ETUDEQuand une seule espèce, l’homme, menace l’ensemble du vivant...

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ETUDELes scientifiques de l’Ipbes, « le GIEC de la biodiversité », publient ce lundi la première évaluation depuis 2005 de l’état mondial de la biodiversité et des systèmes écosystémiques
Des oiseaux sur un arbre partiellement submergé dans l'eau dans la réserve de Mamiraua, dans l'État d'Amazonas, au Brésil. Le pays abrite plus de la moitié des espèces de plantes et d'animaux du monde, mais ses paradis écologiques sont confrontés aux activités humaines qui vont croissantes.
Des oiseaux sur un arbre partiellement submergé dans l'eau dans la réserve de Mamiraua, dans l'État d'Amazonas, au Brésil. Le pays abrite plus de la moitié des espèces de plantes et d'animaux du monde, mais ses paradis écologiques sont confrontés aux activités humaines qui vont croissantes. - Mauro PIMENTEL / AFP
Fabrice Pouliquen

Fabrice Pouliquen

L'essentiel

  • «La santé des écosystèmes dont nous dépendons, ainsi que toutes les autres espèces, se dégrade plus vite que jamais, indique ce lundi le rapport très attendu de l’Ipbes qui dresse une évaluation de l’état mondial de la biodiversité.
  • Au-delà des chiffres pointant cette érosion du monde du vivant, cette évaluation compile également tout un ensemble de données montrant la colonisation accélérée de la Terre par l’homme. A ce jour, 75 % de l’environnement terrestre et environ 66 % du milieu marin ont ainsi été significativement modifiés par l’action humaine.
  • Ce n’est pas qu’une question de démographie, rappelle l’Ipbes qui pointe également nos modes de consommation, ceux des pays développés notamment. Cette évaluation appelle alors à un « changement transformateur » de nos sociétés.

Sur les huit millions d’espèces animales et végétales sur la Terre, un million est aujourd’hui menacé d’extinction au cours des prochaines décennies. Du jamais vu jusqu’à présent dans l’histoire de l’humanité. Depuis 1900, l’abondance moyenne des espèces locales dans la plupart des grands habitats terrestres a diminué d’au moins 20 % en moyenne.

Les scientifiques de l’Ipbes, la plateforme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystèmiques, avaient prévenu : le rapport sur l’état mondial de la biodiversité, qu’ils publient ce lundi à Paris, ne serait guère rassurant.

« On ne pourra plus dire qu’on ne savait pas »

Pendant trois ans, 150 chercheurs du monde entier, aidés de 350 autres ont compilé pour l’Ipbes – c’est-à-dire le GIEC de la biodiversité – ont passé en revue 15.000 références scientifiques pour dresser la carte mondiale du vivant : combien restent-ils d’espèces animales et végétales sur Terre ? En quel état sont-elles ? Et, surtout, quelle pression l’homme fait-il peser sur elles ?

Aux 1.800 pages du rapport complet, l’Ipbes a ajouté ce lundi, « le résumé aux décideurs », un texte de 40 pages qui leur récapitule les messages clés et esquisse les divers scénarios possibles pour les dirigeants politiques. C’est ce document qui a fait l’objet d’âpres négociations entre les représentants des 132 pays membres de l’Ipbes toute la semaine dernière, au siège de l’Unesco à Paris. C’est ce qui donne une valeur historique à ce document, dit Pierre Cannet, responsable des programmes Nature au WWF France : « Non seulement il s’agit une évaluation très complète de l’état actuel de la biodiversité, ces 15.000 références représentant l’équivalent de près de 18 années de travail scientifique, commence-t-il. Mais, en plus, les conclusions ont été validées, via ce résumé pour décideurs, par 132 pays qui ne pourront plus dire "on ne savait pas". »

La colonisation de la Terre par l’homme

Et ce résumé pour décideurs fait froid dans le dos. Tout autant que le « un million » d’espèces menacées d’extinction ou la perte générale de l’abondance des espèces locales depuis 1900, Pierre Cannet pointe « la colonisation de la Terre par l’homme » au sujet de laquelle le rapport de l’Ipbes fourmille de données.

  • Les trois quarts de l’environnement terrestre et environ 66 % du milieu marin ont été significativement modifiés par l’action humaine.
  • Plus d’un tiers de la surface terrestre du monde et près de 75 % des ressources en eau douce sont maintenant destinées à l’agriculture ou à l’élevage.
  • 60 milliards de tonnes de ressources renouvelables et non-renouvelables sont maintenant extraites chaque année dans le monde. Une quantité qui a presque doublé depuis 1980.
  • Les zones urbaines ont plus que doublé depuis 1992.
  • En 2015, 33 % des stocks de poissons marins ont été exploités à des niveaux non durables ; 60 % l’ont été au niveau maximum de pêche durable, et seulement 7 % à un niveau inférieur à celui estimé comme étant durable.
  • La pollution par les plastiques a été multipliée par dix depuis 1980.

« Pour la première fois depuis qu’il y a de la vie sur Terre, nous avons une seule et même espèce, l’homme, qui menace l’ensemble du vivant », résume Pierre Cannet.

