Climat : « Youth For Climate France » constate que « les marches ne suffisent plus » et prépare la suite
MOBILISATION•Les jeunes militants écologistes tiennent leur congrès national à Grenoble, toute cette semaine pour définir la stratégie du mouvement qui n’a pas fait le plein lors des dernières grèves de l’école pour le climatFabrice Pouliquen
L'essentiel
- La déclinaison française du mouvement mondial de la jeunesse pour le climat conclut à Grenoble, ce samedi, son congrès national après une semaine de conférences, ateliers et groupes de travail.
- Lancé au printemps dernier, Youth For Climate France en est déjà à son troisième congrès national. Cette fois-ci, il s’agit de trouver un nouveau souffle après des participations en baisse lors des dernières grèves mondiales pour le climat.
- Faut-il élargir la palette des mobilisations en multipliant les actions de désobéissance civile, quitte à durcir le ton ? C’était notamment l’une des questions sur la table, à Grenoble.
De notre envoyé spécial à Grenoble
« Si vous vous sentez trop fatigués pour participer aux débats, n’hésitez pas à vous mettre un peu en retrait. » De fait, certains n’ont pas attendu l’invitation pour piquer un somme, allongés entre les chaises… Il est 15h ce vendredi, dans une salle de l’annexe du conservatoire de Grenoble où le mouvement Youth for climate France entame sa dernière session de discussion avant de clôturer son troisième congrès national.
Dans la pièce, une cinquante de jeunes sont assis par terre, en demi-cercle, devant la « commission » chargée de synthétiser plusieurs journées de discussions dans des textes qui auront valeur de déclarations finales. La moyenne d’âge est de 17 ans. « Ça vient de Rouen, Lyon, Bordeaux, Mâcon, Lorient, Strasbourg… Bref, des quatre coins de la France », glisse Timothée, 15 ans, qui lui-même vient de Tarbes. Beaucoup sont là depuis le début du congrès, lancé samedi dernier. « Et les discussions ont été intenses… », raconte Valentin, Bordelais de 17 ans. D’où ces traits fatigués…
L’hexagone bien quadrillé…
La plupart sont des membres actifs de la centaine de délégations locales à avoir essaimé dans l’hexagone depuis que ce mouvement mondial de la jeunesse pour le climat a sa déclinaison française. Cela nous ramène au 15 mars dernier, date de la première grève massive des écoles pour le climat en France. « Pour être précis, Youth for climate France naîtra officiellement un peu plus tard, les 13 et 14 avril, lors des premières assises nationales du mouvement à Nancy », précise le Lyonnais Marin.
C’est dire si le mouvement est encore naissant. « Pourtant, en quelques mois, ils en ont parcouru du chemin », s’étonnent presque Sandrine, maman de Thomas et Mathieu, et Frédérique, papa de Stéphane, trois jeunes Grenoblois très impliqués dans l’organisation de ce congrès national. Ce vendredi midi, ils étaient venus prêter mains fortes à leurs enfants pour l’organisation du repas. « Ils ont tissé un réseau de comités un peu partout en France, ont appris à communiquer efficacement entre eux, ont des réflexions sociétales, politiques, organisationnelles que bien souvent n’ont pas de jeunes adultes », reprennent-ils.
Une participation déclinante aux grèves des écoles…
Il n’empêche, bon nombre de ces jeunes disent rester sur leur faim. Venues de Mâcon, Zoé et Lalie, 15 et 16 ans, justifient leur présence à Grenoble par « la nécessité de donner un nouveau souffle à un mouvement qui a semblé en perte de vitesse ces derniers mois ». La participation déclinante aux dernières grèves de l’école pour le climat en est l’exemple le plus manifeste. « Pour la première, le 15 mars, 200.000 jeunes étaient descendus dans la rue », rappelle Thomas. Un chiffre derrière lequel court depuis Youth For Climate France. Ils étaient ainsi tout juste 50.000 à la grève des écoles pour le climat du 24 mai et un peu plus seulement pour la dernière en date, le 20 septembre dernier. « Il est sans doute plus difficile en France de justifier une absence de l’école », tente d’expliquer Zoé. « L’imminence des examens de fin d’année a sans doute aussi joué dans la faible mobilisation du 24 mai. Peut-être aussi avons-nous mal communiqué… »
Quoi qu’il en soit, le constat est implacable, poursuit la Mâconnaise : « Il n’y a presque qu’en France que la mobilisation a baissé ». Un demi-million de jeunes canadiens défilaient même à Montréal, aux côtés de Greta Thunberg, le 27 septembre dernier. « La plus grosse manifestation jamais organisée au Québec », annonçaient les organisateurs. De quoi laisser rêveur Youth Climate France ? « Je rêve surtout de voir les dirigeants se bouger pour le climat », rétorque Stéphane. « C’est ainsi qu’il faut juger l’efficacité d’une marche pour le climat : a-t-elle poussé les politiques à revoir leur copie ? »
Voir plus loin que les seules marches pour le climat ?
