INTERVIEW«Ne pas lier trop vite cette vague de douceur au réchauffement climatique»

Météo: «Ne pas lier trop vite cette vague de douceur au réchauffement climatique»

INTERVIEWDes records de chaleurs sont tombés sur l’Hexagone en février et la Corse bataille déjà avec des incendies. Christelle Robert, prévisionniste à Météo-France, met tout de même en garde contre le raccourci imputant ces anomalies au dérèglement climatique
Fabrice Pouliquen

Propos recueillis par Fabrice Pouliquen

L'essentiel

  • Toujours un soleil éclatant ce lundi sur une grande partie de l’Hexagone. Et ça devrait durer jusqu’à jeudi si on en juge par les prévisions.
  • Etonnant, pour un mois de février ? Pas tant que ça, pour Christelle Robert, prévisionniste à Météo-France. Elle explique cette vague de douceur par un phénomène météorologique précis sans le relier au réchauffement climatique.
  • Bref, il ne faut pas s’attendre à des vagues de douceur comparables chaque mois de février désormais. Rappelez-vous d’ailleurs février 2018. L’Hexagone était balayé par le glacial Moscou-Paris.

Il y a ce grand ciel bleu limpide et ce soleil éclatant depuis une dizaine de jours sur la quasi-totalité de la France et qui durera jusqu’à jeudi. Il y a aussi la Corse aux prises avec de violents incendies depuis samedi soir. Et février n’est toujours pas terminé. Mélangez le tout et la tentation devient grande alors d’invoquer le dérèglement climatique pour expliquer ces anomalies.

C’est en tout cas le parallèle dressé par Josiane Chevalier, préfète de Corse et de Corse-du-Sud lors d’un point d’étape, dimanche soir, sur la lutte engagée pour stopper la série d’incendies frappant l’île de Beauté. « On ne s’attend pas à avoir des feux en hiver mais, maintenant, je crois qu’il va falloir s’habituer », a-t-elle prédit. « Le lien entre cette vague de douceur et le dérèglement climatique n’est pas aussi simple », affirme pour sa part Christelle Robert, prévisionniste à Météo France. Elle répond aux questions de 20 Minutes.

Cette vague de douceur en plein février, c’est du jamais-vu en France ?

C’est en effet assez exceptionnel d’avoir des périodes douces et ensoleillées aussi longues en février. Plusieurs records de chaleur ont ainsi été battus. Dans l’Hérault par exemple [24,7 °C à Béziers, battant largement le précédent record à 23,1 °C de février 2012], ou sur la côte atlantique [20,50 °C à La Rochelle contre 17,8 °C pour le précédent record de 2009]. Plus marquant encore, Brest a également battu un record ce dimanche avec une maximale de 19,7 °C. Il tenait depuis le 28 février 1960. Les 19,7 °C enregistrés dimanche sont près de dix degrés au-dessus de la normale décadaire du mois, c’est-à-dire la moyenne des températures enregistrées à Brest les dix derniers jours de février de 1980 à 2010. Mais ce qu’on a mesuré hier est même au-dessus de la normale de mai toujours à la pointe du Finistère. Donc, oui, c’est certain, cette vague de douceur que nous traversons actuellement est inédite.

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Comment l’expliquer ?

Elle est le fruit de phénomènes météorologiques. Une masse d’air très doux, d’origine subtropicale – venue du Cap-Vert, qui a gagné le pays à l’avant de perturbations atlantiques. En parallèle, une crête de haute pression s’est installée sur l’Europe occidentale depuis le 12 février et va rester là jusqu’à la fin du mois. Cet anticyclone fait alors barrière aux perturbations atlantiques contraintes de contourner cette crête par le nord. D’où ce très bel ensoleillement ces derniers jours sur la France. Enfin, troisième facteur, ces hautes pressions atmosphériques compriment la masse d’air, ce qui la réchauffe et contribue alors à l’augmentation des températures. Cette conjonction de facteurs explique cette vague de douceur en France. Mais la situation est très contrastée en Europe. Elle est ainsi très perturbée à l’est de la France, avec de la neige même tombée dans le sud de l’Italie et en Grèce.

Et la Corse dans tout ça ?

Les records de chaleur ont été battus dans le Sud-Est et en Bretagne, mais pas en Corse. Dimanche, on a eu 12,6 °C à Bastia et 16 °C à Ajaccio. Ce ne sont pas des températures si élevées pour cette zone à cette époque. Effectivement, comme l’a pointé la préfète, l’état des sols est plus sec qu’à la normale, ce qui est un terrain propice aux incendies. Mais cet état de sécheresse n’est pas non plus dû aux niveaux records déjà enregistrés en Corse en février. Le mois a même été assez humide dans le nord-ouest de l’île, là où les incendies ont été particulièrement virulents [l’incendie de Calenzana a détruit plus de 1.200 hectares de végétation depuis samedi soir]. Le vent a malheureusement beaucoup joué dans la propagation de cette série d’incendies de ces derniers jours, avec des rafales allant jusqu’à 90 km/h. Sans parler des écobuages [débroussaillements par le feu] mal maîtrisées, un paramètre décorrélé de la météo. Là encore, on est face à une conjonction de facteurs et, pour ma part, je ne lierais pas ces incendies en Corse au dérèglement climatique.

Rien n’indique donc que ces vagues de douceur en France ou même ces incendies en Corse deviendront habituels désormais en février ?

Non, rien ne l’indique et il faut toujours faire très attention lorsqu’on lie un épisode météorologique ponctuel de l’évolution du climat, qui est une tendance de fond. Le réchauffement climatique est là. On le remarque, parce qu’il y a de plus en plus de records chauds qui sont battus et de moins en moins de records froids. Mais nous aurons toujours malgré tout des alternances de pics froids et de pics chauds suivant les phénomènes météorologiques traversant la France. Rappelez-vous l’an dernier, à la même époque exactement, la France était balayée par le Moscou-Paris, une masse d’air glaciale qui s’était abattue pendant une semaine sur l’Hexagone avec des températures ressenties de -9 °C à Paris. Février avait été froid tout comme le début du mois de mars. Ces alternances de pics chauds et froids sont assez symptomatiques de la situation météorologique de la France. Nous avons des chaînes de montagnes, une influence marquée de la Méditerranée au sud, un climat océanique à l’ouest, continental à l’est. Tout cela fait qu’il y a toujours eu sur l’Hexagone des descentes froides, des radoucissements… C’est relativement classique.