« Les quatre plus grandes crues de l’Amazone ont eu lieu au cours de la dernière décennie »
BIODIVERSITE•Alors qu’on parle beaucoup de l’impact sur le climat des feux de forêt en Amazonie, des spécialistes de l’Amazone alertent sur les dangers qui planent sur le plus grand fleuve du mondeBéatrice Colin
L'essentiel
- Des scientifiques internationaux, membres de l'observatoire HYBAM, sont réunis à Toulouse pour évoquer jusqu’à vendredi les enjeux climatiques et environnementaux auxquels est confronté le fleuve Amazone.
- Alors que la communauté internationale se penche sur les conséquences des incendies dans cette partie du monde, les chercheurs pointent du doigt les dangers qui pèsent sur l’Amazone.
- Pollution, sécheresse, crues à répétition, ces phénomènes ont des conséquences locales mais aussi sur la ressource en eau, bien au-delà de l’Amérique du Sud.
Alors que tous les yeux sont tournés vers les forêts amazoniennes, et le désastre engendré par les feux à répétition, des chercheurs réunis à Toulouse alertent sur les autres dangers qui menacent la biodiversité dans ce secteur de la planète. Spécialiste du fleuve Amazone, Jean-Michel Martinez, directeur du service d’observation HYBAM, qui collecte les données sur la quantité et la qualité des eaux de l’ensemble du bassin du fleuve, tire la sonnette d’alarme sur les conséquences au niveau global des pollutions et crues de l’Amazone.
Les incendies qui ravagent l’Amazonie ont-ils des conséquences directes sur le fleuve ?
L’attention s’est beaucoup portée sur les incendies, on parle beaucoup des conséquences pour « le poumon de la planète », de son rôle de puits de carbone atmosphérique. Mais en réalité, elle stocke peu et est presque neutre en termes de carbone. Par contre, la forêt influence beaucoup le cycle de l’eau. Une bonne partie de cette ressource est produite grâce à la forêt. Or, s’il y a moins de pluie, il y a moins d’eau et cela met en danger la biodiversité au niveau de ce territoire mais aussi sur le reste du continent et bien au-delà.
Jusqu’où l’Amazone a-t-elle une influence ?
Elle renvoie 20 % de ses ressources en eau vers l’Océan et transfère ainsi beaucoup de matière géochimique qui contribue à l’équilibre des plantes et au phytoplancton. Sur l’Atlantique, des chercheurs pensent par exemple que l’invasion d’algues sargasses dans les Antilles pourrait provenir de modifications des flux d’eau de l’Amazone.
Elle joue aussi un rôle dans la formation des grands ouragans. Car si on déstabilise le cycle de l’eau, on peut déstabiliser l’atmosphère elle-même. D’où l’importance de l’Amazone dans l’équilibre total.
Quel est son état de santé actuel ?
Sa situation se dégrade. En termes de quantité, on assiste à la multiplication des événements extrêmes, notamment de crues et d’étiage de longue durée. Sur les six plus grandes crues enregistrées au cours des 115 ans sur la plus ancienne station, quatre ont eu lieu sur la dernière décennie. Sur la qualité des eaux, notre observatoire HYBAM, installé à Toulouse depuis quinze ans, mesure des pollutions significatives au chlore dues aux extractions de gaz et de pétrole.
A cause de l’orpaillage, on a enregistré des changements drastiques notamment sur la quantité de sédiments charriés. Cela a des conséquences sur les poissons qui, au lieu d’avoir une eau claire, se retrouvent dans des eaux turbides dans lesquelles ils ne sont pas adaptés. La multiplication des barrages hydroélectriques coupe aussi la migration des poissons.
Notre dossier sur l'Amazonie
Comme le GIEC, vos rencontres peuvent-elles aboutir sur les préconisations à destination des politiques pour endiguer ces phénomènes et risques pour la planète ?
Nous collectons des données et si on veut faire une politique de gestion des écosystèmes, il faut des données. Nous avons plus d’un siècle d’observation de niveau du fleuve et ce sont des données en open data qui reposent sur une coopération internationale. Lors des feux de forêt, le président brésilien a mis en cause l’institut collectant les données sur la déforestation. On ne fait pas de la politique, mais si les politiques veulent faire de la gestion durable de l’Amazonie, il leur faut des données de confiance et objectives, c’est ce que font les observatoires.