la Bretagne de la misère, cela reste un des fleurons de la région. Je ne crois pas aux révolutions qui laissent plein de gens sur le tapis. Je crois à une évolution. Oui, le modèle doit évoluer », évoquait la représentante de l’État.

« « Je pense que les algues vertes sont une chance pour la Bretagne » »

Celle qui pilote le plan avait même usé d’une étrange tournure de phrase pour préciser son point de vue. « Je pense que les algues vertes sont une chance pour la Bretagne ». Avant de s’expliquer. « C’est le marqueur visible de l’utilisation de produits phytosanitaires. Cela met sous nos yeux la nécessité de changer nos pratiques. Ailleurs, il y a des masses d’eau touchées mais où ça ne se voit pas ». Une « chance » vous dites ? La tournure fait bondir le représentant d’Eau et rivières. « Je pense surtout que c’est une calamité pour la Bretagne. C’est très visible et très nuisible », estime Jean-Yves Piriou.

Mobilisé sur ce dossier depuis des années, Thierry Burlot rappelle les efforts fournis. « Dans la baie de Saint-Brieuc ou à Saint-Michel-en-Grève, on était à plus 40 mg de nitrates par litre. On est en dessous de 20 aujourd’hui mais les derniers ne sont pas les plus simples à aller chercher ». Les scientifiques estiment qu’il faudra descendre en dessous de 10 mg pour endiguer le phénomène.

Pour tenter de mettre un terme aux échouages, son association souhaite encourager « de nouvelles pratiques agricoles et d’élevage » tournées vers l’agroécologie et l’agriculture biologique qui limitent les épandages et l’usage de produits phytosanitaires. Des solutions « naturelles » permettraient également de réduire les nitrates dans les cours d’eau. Restaurer les zones humides, véritables « pièges » à nitrates et le maintien de terres enherbées, plus propices à retenir les eaux que des terres laissées à nu. « Nous ne voulons pas d’un plan numéro 3. Si en 2024, le problème n’est pas résolu, il faudra passer à un système réglementaire comme pour le captage d’eau. Ça ne plaît pas à la profession agricole, mais ça fonctionne », estime Jean-Yves Piriou.