C’était l’une des questions centrales sur la table de ce troisième congrès national. A Youth For Climate France, on a en tête tout une liste de mesures prises par le gouvernement depuis le 15 mars « qui tend à montrer qu’il n’a pas encore entendu les préoccupations climatiques de la jeunesse ». Mathieu revient en particulier sur la journée du 23 juillet dernier. « Greta Thunberg était reçu à l’Assemblée nationale et, le même jour, Emmanuel Macron volait au secours du traité de libre-échange entre l’Europe et le Canada (Ceta) qui était ratifiée dans la foulée par les députés ». C’est une des limites actuelles de Youth For Climate France pointée cette semaine à Grenoble. « Jusqu’à présent, on a essentiellement existé à travers ces marches pour le climat, sans même trop définir notre mouvement au-delà de l’organisation de ces mobilisations », notent Marin et Thomas. « Il fallait définir nos valeurs, nos objectifs et la stratégie pour y aboutir. »
« Anticapitalistes, antispécistes, féministes… »
Tel est l’objet des déclarations finales que la cinquantaine de jeunes peaufinaient encore ce vendredi. Dans la douleur, chaque mot employé faisant l’objet d’âpres discussions. « Ces textes ne seront pas communiqués tout de suite », prévient Mathieu. « Ils devront d’abord être discutés et approuvés par nos membres qui n’ont pas pu être présents à Grenoble. » Cela se passera sur Discord, la messagerie instantanée qu’utilise Youth For Climate France.
Pour ce qui est des valeurs, Nina, 17 ans et venue de Bordeaux, donne les grandes lignes : « Nous sommes anticapitalistes, antispécistes, féministes, contre les discriminations, pour la décroissance ». « En lutte contre les grands projets inutiles », ajoute Marin. Rien d’étonnant, « mais c’était important de l’écrire noir sur blanc, rien que pour avoir une seule et même réponse lorsqu’on nous demande de nous définir », juge Arthur de Moûtiers en Savoie.
Miser sur la désobéissance civile ?
Plus complexe en revanche était la définition de la stratégie à adopter. L’idée que les marches ne suffisent plus faisait consensus ce vendredi. « Pour la prochaine grève mondiale pour le climat, le 29 novembre, plusieurs sections locales feront le choix d’autres modes d’actions », préviennent Laurette et Léo, respectivement 16 et 17 ans et qui représentaient la délégation parisienne. « A Paris justement, nous partons bien plus sur des actions de désobéissance civile. »
Youth For Climate France a déjà été plusieurs fois sur ce terrain, notamment à Bordeaux le 15 juillet dernier, en marge d’un précédent congrès, en bloquant près de 8 heures un restaurant Mc Donald’s du centre-ville. Léo, qui se dit dans le groupe des plus radicaux de Youth For Climate France, aimerait répéter à l’avenir ces opérations, quitte même à en augmenter l’intensité, lui qui trouve « un peu trop gentil » les actions non-violentes d’ Extinction Rebellion, un autre mouvement social écologiste spécialisé dans la désobéissance civile.
Youth For Climate France a tranché cette semaine à Grenoble : « Nous restons un mouvement non-violent, précise Laurette. Mais nous n’acceptons pas non plus la violence à notre encontre et nous nous autoriserons à agir en conséquence, en cas de légitime défense. »