Grand débat national: «On sait ce qu'il faut faire, quand est-ce qu’on commence ?»... On a discuté écologie avec François de Rugy
REPORTAGE•François de Rugy recevait 175 signataires de la pétition « l’Affaire du siècle » au sein du ministère de la Transition écologique, ce mercredi soirLucie Bras
L'essentiel
- Après la pétition « l’affaire du siècle », signée par deux millions de Français, le ministre de la Transition écologique François de Rugy a invité 175 personnes pour parler du climat. « 20 Minutes » en faisait partie.
- Les secrétaires d’Etat Brune Poirson et Emmanuelle Wargon étaient également présentes.
- Les nombreuses propositions faites par les participants seront conservées dans le cadre du grand débat national.
«C’est ici la queue pour prendre le thé avec le ministre ? » Il règne une agitation inhabituelle devant le ministère de la Transition écologique, dans le 7e arrondissement de Paris, ce mercredi soir. Dans son ministère, François de Rugy accueille le grand débat national. Après la pétition l’Affaire du siècle, qui a recueilli plus de deux millions de signatures, il a passé un appel sur Facebook pour convier des signataires à venir discuter climat avec lui. Sur 5.000 candidatures, les équipes du ministre en ont retenu 175, dont celle de l’auteure de ces lignes.
Avant d’entrer, on s’échauffe. Tout le monde révise : on parle déjà voitures électriques, isolation des bâtiments et « gilets jaunes ». Le grand débat national se passe déjà là, dans la rue. Certains sont moins préparés : « Moi, je viens la bouche en cœur. » On s’interroge aussi sur la forme que prendra le débat, s’il y aura un buffet – il n’est que 19 heures, qui a pensé à manger avant de venir ?
Deux heures de débat, deux minutes par question
L’arrivée dans la salle nous donne déjà quelques réponses sur l’organisation de la soirée. Les sièges sont disposés en rangs et en carré. Au centre, c'est l'octogone de l’écologie, là où le ministre répondra à nos questions. Les places de François de Rugy, accompagné des secrétaires d’Etat Brune Poirson et Emmanuelle Wargon – « c’est celle qui s’est fait flasher sur l’autoroute ? », entend-on derrière – sont réservées. Et il n’y a pas de buffet. Mais comme dans cette salle, on est tous plus ou moins convaincus qu’un buffet, c’est pas très écolo, personne ne s’en plaindra.
20h15, les ministres s’installent face à une assemblée composée presque exclusivement de jeunes. Après une courte introduction aux résultats (positifs) de la France en matière d’écologie, François de Rugy énonce les règles du débat d’un sérieux professoral. Deux heures maximum et deux minutes par question. « Le sujet de ce soir, c’est le climat. On attend des opinions, des analyses, des propositions. »
Après quelques questions de chauffe, on entre dans le dur. « On sait ce qu’il faut faire. Quand est-ce qu’on commence ? », demande Sarah, 26 ans, avant de proposer une liste de solutions qui reçoit des applaudissements nourris de la salle. Comme de nombreux pétitionnaires, les critiques fusent sur l'« inaction » du ministre. « Monsieur le ministre, vos victimes elles sont là, elles sont devant vous. (…) Ce soir, je suis venue chercher des actes. Ne prenez pas le temps de me répondre, mettez juste le sujet à l’ordre du jour du prochain Conseil des ministres, et de tous ceux d’après », déclare une participante.
Des peurs face à l’urgence
Dans de nombreuses questions posées, on sent cette urgence de passer à l’action face à « l’inéluctable » changement climatique. « Je suis inquiète. Tout le monde sait ce qu’il faut faire et personne n’a le courage de le faire », estime une autre, qui demande à réformer le « capitalisme financier ». «Le pacte finance-climat [un pacte européen pour mettre la finance au service du climat] pourrait résoudre la crise qui nous menace », abonde une intervenante.
Brune Poirson choisit de lui répondre. « Je suis d’accord de A à Z avec l’intégralité de ce que vous avez dit », veut-elle rassurer. « Oui, le système capitaliste dans lequel on est, il est absurde. On a une finance qui ne fonctionne que pour elle-même. Nous en avons fait notre combat numéro un », poursuit-elle. Le ministre répond ensuite aux critiques. « Chaque proposition, quand elle devient un acte, ça devient une polémique ou une source de conflits. Même si vous dites "pas de blabla, de l’action !", il faut nous expliquer comment on dépasse les objectifs et les difficultés », souligne François de Rugy, prenant l’exemple de la taxe carbone.
« La question que vous nous posez, c’est celle de l’ambition, du courage, de la vitesse », résume Emmanuelle Wargon. « Alors, oui c’est loin 2050. Mais ce sont des sujets qui bougent lentement, des sujets de long terme », complète-t-elle, évoquant l’objectif de neutralité carbone pour la France. « On essaie aussi de passer à l’acte, c’est la stratégie de ce ministère. Et plus vous nous dites "Plus vite, plus fort", plus on est armés ».
« On dirait une opération de com »
A plusieurs reprises, le ton monte. Sur l’interdiction des pailles en plastique, repoussée d’un an par le gouvernement. « Pourquoi le repousser ? Ca fait trente ans qu’on attend », répliquent certains. « Parce qu’il y a des familles derrière, il y a des emplois », rétorque Brune Poirson. « On vient sur notre temps personnel pour partager des peurs et vous le prenez sur le ton de la rigolade. On a l’impression d’être dans une opération de com », proteste un participant. « Je ne suis pas devant un panel électoral », rétorque Rugy. « Je pense que c’est utile d’échanger. Si vous avez l’impression que c’est une opération de com, c’est dommage, tant pis. »
Derrière la colère, il y a aussi beaucoup d’espoir. Et des propositions. Parmi les participants, beaucoup soulèvent un manque d’éducation, du plus jeune âge aux études supérieures, sur le sujet du climat. « Je suis étudiant en école de commerce et ça me rend fou de me dire qu’on ne m’a jamais appris l’économie durable et la consommation locale. Les élèves des grandes écoles aussi ont soif de ça », témoigne Lucas. « Est-ce que vous allez travailler avec nous pour préparer les gens aux crises de demain ? », demande Martin. Un autre participant propose la formation systématique des élus et des gouvernants aux questions climatiques.
Des propositions à faire remonter
La biodiversité, la Montagne d'or, la collapsologie… Rugy, Wargon et Poirson sont passés à la moulinette du climat par des participants incollables sur le déclin de la planète. Certaines interventions portent sur des propositions concrètes : et si on créait une réserve citoyenne pour l’écologie ? Et si on faisait des ministères zéro déchet pour montrer l’exemple ? Et si on mettait des étiquettes sur les produits pour indiquer ce qui est bas carbone et ce qui ne l’est pas ? Et si on créait une plateforme pour communiquer tous ensemble, créer des projets d’entreprises ?
Après près de trois heures d’un débat riche et dense, Rugy sonne la fin de la soirée. Les propositions émises ce mercredi vont être numérisées et analysées, avec toutes celles du grand débat national, a indiqué le ministre, qui a affirmé que l’on « se reverrait » pour parler de ce qui a été fait et de ce que qu’il reste encore à faire. « C’est plus qu’une promesse, c’est une méthode de travail », a-t-il conclu.