Coronavirus : Le confinement, une vraie pause pour la faune sauvage ?
BIODIVERSITE•Quand l’homme s’efface, la nature reprend ses droits… Une partie de la faune sauvage semble en tout cas prendre un peu plus d’aise en ces premiers jours de confinement. Pas de quoi crier victoire pour autant ?Fabrice Pouliquen
L'essentiel
- Dans les Calanques, à Venise, en Sardaigne, dans les grandes villes… Le confinement ferait les affaires d’une partie de la faune sauvage, profitant de cette baisse soudaine des activités humaines pour réinvestir des espaces qu’elle avait délaissés.
- Attention toutefois à ne pas surinterpréter le phénomène et y voir un ré-ensauvagement du monde. « S’ils semblent plus présents, c’est aussi qu’on les entend mieux et qu’on leur prête plus attention », glisse-t-on à la LPO.
- Ce confinement crée une situation inédite qui influe potentiellement sur les comportements de la faune sauvage. Reste à le mesurer. Pas simple quand on est confiné.
Des groupes de dauphins, de larges « radeaux » de puffins, du nom qu’on donne au rassemblement en haute mer de ces oiseaux coloniaux, mais aussi des fous de bassan, des hérons cendrés de passage…. S’il n’est pas rare de croiser ces espèces dans le parc national des Calanques [Bouches-du-Rhône], la fréquentation et la densité des observations faites ce week-end sont inédites, constatent les agents de ce parc à la fois terrestre et maritime. « C’est surtout vrai pour les oiseaux, ils sortent plus, se posent à des endroits où on les voit peu habituellement », précise-t-on au sein du parc.
Un effet coronavirus ? Sans doute. Les Calanques n’échappent en tout cas pas aux mesures de confinement. L’accès au parc et la tenue d’activités sportives et de loisir, sur terre comme en mer, y est interdite jusqu’au 31 mars minimum.
Déjà vu dans les cœurs de parcs nationaux ?
Du coup, quand les chats ne sont pas là, les souris dansent-elles ? Rien d’étonnant, soulignent Samuel Challéat, géographe de l’environnement et chercheur invité au laboratoire Géode du CNRS, à Toulouse, et Jean-David Abel, vice-président de France Nature Environnement (FNE). « On a déjà pu constater par le passé que lorsqu’on diminue la fréquentation humaine dans un espace donné, s’opère alors une recolonisation du vivant sauvage », glisse le premier. « C’est le cas dans certains endroits des cœurs de parcs nationaux, peu fréquentés ou pas fréquentés du tout par l’homme, ajoute le deuxième. On voit alors que la faune a une plus grande tranquillité et une plus grande latitude pour se nourrir, élever ses petits… » « Tchernobyl est un autre exemple de cette reconquête relativement rapide par une certaine partie de la faune – celle pouvant se déplacer rapidement – d’espaces délaissés par l’homme », complète Hélène Soubelet, directrice de la Fondation pour la recherche sur la biodiversité (FRB).
Pas plus nombreux, mais plus audibles et visibles ?
Des trafics maritime et aérien fortement réduits, un tourisme à l’arrêt, des usines fermées, plus de chasse (du moins pratiquement) ou de pêche de loisirs… Et, surtout, le confinement au domicile de plus de 2,5 milliards d’êtres humains… Cette épidémie de coronavirus répéterait en quelque sorte l’expérience à très grande échelle, et tend à montrer que cette réappropriation des territoires par la faune sauvage, lorsque les pressions humaines baissent, peut aller très vite.
En témoignent les photos et vidéos partagées, ces derniers jours, sur les réseaux sociaux. Des poissons de retour dans les canaux de Venise, vidée de ses touristes et qui retrouve des eaux plus claires. Des dauphins dans le port de Sardaigne. Des canards en promenade dans les rues de Paris. Un loup sur les pistes de ski désertes de Courchevel. Et, partout, des oiseaux qui chantent.
