INTERVIEW«La croissance verte est un mythe, seuls nos modes de vie sont durables»

Famille en transition écologique: «La croissance verte est un mythe, seuls nos modes de vie sont durables»

INTERVIEWAprès être devenue zéro déchets, démarche racontée dans un livre, la famille de Jérémy Pichon passe à la suite : sa transition écologique
Fabrice Pouliquen

Propos recueillis par Fabrice Pouliquen

L'essentiel

  • Jérémie Pichon et Bénédicte Moret sortent ce jeudi Famille en transition écologique*, un carnet de route et guide pratique illustré, pour tenter de réduire au maximum l’empreinte carbone d’une famille française.
  • « Cette démarche d’entrer en transition écologique nécessite déjà de sortir du mythe de la croissance verte et de s’interroger sur ses modes de vies, les seuls à pouvoir être durables », explique Jérémie Pichon.
  • Vient ensuite le temps de se pencher, thématique par thématique, sur l’empreinte carbone de nos faits et gestes. Et ça commence par la façon dont on place notre épargne.

L’équipe reste inchangée : Jérémie Pichon pour le texte, Bénédicte Moret pour les illustrations, et leur famille, que complètent leurs deux enfants, comme objet d’étude. En mars 2016, ils publiaient « Famille (Presque) zéro déchet ». Le livre, à la fois carnet de bord et guide pratique illustré avec humour, retrace le cheminement de cette famille installée dans les Landes et passée en deux ans d’une poubelle de déchets ménagers par semaine à un bocal par an.

La suite sort ce jeudi. « Famille en transition écologique » (Thierry Souccar éditions). « La démarche zéro déchet permet d’interroger l’impact environnemental de notre alimentation et notre consommation, explique Jérémie Pichon. Il y a tout le reste. Notre argent, les transports, le logement, le travail, le service public. » Alors pendant un an, aidé d’ Apesa, bureau d’étude spécialisé dans les bilans « carbone » et d’étudiants de l’IUT de Bordeaux, Jérémie Pichon et Bénédicte Moret ont compilé les faits et gestes de leur famille, puis calculé les émissions de carbone associées. Enfin, ils ont esquissé les pistes d’amélioration pour s’approcher des 2,1 tonnes équivalent CO2 (eq. CO2) par an et par personne, le quota à ne pas dépasser pour limiter le réchauffement climatique à 2°C dans un monde à 7 milliards d’individus. Jérémie Pichon répond aux questions de 20 Minutes.

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A vous lire, avant même de se pencher sur nos modes de vie, il faudrait déjà commencer par sortir du mythe de la croissance verte ?

C’est l’illusion que nous servent continuellement les courants politiques, économiques et scientifiques. Le message est « Ne changez rien, on s’occupe de tout ». On garde le même système basé sur la croissance, le crédit, l’extraction-transformation-consommation de ressources. Mais on peint le tout en vert. Les solutions seraient de rouler en voiture électrique, d’installer des panneaux solaires sur le toit, de faire le tri puisqu’on sera capable de tout recycler. C’est faux. Il n’y a pas d’énergie propre, pas de croissance verte, ni d’objets durables. Seuls les modes de vie sont durables. C’est le message clé du livre. En moyenne, un Français génère aujourd’hui 12 tonnes éq-CO2 par an et, l’an dernier, la France est entré en déficit écologique le 5 mai*. L’État a son rôle à jouer pour améliorer notre bilan carbone. En lançant un grand programme de rénovation énergétique des logements ou de développement des transports en commun, en milieu rural notamment. Mais nous devons aussi chacun nous interroger sur nos modes de vie. Cessons de renvoyer nos responsabilités aux autres. A Trump ou à qui sais-je encore.

On résume souvent notre impact environnemental à notre empreinte carbone [les émissions de gaz à effet de serre que génèrent nos activités]… Vous insistez également sur notre empreinte « eau ». Est-elle trop souvent oubliée ?

Elle est surtout méconnue car une très grande partie de nos consommations en eau est cachée. Un Français utilise en moyenne 123 litres d’eau visible par jour. Pour les toilettes, les vaisselles, les douches, le brossage des dents. Mais à cela s’ajoutent 1.665 litres d’eau cachée par jour, qui ont été utilisées pour produire les aliments que je consomme, le tee-shirt que je porte, l’ordinateur sur lequel je travaille, ou refroidir les centrales nucléaires qui me fournissent en énergie. Il y a plus vicieux : cette empreinte cachée en eau est en grande part délocalisée. En clair, on prélève les nappes phréatiques des pays asiatiques, là où nous produisons l’essentiel de nos biens de consommation. Par exemple, contre toute logique, nous faisons de la culture intensive de coton en Inde , alors qu’elle très gourmande en eau et que cette ressource est très fragile dans ce pays.