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Pas qu’une question de hausse de la population mondiale

Certes, cette emprise de l’homme sur le vivant est la conséquence, en partie, d’une démographie galopante. Les scientifiques de l’Ipbes n’éludent pas ce facteur. « Depuis 1970, la population mondiale a plus que doublé passant de 3,7 à 7,6 milliards d’individus », rappelle le rapport. Mais l’évaluation pointe aussi « l’augmentation de la consommation par habitant et l’innovation technologique, dont les dommages causés à la nature ont diminué dans certains cas tandis qu’ils ont augmenté dans d’autres. »

Autrement dit, il n’y a aucun pays qui n’a pas sa part de responsabilité dans cette érosion du monde vivant, même ceux dont la population est stable. « Une tendance qui émerge est celle dite de l’interconnectivité mondiale ou « télécoupling », indique le professeur américano-brésilien Edouardo S. Brondizio, qui a coprésidé le rapport de l’Ipbes. Dans ce cas, l’extraction des ressources et leur production ont lieu dans une partie du monde, mais servent souvent à satisfaire les besoins de consommateurs éloignés, qui vivent dans d’autres régions. » « C’est par exemple l’huile de palme que les pays industrialisés du nord importent d’Indonésie, de Malaisie et de plus en plus d’Afrique, où cette production, telle qu’elle est pratiquée aujourd’hui, est source de déforestation, illustre Pierre Cannet. C’est encore le soja, produit massivement au Brésil où elle grignote la savane du Cerrado puis importé dans les pays du Nord pour y nourrir les élevages. »

« Dans les dix pays les plus consommateurs de ressources naturelles, on retrouve alors sans surprise les pays du G7, poursuit le responsable des programmes Nature au WWF France. Les Etats-Unis, l’Allemagne, le Japon, le Royaume-Uni et la France qui arrive en quatrième position ».

« Agir dès maintenant à tous les niveaux, du local au mondial »

L’Ipbes ne va pas alors par quatre chemins. « Nous sommes en train d’éroder les fondements mêmes de nos économies, nos moyens de subsistance, la sécurité alimentaire, la santé et la qualité de vie dans le monde entier », indique son président, l’écologiste Sir Robert Watson. S’il n’est pas trop tard pour agir, « il faut le faire maintenant, à tous les niveaux, du local au mondial », précise le rapport, qui appelle à « un changement transformateur » de nos sociétés.

C’est peut-être une limite de cette évaluation de l’Ipbes pour Pierre Cannet. « Dans les scénarios et les pistes d’améliorations recensées, elle n’est pas aussi précise que peuvent l’être les rapports du GIEC sur le climat », observe-t-il. Quoi qu’il en soit, la feuille de route est connue : fin 2020 se tiendra en Chine la COP15 de la Convention sur la diversité biologique. Elle devra fixer, pour la décennie à venir, des cibles claires pour endiguer la perte de biodiversité et des mécanismes de mise en œuvre afin de les atteindre. Beaucoup appellent à l’adoption d’un accord mondial ambitieux à la mesure de ce qu’a été la COP21 de Paris pour le climat.

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La France dit déjà préparer l’événement, via notamment le G7 de l’environnement qu’elle organise depuis dimanche à Metz. Elle devrait aboutir ce lundi à l’adoption d’une charte de la biodiversité par la quinzaine de pays présent. L’occasion pour ces Etats de montrer leur détermination à agir, assure-t-on au ministère de la transition écologique.

Pourquoi préserver la biodiversité n’est pas qu’un enjeu environnemental ?

« Nous sommes en train d’éroder les fondements même de nos économies, nos moyens de subsistance, la sécurité alimentaire, la santé et la qualité de vie dans le monde entier ». Le constat est de Sir Robert Watson, le président de l’Ipbes, dans le rapport publié ce lundi.

Les 1.800 pages n’inventorient pas seulement les espèces animales et végétales sur Terre, il liste aussi tous les services que rend la nature à l’homme. « Plus de deux milliards de personnes dépendent ainsi du bois pour satisfaire leurs besoins en énergie primaire, environ 70 % des médicaments utilisés contre le cancer sont naturels ou sont des produits synthétiques inspirés par la nature », illustre le rapport. Plus de 75 % des types de cultures vivrières dans le monde, y compris les fruits et légumes mais aussi le café, le cacao et les amandes, dépendent par ailleurs de la pollinisation par les animaux. La nature est par ailleurs un atout de taille dans la lutte contre le réchauffement climatique. Les écosystèmes marins et terrestres sont les seuls puits d’émissions de carbone anthropiques, avec une séquestration brute de 5,6 gigatonnes de carbone par an (l’équivalent d’environ 60 % des émissions anthropiques mondiales).

Voilà pourquoi, selon l’Ipbes, si nous ne parvenons pas à endiguer cette érosion du vivant, la communauté internationale ne parviendra pas à réussir ses dix-sept Objectifs de développement durable (ODD) qu’elle s’est fixé à atteindre pour 2030. Ceux d’éradiquer la pauvreté et la faim dans le monde par exemple, celui encore d’assurer à tous une eau propre et un assainissement…