Des chercheurs obtiennent la preuve que les cachalots de la Méditerranée se coordonnent quand ils chassent
BIODIVERSITE•Des chercheurs basés à Toulon ont prouvé que les cachalots communiquent par les clics pour apprendre aux plus jeunes à chasser. Leurs résultats constituent, selon eux, une « première mondiale »Jean Saint-Marc
L'essentiel
- Grâce à des drones acoustiques, l’équipe du bioacousticien Hervé Glotin a réussi à observer une impressionnante partie de chasse impliquant une demi-douzaine de cachalots.
- Ces cétacés, qui forment une société matriarcale, communiquent entre eux pour former les jeunes à la chasse.
Des clics qui font mouche. Les passionnés des fonds marins savent que les cachalots chassent en équipe, en communiquant grâce à une sorte de morse à trois tons : les clics, les codas et les clangs. Les chercheurs du laboratoire d’informatique et systèmes de l’université de Toulon en ont désormais la preuve. En exclusivité pour 20 Minutes, ils dévoilent ce jeudi une vidéo illustrant les résultats de leur mission Sphyrna Odysseu, conduite entre septembre et mai entre Toulon et Monaco. « C’est une première mondiale », souligne le directeur scientifique de l’équipe, Hervé Glotin.
« On devinait que les cachalots chassaient en groupe matriarcal car on les observait en surface, retrace le bioacousticien, membre du laboratoire informatique et systèmes à l’université de Toulon (CNRS). Mais on n’avait à ce jour, au-delà des 50 premiers mètres de profondeurs, que des observations avec des caméras posées par ventouses sur le dos de l’animal. » Ce processus, utilisé notamment par les Britanniques du Marine Conservation Research, est inefficace selon Hervé Glotin : « Nous pouvons mieux comprendre la scène sous-marine par l’écoute délicate des sons intelligents émis par les cétacés. »
« Oui, ils sont là ! »
Leur plus belle « prise », réalisée grâce à des drones acoustiques, est une scène de chasse regroupant une demi-douzaine de cachalots, au large de Monaco. Hervé Glotin pense avoir observé des individus âgés en train de guider des plus jeunes :
« Soit les juvéniles suivent les mouvements de leur tante ou de leur mère, soit ils bénéficient de leurs observations pour mieux voir, par le son, les échos que leurs proies reflètent. Donc ils chassent avec elles. » »
Antoine Thébaud, patron de Sea Proven, la société qui a fabriqué les navires autonomes, se souvient de « l’hystérie » qui s’est emparée de l’équipe ce jour-là : « A distance, on a très vite compris l’importance de cette séquence ! » A bord, c’était carrément « l’effervescence ». Pauline Cottaz, qui prépare un film documentaire sur la mission, se souviendra longtemps de cet après-midi de janvier sur une mer d’huile. « Quand on voit remonter les cachalots à la surface, je lâche un “oui, ils sont là”, alors que j’avais l’intention de ne pas parler », sourit la réalisatrice.
aOn devine qu’elle admire le travail des scientifiques. Les bioacousticiens (Paul Best, Maxence Ferrari, Hervé Glotin, Marina Oger, Marion Poupard et Sara Viera) se relayaient 24 heures sur 24 pour surveiller les spectrogrammes. « Le but principal était d’entendre les animaux, pas de les voir. Mais forcément, quand on a appris qu’ils étaient sous le bateau, on est tous montés sur le pont. Sauf Marion, qui devait continuer à écouter les enregistrements », relate Pauline Cottaz. Elle n’était jamais montée sur un navire avant ces huit mois d’expédition – et de confinement dans 200 mètres carrés avec cinq collègues de travail.
Les bateaux devraient ralentir pour préserver les cachalots
La mission, qui a débuté en septembre, s’est terminée le 10 mai, la veille de l’entrée en vigueur du plan de déconfinement. Les 18 derniers jours d’observation ont été particulièrement profitables pour ce projet scientifique, financé par la Fondation Prince Albert II de Monaco, les Explorations de Monaco et l’Accobams. La réduction du trafic maritime a induit une baisse de 10 décibels dans les sons graves. « Les distances de communication entre les cétacés étaient donc multipliées par trois voire six », apprécie Hervé Glotin.
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S’il s’était prolongé, ce silence aurait pu faciliter la reproduction des 500 à 800 cachalots qui vivent au large des côtes françaises et italiennes. « Le bruit est une des grandes perturbations sur la mégafaune de nos mers », peste le chercheur. Il plaide pour une réduction de 15 à 20 % de la vitesse des navires en mer Méditerranée.