VIDEO. Bretagne: La baie de Saint-Brieuc et ses habitants submergés par les algues vertes
REPORTAGE•Six plages sont fermées dans la baie, confrontée à des marées vertes encore plus précoces cette annéeManuel Pavard
L'essentiel
- Six plages de la baie de Saint-Brieuc sont fermées depuis la fin juin en raison de l’invasion massive d’algues vertes, arrivées plus tôt que les autres années.
- L’association Halte aux marées vertes pointe l’élevage intensif de porcs et les nitrates tout en critiquant l’imprévoyance des pouvoirs publics.
- Pour les professionnels de l’hôtellerie-restauration de la baie de Saint-Brieuc, les algues vertes et les fermetures de plages sont un vrai coup dur.
On est en plein mois de juillet, pourtant les voitures garées sur le parking de la plage du Valais, à Saint-Brieuc (Côtes-d’Armor), se comptent sur les doigts d’une main. De rares promeneurs cheminent le long du sentier côtier, sur le fameux GR34. Heureusement pour eux, une légère brise camoufle par intermittence l’odeur nauséabonde. Sur la plage en revanche, il n’y a pas âme qui vive. Et pour cause ! Un grillage en barre en effet l’accès, avec une affiche ornée d’une tête de mort et d’un message sans équivoque : « Danger gaz toxique, de l’hydrogène sulfuré peut être présent »
Le Valais fait ainsi partie des six plages de la baie de Saint-Brieuc actuellement fermées au public en raison des algues vertes. Une imposante marée verte recouvre à perte de vue le sable doré. Le tout avec une odeur d’œufs pourris n’incitant pas à la flânerie. Retraité résidant à Trégueux, non loin de là, Jean-Yves contemple le paysage avec tristesse : « C’est une plage familiale, avec 106 cabanons qui sont souvent occupés à cette époque. Mais là, on a l’impression que c’est abandonné. »
Les habitants n’ont « jamais vu autant de plages fermées »
Des algues vertes, le septuagénaire et sa femme Gisèle en voient « tous les ans depuis 50 ans », en quantité plus ou moins importante, « en général dès les premiers coups de chaleur, en juin ». Mais cette année, celles-ci ont proliféré « plus tôt que d’habitude, dès le mois d’avril », et même « tellement tôt que le ramassage n’a pas été fait », déplore Jean-Yves.
Conséquences : alors que la saison estivale devrait battre son plein, les habitants n’ont « jamais vu autant de plages fermées ». Des mesures de précaution loin d’être superflues. Le danger existe en effet lorsque les algues vertes s’échouent et pourrissent au soleil. Elles dégagent alors de l’hydrogène sulfuré (H2S), un gaz toxique potentiellement mortel à haute dose.
Ce risque sanitaire a récemment focalisé l’attention médiatique après le décès soudain d’un jeune ostréiculteur de 18 ans en baie de Morlaix (Finistère) le 6 juillet, puis la noyade d’un vacancier de 69 ans trois jours plus tard à Plonévez-Porzay, dans le même département. Deux cas pour lesquels la piste des algues vertes a été sérieusement envisagée, avant d’être finalement écartée pour le premier d’entre eux, jeudi, par le parquet de Brest.
« L’anse de Morieux-Hillion concentre près de 50 % des algues vertes de Bretagne »
Pour y voir plus clair, direction Hillion, de l’autre côté de la baie, à 10 kilomètres de la plage du Valais. Si la baie de Saint-Brieuc est le symbole du phénomène, avec 500 hectares couverts d’algues vertes à la mi-juin (selon le Centre d’étude et de valorisation des algues), Hillion en est sans doute l’épicentre. Déjà car quatre des six plages fermées sont situées sur cette commune de 4.000 habitants. Mais aussi car « l’anse de Morieux-Hillion concentre près de 50 % des algues vertes de Bretagne », précise André Ollivro, président de l’association Halte aux marées vertes.
L’infatigable militant écologiste, figure de proue de la lutte contre les marées vertes, nous accueille à l’orée de la plage de la Grandville, fermée depuis fin juin. « Avant, mes gosses jouaient sur le sable blanc et se baignaient ici, raconte-t-il. C’était une plage familiale, comme celle de Bon-Abri où venait toute la population de Saint-Brieuc. Aujourd’hui, les deux plages sont désertes à cause de cette "laitue de mer". »
Agriculture intensive et porcs trop nombreux
Perché sur un promontoire, l’ingénieur retraité désigne la vaste étendue allant de la plage de la Grandville à la vasière de l’embouchure du Gouessant. C’est là qu’ont eu lieu plusieurs décès imputés aux algues vertes par les associations : deux chiens en 2008, 36 sangliers en 2011 et surtout un joggeur en 2016. Un drame qui vient de s’inviter de nouveau dans l’actualité. Ce vendredi, la famille du joggeur va ainsi saisir la justice pour demander réparation auprès des pouvoirs publics.
S’il tance également les autorités pour leur « faiblesse », André Ollivro pourfend surtout l’agriculture intensive, principale source de prolifération des algues vertes par le biais des phosphates et nitrates issus des engrais et des épandages de lisier. « En Bretagne, la terre est saturée d’engrais et les mesures pour faire baisser les taux de nitrates dans les cours d’eau [qui se jettent ensuite dans la mer, permettant le développement des algues vertes] ne sont pas appliquées », peste-t-il, rappelant que « la région de Lamballe est la zone la plus perturbée en nitrate d’ammonium au monde ». Il préconise donc de « diminuer le nombre de porcs et donner une alimentation naturelle aux cochons ».
Peu de réservations dans les hôtels
L’enjeu est de taille, y compris à court terme pour les commerçants et hôteliers de la baie, qui commencent à faire grise mine, faute de touristes. Dans le bourg d’Hillion, l’hôtel-restaurant Au Bon Saint-Nicolas compte autant de chambres que de tables libres ce mercredi midi. « Habituellement, on reçoit beaucoup de randonneurs qui font le GR34 car Hillion est une étape entre le Mont-Saint-Michel et Saint-Brieuc, explique Claudine, la gérante. Mais cet été, on a très peu de réservations. Tous les touristes qu’on voit en parlent et nous disent "c’est une catastrophe chez vous". »
Randonneurs sur le GR34, Marc et Agnès, croisés aux abords de la plage du Valais, n’ont, eux, « pas hésité une seconde à venir du Havre pour faire le tour de la baie à pied ». « On connaît bien la Bretagne donc on a l’habitude des algues vertes, souligne Marc. J’ai plus de 50 ans et j’en voyais déjà ici quand je venais en vacances, gamin. » Si le couple reconnaît avoir fait « une croix sur la baignade », il concède de légers désagréments : « L’odeur en rando, c’est un peu limite. On a dormi à Hillion hier soir, la nuit, ça puait ! »
Un « ras-le-bol partagé »
Quid alors des mois et années à venir ? Sur la plage de Lermot, l’une des seules encore ouvertes dans le secteur, Fanny, habitante de Langueux, avoue un certain « ras-le-bol, partagé par [ses] amis ». « Mais j’ai quand même l’impression que les pouvoirs publics se bougent un peu plus, comme s’il fallait des faits divers et des médias pour que ça change », ajoute-t-elle.
Quant à André Ollivro, il continuera à lutter contre les marées vertes en espérant que « le plan algues vertes, malheureusement basé sur le volontariat des agriculteurs, soit enfin appliqué ». Et pour ceux qui douteraient de sa persévérance, le militant écolo renvoie à son pseudo figurant en signature de ses mails : « le Che des grèves, coriace et incorruptible ».