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Les trottinettes électriques sont-elles réellement écolos?

Les trottinettes électriques en free-floating sont-elles vraiment écolos?

EN ROUE LIBREBatteries au lithium, durée de vie et recyclage… Les opérateurs de trottinettes sont de plus en plus confrontés à l’enjeu du développement durable
Lucie Bras

Lucie Bras

L'essentiel

  • Des milliers de trottinettes ont pris d’assaut les trottoirs des grandes villes françaises depuis le mois de juin 2018.
  • Le modèle écoresponsable de ces engins silencieux et rapides comporte quelques failles.
  • « Le développement durable devient un enjeu pour les opérateurs, ça fait partie des valeurs qu’ils proposent », explique Benjamin Fassenot, consultant au Boston Consulting Group.

Une nouvelle manière de circuler qui ne fait pas l’unanimité. Bannies des trottoirs, bridées à 20 km/h, les trottinettes électriques en free-floating [en libre-service sans borne] suscitent à la fois l’enthousiasme de leurs usagers et le rejet du reste de la population. Silencieuses et rapides, elles se sont rapidement installées en ville, se posant comme une alternative verte à la marche pour les trajets courts. Pourtant, à y regarder de plus près, la promesse d’un transport plus écolo n’est pas toujours respectée.

« C’est forcément plus écologique que la voiture, car c’est électrique », rappelle Benjamin Fassenot, consultant mobilité pour le Boston Consulting Group (BCG). « Mais si on prend l’ensemble de la chaîne de valeurs jusqu’à la fin de vie, on s’aperçoit que ce n’est pas si simple », explique-t-il.

Vandalisme et usage intensif

En effet, «les trottinettes électriques ont une durée de vie moyenne de 3 mois », quand il faudrait qu’elles roulent au moins 3,8 mois pour être rentables, a calculé le BCG dans un rapport datant du 17 mai dernier. « Et il en faut beaucoup pour fournir une agglomération », ajoute le consultant. Lime, leader sur le marché parisien, compte ainsi « quelques milliers » de trottinettes dans la capitale, selon ses dires, et comptabilise 65.000 utilisations par jour, sur une distance moyenne d’1,6 km. A ses côtés, de nombreux opérateurs sont entrés dans la course : Bird, Bolt, Jump, Wind, Tire, Hive, Voi, Flash, Ufo ou encore Dott, également présent à Lyon.

Ces milliers de véhicules à deux roues, stationnés dans les rues des grandes villes françaises, sont le plus souvent victimes d’actes de vandalisme ou usés prématurément par un usage intensif, selon le BCG. « Il y a un vrai problème sur les engins en free-floating : comme les gens ne font pas attention parce que ce n’est pas la leur, ils ont tendance à monter à deux, car le service reste cher. Résultat : elles se cassent plus vite », abonde Olivier Schneider, président de la Fédération des usagers de la bicyclette (FUB), qui s’est intéressé à cette nouvelle forme de mobilité par rapport à la circulation à vélo. « Pour la voiture, c’est maîtrisé, car ce sont des projets d’ampleur, avec de grands constructeurs pérennes. Il y a donc une obligation de pièces de rechange. Mais sur ce marché foisonnant des engins de transport, il y a tout à parier qu’une fois que la batterie de la trottinette va mourir ou que son moteur va tomber en panne, cet engin va être mis à la décharge », détaille-t-il.

Une trottinette électrique échouée sur les bords de la Seine, à Paris, le 30 avril 2019.
Une trottinette électrique échouée sur les bords de la Seine, à Paris, le 30 avril 2019. - Clément Follain / 20 Minutes

Quand le développement durable devient un enjeu

Pour redorer cette image dégradée de la trottinette, Lime assure s’être emparé de ces questions. L’opérateur, qui est le premier à s’être installé à Paris, ne veut pas révéler la durée moyenne de vie de ses trottinettes, mais assure qu’elle est « bien au-dessus » des chiffres du BCG. « On a une équipe de 300 personnes qui travaillent à temps plein dans un entrepôt en banlieue parisienne. Parmi ces employés, il y a 200 mécaniciens », détaille Arthur-Louis Jacquier, directeur général de Lime France. « Une trottinette qui semble en fin de vie, on peut la réparer en moins de 30 minutes. On est capable de vérifier jusqu’à 10 % de la flotte par jour », promet-il. Même prise de conscience chez Dott, installé depuis trois mois à Paris. « On répare tout, on ne jette rien ! Dans notre atelier à Rungis, nous avons une équipe de mécaniciens, avec un chef mécanicien, et des stocks de pièces détachées », explique Matthieu Faure, directeur marketing et communication Europe chez Dott. « Pour le moment, en trois mois, nous n’avons jeté aucune trottinette. On table sur une durée de vie entre 9 et 12 mois », précise-t-il.