Pourquoi une famille en transition écologique doit commencer par reprendre le contrôle de son épargne ?

Notre argent en banque génère la plus grande part de nos émissions annuelles. Et pas qu’un peu mais 41 % de nos émissions totales. Cette épargne est réinvestie par les banques aux quatre coins du monde dans des projets qui ont leurs impacts environnementaux. En particulier lorsqu’il s’agit de financer des centrales à charbon ou l’exploitation de sables bitumineux. S’ils en avaient conscience, la majorité des Français s’opposerait à une telle utilisation de leur argent. En novembre 2010, Les Amis de la Terre et le cabinet Utopies avaient ainsi calculé l’empreinte carbone des banques françaises. Un euro placé en banque génère ainsi l’équivalent de 200 g à 1kg éq. CO2 par an suivant la banque que nous avons choisie. Sachant qu’en 2010, selon les calculs de l’étude, le groupe Crédit agricole était dernier de la classe et la Nef, une banque coopérative qui n’investit que dans des projets écologiques et sociaux, la plus vertueuse. C’est donc notre premier conseil : reprendre le contrôle de son argent et le placer dans des produits d’épargne solidaire répertoriés dans le label Finansol.

Les douze actions prioritaires pour engager une transition écologique selon Jérémie Pichon et Bénédicte Moret.
Les douze actions prioritaires pour engager une transition écologique selon Jérémie Pichon et Bénédicte Moret. - Image tirée de

Une famille en transition écologique devra-t-elle se résoudre à plus de sobriété ?

Ce mot d’ordre est vrai pour tout en effet. Que ce soit dans son rapport au transport, à l’alimentation, au logement, à la consommation, au travail, et même dans son recours aux services publics. Cela nécessite parfois de changer profondément nos habitudes, mais ce n’est non plus « le retour à la bougie » comme dénigrent certains. Mais même à 2,1 tonnes équivalent CO2 (eq. CO2), nous pourrons vivre très bien, sans doute même mieux à bien des égards. Un exemple : pour notre démarche « zéro déchet », nous avons fini par ne plus du tout passer par la grande distribution pour privilégier les marchés. Jamais nous reviendrons en arrière aujourd’hui. Nous participons à développer l’économie locale, nous améliorons notre santé, nous participons à notre échelle à lutter contre le réchauffement climatique, un motif de satisfaction pour notre famille.

Mais surtout, en mangeant plus d’aliments bruts et moins d’aliments transformés, nous avons fait le constat que nous étions plus rapidement rassasiés et que la quantité d’aliments que nous achetions aujourd’hui avait baissé de 35 %. Cette baisse ne vaudra pas peut-être pas pour toutes les familles entrant dans une démarche zéro déchet. Mais, globalement, plus de sobriété veut dire aussi des économies d’argent et, si on poursuit la logique, du temps libre de gagner. Ce temps est bien souvent un luxe aujourd’hui à l’heure où nous travaillons essentiellement pour pouvoir ensuite consommer.

Après la quête du zéro déchet, Jérémie Pichon, Bénédicte Moret et leurs deux enfants passent à l'étape d'après: la transition écologique.
Après la quête du zéro déchet, Jérémie Pichon, Bénédicte Moret et leurs deux enfants passent à l'étape d'après: la transition écologique. - Dessin Bluetouf

Où en est votre famille sur sa transition écologique ?

Nous sommes loin encore des 2,1 tonnes d’eq. CO2 par tête. Nous sommes partis des 12 tonnes comme tout le monde. Notre démarche « zéro déchet » nous a permis d’économiser deux tonnes. C’est encore bien insuffisant et nous avons bien conscience que cette transition écologique nous met face à des choix difficiles à faire et nous confronte parfois à des impasses. Il faut savoir être indulgent avec soi-même, faire en fonction de ses moyens. Mais il faut au moins commencer. Vivant à la campagne, nous aurions du mal aujourd’hui à nous passer de nos deux voitures. Mais nous utilisons progressivement le vélo sur certains de nos trajets. Nous avons le projet aussi de construire une maison écologique, en paille et bois, autonome en énergie et eau. Nous changeons aussi notre rapport aux voyages. Pas plus d’un vol long-courrier tous les trois ans. Nous partirons moins souvent ou moins loin, mais du coup plus longtemps pour en profiter pleinement.