A la COP 25 de Madrid, tous les regards déjà tournés vers 2020 ?

COP 25 : A Madrid, les regards de la planète déjà portés vers 2020 ?

CLIMATLa COP 25, qui s’ouvre ce lundi, n’est jamais abordée sans parler des enjeux de la suivante, à Glasgow, fin 2020. Les Etats ont jusqu’à cette date pour revoir leurs ambitions climatiques à la hausse. Or, ça traîne. A Madrid, tout l’enjeu sera de relancer la dynamique
Fabrice Pouliquen

Fabrice Pouliquen

L'essentiel

  • Après maintes péripéties, la COP 25 ouvrira ses portes ce lundi, à Madrid, pour quinze jours de négociations entre Etats sur les questions climatiques.
  • A l’agenda officiel, pas de négociations majeures. C’est donc en coulisses que devrait se jouer cette COP 25, en préparant 2020, année décisive pour le climat et la biodiversité, de la meilleure façon possible.
  • Dans toutes les têtes, il y a déjà la COP 26, prévue à Glasgow dans un an. Les Etats ont jusqu’à cette date pour revoir à la hausse leurs ambitions climatiques, comme ils l’avaient promis au moment de conclure l’accord de Paris sur le climat, en 2015.

Le Brésil n’en a pas voulu. Le Chili, plongé dans une grave crise sociale, a dû y renoncer à la dernière minute. C’est donc en Espagne, à Madrid, que s’ouvre ce lundi et jusqu’au 13 décembre, la vingt-cinquième conférence des parties sur les changements climatiques.

Depuis 1995 et la première COP à Berlin, ces sommets de l’ONU sur le climat, où sont discutés les efforts à fournir pour faire face aux changements climatiques, s’enchaînent au rythme d’un par an. Habituellement, ils s’organisent dans un cadre plus serein. Est-ce de mauvais augure ? « Il faudra en tout cas rompre cette malédiction pour faire de cette COP 25 le meilleur tremplin possible pour lancer l’année 2020 », prévient Pierre Cannet, co-directeur des programmes de l’ONG WWF France.

Préparer 2020

C’est tout le paradoxe : jamais la COP 25 n’est abordée sans évoquer aussitôt la série d’événements décisifs pour le climat et la biodiversité attendus en 2020. Le dernier round des négociations sur un traité sur la haute mer ouvrira les hostilités du 23 mars au 2 avril. Il doit assurer la conservation et l’utilisation durable de ce vaste patrimoine commun mondial, dont le Giec (Groupe d’experts sur l’évolution du climat) a rappelé l’importance, en septembre, dans son rapport sur les océans et la cryosphère. Suivront le congrès mondial de l’ UICN (Union internationale pour la conservation de la nature), en juin à Marseille, puis la COP 15 « biodiversité » à Kunming, en Chine, en octobre. « Celle-ci devra être à la biodiversité ce que la COP 21 a été pour le climat à Paris en 2015 », dit Pierre Cannet pour en résumer l’enjeu.

Surtout, il y a cette COP 26 fin 2020 à Glasgow, déjà dans toutes les têtes. « En 2015, au moment de conclure l’accord de Paris sur le climat, les Etats avaient soumis leurs « contributions déterminées » (NDC en anglais) », explique Lola Vallejo, directrice du programme climat de l ’Iddri (Institut du développement durable et des relations internationales).

En clair, ce sont les plans d’actions établis par chaque pays pour réduire ses émissions de gaz à effet de serre (GES), secteur par secteur, d’ici à 2030, et ainsi remplir sa part du contrat de l’accord de Paris. Pour la France, c’est d’abord à Bruxelles que ça se joue, les 28 pays de l’UE ayant une NDC commune, que chacun décline ensuite à son échelle. « On savait que ces premières contributions seraient insuffisantes, et les Etats s’étaient engagés à revoir leurs ambitions dans les cinq ans, reprend Lola Vallejo. L’échéance se terminera justement à Glasgow. »

Marchés du carbone…

Pas facile donc, pour la COP 25 de Madrid, de se faire une place dans cet agenda chargé. De là à dire qu’elle compte pour du beurre ? Pas tout à fait. Lola Vallejo voit au moins deux négociations majeures qui devront aboutir en Espagne.