Les opérateurs sont en effet dans l’obligation de prendre en compte la durée de vie de leur trottinette. Car « la majorité de leurs coûts sont liés à la maintenance, la réparation ou la recharge. C’est la partie sur laquelle les opérateurs doivent travailler pour réduire leur facture, analyse Benjamin Fassenot. Quand ils se sont installés, la stratégie des opérateurs de trottinette était claire : investir au plus vite les zones urbaines. Ils ont donc inondé les villes à la recherche d’une croissance rapide, sans se préoccuper du bien commun. Au début, personne n’y a fait attention. On se rend compte aujourd’hui que les gros opérateurs sont en train d’annoncer le remplacement des flottes par des trottinettes plus résistantes. Le développement durable devient un enjeu, ça fait partie des valeurs qu’ils proposent. »

Le lithium, un caillou dans la chaussure

Cette promesse de développement durable se heurte pourtant aux limites technologiques du recyclage. « Les batteries des trottinettes posent les mêmes problèmes que les voitures électriques à plus petite échelle, à savoir l’utilisation de métaux », déplore Olivier Schneider. Les cellules lithium-ion sont l’ingrédient-clef des batteries rechargeables. Majoritairement venus de Chine, ces métaux sont très difficiles à recycler. « Jusqu’à présent, il n’y avait pas assez de filières de recyclage, car il n’y avait pas assez de volume de batteries. Ce n’est pas simple, car le lithium ne se recycle pas comme d’autres matériaux », explique Nicolas Gorse, directeur général de Dott France.

Un ouvrier inspecte des batteries de lithium dans une usine chinoise, le 3 juin 2019.
Un ouvrier inspecte des batteries de lithium dans une usine chinoise, le 3 juin 2019. - AP/SIPA

« C’est un sujet très important », confirme Arthur-Louis Jacquier. « Depuis le début, on a vu qu’il y avait un sujet. On travaille avec une société qui recycle nos batteries au lithium à hauteur de 77 %, soit 27 points au-dessus des normes européennes », précise-t-il. Le recyclage du reste de la trottinette a plus de succès : « On travaille avec une société en Belgique capable de recycler une trottinette à hauteur de 96,2 %. Il y a encore des problèmes avec le grip sur le skate [la matière antidérapante collée sur la plateforme], on travaille pour voir comment on peut améliorer ça. »

L’entreprise essaie aussi de compenser les émissions de carbone émises par l’importation de ses trottinettes, fabriquées en Asie. « On achète des crédits carbone [une compensation financière pour les émissions de gaz à effet de serre], ça représente des milliers de dollars, même si on sait que ce n’est pas la meilleure solution », explique Arthur-Louis Jacquier. Même problème pour Dott, qui importe également ses machines de Chine. « Tous les fabricants de trottinettes sont en Asie, mais ça commence à émerger en Europe. On espère, d’ici un ou deux ans, créer une filière de fabrication européenne », confie Matthieu Faure.

L’irruption des « juicers », les rechargeurs de trottinettes

Autre ombre au tableau : le modèle social proposé par les marques de trottinettes s’avère peu compatible avec l’aspect éthique de leurs ambitions écologiques. Chez Lime, les « rechargeurs » de trottinettes sont appelés les « juicers ». Ce sont ces particuliers qui, sous le statut d’autoentrepreneur, cherchent et récupèrent des trottinettes dans la rue chaque soir, les entassant dans leur véhicule avant de les brancher toute la nuit. Le lendemain, ils les replacent dans la rue, empochant au passage cinq euros par trottinette chargée. Un tarif qui varie en fonction des marques.

Un modèle qui suscite de vives critiques. « C’est allé extrêmement vite », se justifie Arthur-Louis Jacquier. « Aux Etats-Unis, les rechargeurs utilisent ça comme complément de revenus. En France, c’est différent, car certains en font leur revenu principal. On ne peut pas continuer comme ça », reconnaît-il. Si Lime dit travailler sur la professionnalisation des partenaires, aucun changement n’est prévu. D’autres modèles essaient d’émerger, comme celui de Dott : « On emploie des professionnels à 100 % : ce sont nos employés ou les employés d’un prestataire spécialisé. De la recharge au recyclage, toutes les opérations se font d’ailleurs dans nos entrepôts, pour des raisons de sécurité », explique Matthieu Faure.

Des « détails » qui pourraient faire la différence. « La ville de Paris étudie le dossier, pour s’assurer de sélectionner les bons opérateurs à l’avenir », relève Benjamin Fassenot. Malgré tous les avantages que présentent les trottinettes en libre-service, leur adoption en masse n’est donc pas acquise. Mais pour les opérateurs, il y a un vrai enjeu : selon le rapport du BCG, le marché mondial des trottinettes électriques en libre-service pourrait atteindre 35 à 45 milliards d’euros en 2025, dont 12 à 15 milliards rien qu’en Europe.