Encore des milliards de «laissés pour compte» dans l'accès à l'eau potable et à l'assainissement
JOURNÉE DE L'EAU•Ce vendredi est décrété journée mondiale de l’eau, une ressource que les Nations Unies veulent rendre accessible à tous d’ici 2030. Malgré des progrès, on y est loin encore, pointe cette semaine un rapport de l’ONUFabrice Pouliquen
L'essentiel
- En 2015, 2,1 milliards de personnes, soit 29 % de la population mondiale, n’avaient pas accès à un service d’eau gérée en toute sécurité. Et 4,5 milliards n’avaient pas accès à des services d’assainissements gérés de manière sûre.
- Assurer à tous un accès à l’eau potable et à l’assainissement est l’un des Objectifs de développement durable (ODD) fixés par l’ONU pour 2030. Peu de pays sont en mesure de l’atteindre, surtout dans un contexte de croissance démographique et de changement climatique.
- Dans un rapport, l’ONU estime qu’il faut au minimum tripler par trois les investissements consentis dans ce secteur. « Et miser dans des solutions décentralisées », ajoute Laure Criqui, spécialiste des questions d’accès à l’eau.
Garantir l’accès de tous à l’eau et à l’assainissement et assurer une gestion durable des ressources en eau. C’est le sixième des17 ODD, ces objectifs de développement durable inscrits par les Etats membres de l’ONU en 2015 et à atteindre d’ici 2030.
Si des progrès ont été réalisés ces quinze dernières années, tant dans l’accès à l’eau potable que sur le volet assainissement, cet objectif 6 est encore loin d’être rempli, indique cette semaine l’ONU dans son nouveau rapport sur l’eau, intitulé « Ne laisser personne pour compte » qui dévoile des données de 2015. A l’occasion de la Journée mondiale de l’eau, qui se tient ce vendredi, 20 Minutes passe en revue, chiffres par chiffres, les principaux enseignements de ce rapport, avec Laure Criqui, ex-chercheuse à l’ Iddri (Institut du développement durable et des relations internationales), aujourd’hui consultante indépendante spécialiste du développement urbain et de l’accès à l’eau en ville.
2,1 milliards
En 2015, 2,1 milliards de personnes, soit 29 % de la population mondiale, n’avaient pas accès à un service d’eau gérée en toute sécurité. C’est-à-dire provenant d’une source d’eau améliorée (eau courante, puits tubulaires, eau conditionnée ou livrée…), disponible en cas de besoin et exempte de contamination fécale et chimique.
L’accès à l’eau est plus précaire encore pour 844 millions de personnes qui n’avaient toujours pas accès en 2015 à un service élémentaire d’eau potable. « On parle ici de ceux qui doivent s’approvisionner directement dans les cours d’eau ou qui n’ont pas de points de prélèvement à moins de trente minutes de chez eux [aller-retour et attente compris] », précise Laure Criqui.
Ces exclus de l’eau sont les « pauvres urbains », les « pauvres ruraux » et les « réfugiés », établit le rapport de l’ONU. La situation varie aussi considérablement d’une région à l’autre. L’accès à une eau potable sûre est assuré à 94 % en Europe et en Amérique du Nord contre seulement à 24 % en Afrique subsaharienne. Près de la moitié des personnes qui consomment une eau provenant de sources non protégées vit en Afrique subsaharienne.
4,5 milliards
Il s‘agit cette fois-ci de la part de la population mondiale qui n’a pas accès à des services d’assainissements gérés de manière sûre. C’est l’autre pan de l’inégal accès à l’eau dans le monde, « L’assainissement est resté pendant longtemps un secteur très délaissé, alors que tout aussi problématique que la question de l’accès à l’eau potable, glisse Laure Criqui. C’est une question de dignité, de sécurité particulièrement pour les femmes –, de propagation de maladies. Mais, l’absence de services d’assainissement fait aussi courir le risque que des eaux usées non-traitées se retrouvent dans l’environnement et polluent les sols et les nappes phréatiques, dégradant un peu plus encore la ressource en eau. »
780.000
Selon les évaluations de l’ONU, 780.000 personnes meurent chaque année de la dysenterie (diarrhées graves) et du choléra, deux maladies liées à un approvisionnement en eau potable et/où d’un assainissement insuffisant. Un nombre qui dépasse très largement le nombre de personnes tuées dans le monde par les inondations, les sécheresses et les conflits.
10 à 20 fois
Un manque d’accès à l’eau et à des services d’assainissement est aussi vecteur de nombreuses autres inégalités. Aller chercher de l’eau à plusieurs dizaines de minutes de son domicile accapare forcément beaucoup de temps. Dans les trois quarts des ménages qui n’ont pas accès à l’eau potable chez eux, c’est d’ailleurs aux femmes et aux filles qu’est confiée principalement la responsabilité de collecter l’eau.
Par ailleurs, plus l’eau est rare et plus son coût devient exorbitant. Les habitants des bidonvilles qui ne sont pas raccordés aux services publics doivent payer dix à vingt fois plus cher leur eau que leurs voisins plus riches disposant de l’eau courante. « Ils n’ont d’autres choix que d’acheter leur eau au jour le jour auprès de fontainiers ou des camions-citernes, explique Laure Criqui. Un service qui est forcément plus cher rapporté au litre d’eau consommé, même lorsque ces modes alternatifs d’accès à l’eau sont gérés par des autorités publiques. »
89 % et 68 %
La part de la population mondiale utilisant au moins un service élémentaire d’eau potable est passée de 81 % en 2000 à 89 % en 2015. Et celle utilisant au moins un service élémentaire d’assainissement de 59 à 68 %. Le signe donc que des progrès ont été accomplis ces quinze dernières années. Mais l’ONU souligne pour autant que seulement une minorité de pays sont en passe d’atteindre les objectifs de services élémentaires d’approvisionnement en eau et assainissement pour tous d’ici 2030. Ce cap devrait être plus compliqué à atteindre encore à l’avenir. En raison déjà de la croissance démographique. L’utilisation de l’eau dans le monde augmente annuellement d’environ 1 % depuis les années 1980, rappelle le rapport. L’agriculture en est de loin le plus grand consommateur (69 % des prélèvements annuels d’eau dans le monde). Suivent l’industrie (19 %) et les ménages (12 %).
« S’ajoutent à cela les changements climatiques, complète Laure Criqui. Cela se traduit par des sécheresses plus intenses dans des pays déjà confrontés à un stress hydrique ou, ailleurs, par des inondations violentes abîmant les réseaux d’eau potable et d’assainissement. »
114 milliards
C’est en dollars la somme qui devrait être investie chaque année, selon l’ONU, pour atteindre l’accès universel à l’eau potable et à l’assainissement d’ici 2030. Soit un triplement des niveaux d’investissements actuels. Reste à savoir comment utiliser cet argent. « On ne va pas pouvoir installer des réseaux partout, c’est impossible au regard de l’actuelle croissance démographique, dans les villes en particulier, estime Laure Criqui. Il faudra trouver d’autres solutions, hors réseaux, c’est-à-dire décentralisées. Elles sont souvent moins coûteuses et peuvent être déployées plus facilement. » Elle cite en exemple les systèmes de toilettes que développent Sanergy au Kenya et Soil à Haïti. « Elles n’ont pas besoin d’être raccordées à un quelconque réseau et sont louées, explique-t-elle. Elles sont dotées d’un conteneur scellé et hygiénique où sont recueillies les matières fécales. Celles-ci sont régulièrement collectées pour être revalorisées sous formes d’engrais et autres. »