aSamuel Challéat tempère tout de même l’idée d’un grand et soudain ré-ensauvagement du monde. « Il ne faut pas s’attendre, par exemple, à ce que les espèces qui avaient fini par quitter les villes y reviennent subitement, prévient-il. Ni que ces quelques semaines de confinement se traduisent par un bond extraordinaire de la vie sauvage, en population ou en diversité des espèces. » Ce bond est d’autant plus incertain « que certaines pressions humaines sur les milieux naturels perdurent ces jours-ci, poursuit Yves Vérilhac, directeur général de la LPO (Ligue de protection des animaux). C’est le cas de l’agriculture intensive. »
De la science participative pour étudier un confinement inédit
Yves Vérilhac ne nie pas pour autant que cette baisse des dérangements habituellement causés par l’homme puisse être ponctuellement profitable à la vie sauvage (lire encadré). Mais le directeur de la LPO rappelle que cette impression de reconquête des espaces par la faune sauvage, observée ces derniers jours, « vient aussi du fait qu’on les entend mieux et qu’on leur prête plus attention ». « Il n’y a rien d’inhabituel à ce que les oiseaux chantent alors que pointe le printemps, mais d’habitude ils sont couverts par le bruit de nos voitures », illustre-t-il.
Autant alors profiter de ce contexte inédit pour lancer des programmes de sciences participatives, en ces temps où même les scientifiques sont confinés ? C’est ce que fait la LPO avec sa campagne « Confiné mais aux aguets », dans laquelle elle demande aux volontaires de consacrer dix minutes par jour à l’observation et au comptage des oiseaux qui se posent dans nos jardins. Puis d’enregistrer les données sur le site de l’Observatoire. « On s’attend à collecter ces prochains jours un grand nombre de données », espère Yves Vérilhac.
Les oiseaux chantent-ils plus longtemps ces derniers jours ?
Samuel Challéat travaille à un projet plus ambitieux encore, en lançant avec deux autres chercheurs, Amandine Gasc, Jérémy Froidevaux et Nicolas Farrugia, un autre programme de sciences participatives, appelé « Silent cities ». Là encore, tout le monde peut y participer, puisqu’il s’agit d’enregistrer les sons extérieurs depuis son balcon et de transmettre les données aux scientifiques. « Avec le confinement, toutes les villes s’éteignent tout à coup d’un point de vue sonore, explique le géographe. Nous cherchons à savoir si cette situation inédite, qui ne se reproduira sans doute plus jamais, à un impact sur les comportements de la faune sauvage. L’enjeu n’est pas seulement de voir comment ils s’approprient géographiquement l’espace, mais aussi le temps. Par exemple, les oiseaux chantent-ils plus désormais qu’ils ne sont plus autant en concurrence avec l’habituelle pollution sonore d’origine humaine ? »
Il y aurait bien d’autres études encore à faire sur les impacts directs du confinement sur la biodiversité, soulève Hélène Soubelet. « Ce confinement, en engendrant potentiellement moins de stress sur les animaux, aura-t-il des effets positifs sur leur mortalité et leur reproduction ?, pointe-t-elle. Certaines espèces, comme les renards ou les blaireaux sont aujourd’hui abondamment chassées au motif qu’elles sont décrites comme nuisibles [car susceptibles de provoquer des dégâts sur les cultures ou transmettre des maladies, NDLR], bien qu’elles aient un rôle majeur dans un écosystème. Ce confinement sera alors l’occasion de voir si l’arrêt de la chasse se traduit effectivement par une hausse des dégradations dans les cultures ou dans la propagation de certaines maladies et si cela est réellement imputable à ces espèces. »
« L’occasion de s’interroger sur la place que nous faisons au monde sauvage »
La directrice de la FRB voit alors dans ces études une occasion de tirer du positif de cette épidémie. « En faisant réapparaître au grand jour une biodiversité qui vivait cachée ou recluse dans des territoires réduits, cette crise sanitaire invite à nous poser la question de la place que nous faisons habituellement au monde sauvage, indique-t-elle. Et par extension, du monde dans lequel nous voulons vivre demain. »
En revanche, Hélène Soubelet met en garde contre cette idée que la nature aurait cette capacité illimitée à reprendre très vite ses droits lorsque l’homme lui cède une plus grande place. « L’effondrement actuel du vivant sauvage ne se résume pas à des baisses de population, c’est aussi une baisse de la diversité génétique des espèces sauvages, indique-t-elle. Si la tendance se poursuit, il n’y aura plus de reconquête possible pour la nature, même si l’humanité adopte enfin des comportements vertueux. »