Alsace : L’arrêt des réacteurs de la centrale de Fessenheim, ça change quoi ?
NUCLEAIRE•Le premier réacteur doit être stoppé samedi matin, avant le deuxième en juin prochainThibaut Gagnepain
L'essentiel
- La centrale nucléaire de Fessenheim est proche de la fin. Samedi, son premier réacteur sera arrêté, avant le deuxième en juin. Puis son combustible sera évacué, avant un démantèlement qui, d’après les prévisions d’EDF, devrait durer vingt ans. Jusqu’en 2040.
- Que signifie la fin de la doyenne des centrales nucléaires en France en termes de productions d’énergie, d’impact sur l’environnement, d’emplois et de conséquences économiques sur le territoire ?
- Quels projets sont évoqués pour l’après-centrale ? On vous résume les enjeux et perspectives.
Samedi, ce sera le début de la fin. Le réacteur n°1 de la centrale nucléaire de Fessenheim sera arrêté à 2h30 du matin. Puis, le 30 juin, le n°2 le 30 juin cessera lui aussi de fonctionner. La préparation du démantèlement pourra alors commencer, jusqu’à la démolition du site programmée, aujourd’hui, jusqu’en 2040.
Que va changer la fermeture de la doyenne des centrales nucléaires en France, mise en service en 1977 ? Réponses en plusieurs points.
Une production d’énergie moindre… pour les pays étrangers
C’est mathématique. En 2019, 12,3 terrawatts-heure (TWh) avaient été produits à Fessenheim, ils ne le seront plus. « Cela correspond à environ 90 % de la consommation annuelle de l’Alsace et 2 % de la production française en électricité », explique-t-on du côté d’EDF, le propriétaire du site, qui se veut rassurant.
Non, le territoire ne va soudainement pas manquer d’électricité. La preuve, la France en a exporté 84 TWh l’an dernier, pour un import de 28,3 TWh selon le bilan de RTE (Réseau de transport d’électricité), qui gère la distribution. Soit un solde des échanges positif à hauteur de 55,7 TWh. « EDF exporte de l’électricité 350 jours par an sur les 365 et continuera de le faire pour les pays voisins », résume l’entreprise.
« Ça élimine le risque » mais… pas la pollution ?
Que se serait-il passé en cas de rupture de la digue du grand canal d’Alsace, situé à huit mètres au-dessus de la centrale ? Et d’un tremblement de terre ? Ces questions, les partisans à la fermeture de Fessenheim les ont longtemps soulevées. Une étude menée par EDF en 2016 avait conclu à l’impossibilité d’une inondation.
Peu importe, avec l’arrêt programmé des deux réacteurs, « ces risques vont disparaître », apprécie Yannick Rousselet, le responsable des questions nucléaires chez Greenpeace . « Mais derrière, ce ne sera pas fini », nuance-t-il vite en évoquant notamment les « dangers » que représente le déchargement du combustible dans les piscines de désactivation. « Ces bassins se trouvent dans des "bâtiments BK" et à Fessenheim, ça ressemble à de simples hangars agricoles absolument pas protégés contre des agressions externes. »
Les opérations de démantèlement présentent également des risques pour la nature selon l’expert. « Oui, le gros potentiel de réactivité aura disparu une fois le combustible évacué jusqu’à l’usine de retraitement de La Hague mais il y aura des rejets dans l’environnement pendant le rinçage et la découpe », explique-t-il, en évoquant aussi le tritium qui « va laisser des traces sur le terrain. »
Yannick Rousselet salue néanmoins la fin des « gaz et rejets liquides radioactifs » que générait en permanence la centrale « de manière toute à fait légal ». « C’est sûr que cet arrêt va faire du bien à l’environnement même s’il va falloir du temps pour que le lieu soit rendu l’espace public. »
Une position que ne partage pas Maxence Cordiez, ingénieur au Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) dans La Revue générale nucléaire. « Une centrale nucléaire arrêtée et qui aurait pu continuer à fonctionner verra sa production remplacée par celle de centrales à charbon et à gaz quelque part en Europe », écrit-il en estimant « le surcroît d’émission annuel lié à la fermeture des réacteurs de Fessenheim compris entre 6 et 10 millions de tonnes équivalent CO2 par an. » Débat d’experts…
« Aucune perte d’emplois », vraiment ?
Elisabeth Borne l’a assuré mercredi. « Il n’y aura aucune perte d’emploi » liée à la fermeture de la centrale nucléaire de Fessenheim, d’après la ministre de la Transition écologique. « On entre dans le dur mais on s’est assuré auprès d’EDF que tous les salariés retrouveront un emploi », a-t-elle déclaré sur RMC, ajoutant qu’il y a « aussi un accompagnement particulier pour les sous-traitants. »
Sur place, la réalité semble plus contrastée. « Oui, aucun salarié EDF ne sera licencié mais il y a des gens inquiets. Beaucoup ne savent pas où ils vont aller et ce qu’ils vont faire », témoigne la déléguée syndicale CFE-CGC Anne Laszlo. « Par exemple, sur les 170 qui doivent partir en 2020, près d’un tiers est encore dans le flou. »
En 2025, il ne restera plus que 60 salariés d’EDF à Fessenheim, contre 645 aujourd’hui auxquels il faut ajouter environ 300 prestataires. Quid de ces derniers ? « Il y aura une proposition qui sera à chacun de nos salariés pour qu’ils soient redéployés ailleurs », indique à 20 Minutes un porte-parole d' Orano, qui emploie 45 personnes sur le site alsacien. « Libre ensuite à eux d’accepter ou de refuser, tout se fera sur la base du volontariat. » Il n’est donc pas interdit de penser que certains se retrouveront sur le bord de la route.
Durs lendemains pour Fessenheim et ses alentours ?
Les banderoles contre la fermeture de la centrale ont maintenant disparu des rues de Fessenheim. Comme si les habitants de la commune haut-rhinoise s’étaient résignés à cette fin annoncée par François Hollande dès 2011 et plusieurs fois repoussée.
Selon des chiffres de l’Insee, les revenus de 5.000 personnes seraient liés, directement ou indirectement, à l’activité de la centrale. Que vont-ils devenir ? Le maire de Fessenheim a son opinion. « J’estime qu’environ 200 personnes vont partir, multiplié par 2,5 (à peu près la composition familiale), ça fait entre 400 et 500 personnes qui peuvent quitter la commune, sur 2400 habitants », a-t-il expliqué à France Culture.
Pour ceux qui voudraient rester dans le coin, ils pourraient se tourner vers le port fluvial de Colmar-Neuf-Brisach, dont le développement est espéré. Une zone économique, EcoRhéna, pourrait aussi voir le jour l’année prochaine et attirer des entreprises françaises et allemandes. Enfin, la création d’un technocentre de retraitement des composants métalliques issus des centrales déconstruites est aussi évoquée. Mais après le démantèlement programmé jusqu’en 2040 et si les politiques s’accordent d’ici-là. La ministre de la Transition écologique, Élisabeth Borne, a ainsi émis le mois dernier des doutes sur ce projet d’EDF.
En attendant, l’Etat a débloqué en 2018 une enveloppe de 30 millions d’euros supplémentaires sur dix ans pour Fessenheim et son intercommunalité, afin de compenser les pertes fiscales estimées à 6,5 millions d’euros par an. « On sait pertinemment que les quinze prochaines années seront difficiles », conclut Gérard Hug, le président de la communauté de communes Pays Rhin-Brisach.