La première traite des marchés internationaux du carbone , dont les règles doivent être révisées. Un dossier que la COP 24 de Katowice a laissé en plan. Ces mécanismes d’échange de quotas d’émissions de C02, créés par le protocole de Kyoto, existent depuis 2006. Ils permettent d’échanger ou de vendre des réductions d’émissions d’un pays à l’autre. « Mais 2006 est une autre époque, précise Lola Vallejo. Seuls les Etats les plus développés avaient obligation à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre. Tous doivent le faire aujourd’hui en fonction de leurs capacités respectives. »

Cette remise à plat des règles est un exercice semé d’embûches. Sara Lickel, chargée de plaidoyer au Secours Catholique Cartias-France, ONG membre du Réseau action climat (RAC), évoque notamment le double comptage. « Des réductions d’émissions sont aujourd’hui comptabilisées par le pays qui l’achète et par celui qui le vend, explique-t-elle. Elles sont ainsi comptabilisées deux fois. Mettre fin à cette pratique devrait être une évidence, cela ne l’est malheureusement pas. »

… Et pertes et préjudices

Le deuxième chantier de cette COP 25 est lié au financement des pertes et préjudices. « On parle ici des impacts du changement climatique auxquels on ne pourra pas s’adapter, détaille Armelle Lecomte, d’Oxam France. Typiquement : l’élévation du niveau des mers et ses conséquences. La perte de terres cultivables, la destruction d’habitations, les déplacements de populations. »

Là encore, le sujet est source de conflits, notamment entre les pays en développement et ceux développés. « Ces derniers tentent notamment de cadrer le plus possible le débat pour ne pas s’exposer à des contentieux juridiques, explique Lola Vallejo. Leur crainte est d’être attaqué demain par un pays qui, par exemple, viendrait d’essuyer une tornade et demanderait réparation aux pays les plus émetteurs de CO2. »

« Remettre l’ambition climatique au cœur des discussions »

Voilà pour l’agenda officiel des négociations. Mais c’est bien plus en coulisses que cette COP25 pourrait faire parler d’elle. « Tout l’enjeu est de remettre l’ambition climatique au cœur des discussions », résume Lola Vallejo. Il ne reste plus qu’un an pour déposer des NDCs plus ambitieuses. Et à ce jour, des 193 Etats membres de l’ONU, un seul a rendu sa copie : les îles Marsall. « En septembre, lors du sommet sur le climat de l’ONU, 68 autres pays se sont engagés à relever leurs objectifs d’ici à 2020, ajoute Lucile Dufour, responsable politiques internationales du RAC. Mais il s’agit de pays en développement, d’états insulaires… Ils ne représentent que 8 % des émissions mondiales de GES. »

Contre 80 % pour les pays du G20. « Aucun d’eux ne prend aujourd’hui ses responsabilités, regrette Lucile Dufour. Pire, des pays parlent de ne pas relever leurs ambitions en 2020. C’est le cas du Japon. » A l’Union européenne de montrer l’exemple, en s’entendant au plus vite sur une nouvelle NDC ? « Avec le retrait des Etats-Unis de l’accord de Paris, l’UE doit plus que jamais jouer un rôle pionnier pour entraîner le reste du monde, et en particulier les gros émetteurs », insiste Pierre Cannet.

L’UE encore loin du compte ?

Or, l’UE est toujours en ordre dispersé sur l’ambition climatique. Ça coince déjà sur le long terme, avec l'objectif de neutralité carbone en 2050, même si du chemin a été parcouru depuis Katowice, il y a un an. « A cette époque, seuls six pays de l’UE soutenaient l’objectif de neutralité carbone en 2050, ils sont 24 aujourd’hui [manque la Pologne, la République Tchèque et la Hongrie], note Neil Makaroff, chargé des politiques européennes au RAC. Ça coince aussi sur le court terme. Les pays les plus ambitieux veulent porter à 55 % l’objectif de réduction de nos émissions de GES d’ici à 2030 [par rapport à 1990], contre 40 % aujourd’hui. Mais ils ne sont que huit aujourd'hui à y adhérer, souligne Neil Makaroff.

L’entrée en fonction de la nouvelle Commission européenne, qui tiendra son premier conseil les 12 et 13 décembre – soit en pleine COP 25 – laisse entrevoir du mieux. Sa présidente, l’Allemande Ursula von der Leyen, a fait sien cet objectif des – 55 % d’ici à 2030 et répété, mercredi encore, dans son discours programmatique, sa volonté de mettre « la transition vers une planète saine » au cœur de ses priorités. « Justement, à son premier conseil, cette nouvelle Commission doit exposer le "green deal" qu’elle a promis, rappelle Pierre Cannet. Ce plan vise à mobiliser l’ensemble des instruments européens – les investissements, les budgets, les politiques publiques – pour amener à cette rehausse de nos ambitions climatiques en 2020. » Reste à savoir si ce « green deal » sera à la hauteur.