La pêche est-elle davantage durable ou touche-t-on toujours plus le fond?
POISSONS•Cette semaine est celle de la pêche responsable, moment choisi par le label MSC pour mettre en avant « ce qui se fait aujourd’hui de bien dans le monde de la pêche ». L’arbre qui cache la forêt ?….Fabrice Pouliquen
L'essentiel
- 48 % des volumes de poissons débarqués dans les ports français en 2017 provenaient de stocks bien exploités, selon l’Ifremer. La situation s’améliore depuis le début des années 2000, du moins pour ce qui concerne les poissons pêches en Atlantique nord-est.
- Le label « pêche durable » MSC y voit le signe d’un changement de mentalité au sein de la profession des pêcheurs, changement qu’il demande aux consommateurs d’accentuer encore en orientant leurs achats sur des poissons dont les stocks sont bien gérés.
- L’ONG Bloom a un regard bien plus critique et dénonce les techniques de pêches intensives qui ont cours encore aujourd’hui, malgré leurs impacts néfastes sur les habitats marins et les prises accidentelles de poissons.
David, Yannick, Kyrvine, Julien et Guillaume. Vous croiserez peut-être les visages de ces cinq pêcheurs français sur le chemin du travail cette semaine. Il s’agit de ceux choisis par le Marine stewardship council (MSC) pour être placardé dans le métro de plusieurs villes françaises à l’occasion la troisième édition de la Semaine de la pêche responsable qui se tient jusqu’à ce dimanche.
Ne pas tout voir en noir ?
« Plutôt que de ce qui ne va pas, nous avons décidé de mettre en avant ces pêcheurs responsables, engagés pour l’environnement, justifie Jean-Charles Pentecouteau, responsable France de MSC.
Le label assure garantir aux consommateurs que les produits de la mer et de la pêche sur lesquels son étiquette bleue est apposée ont été pêchés selon les trois grands piliers d’une pêche durable.
- Ces produits ne sont pas issus de stocks de poissons surexploités. Autrement dit, les prélèvements ne sont pas trop importants par rapport au nombre d’individus et n’entravent pas la capacité de l’espèce à se reproduire.
- La technique de pêche employée a un impact minimal sur les écosystèmes. Pas ou peu de destructions d’habitat, pas ou peu de prises accidentelles de poissons non ciblés…
- Les règles en vigueur dans cette pêcherie ne mettent pas en péril la survie de l’espèce.
Lancé en 1997, MSC labellise aujourd’hui 350 pêcheries dans le monde, « dont douze en France, qui représentent 15 % des captures nationales », précise Jean-Charles Pentecouteau. Le signe, pour ce dernier, que la profession se bouge peu à peu sur la question de la préservation des ressources marines.
Des exemples de bonnes gestions…
Un constat que partage Alain Biseau, coordinateur des expertises halieutiques de l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (Ifremer). Il dressait début février, un bilan « plutôt optimiste » de la gestion des stocks de poissons exploités par les pêcheurs français. « Sur les 400.000 tonnes de poissons débarqués sur les ports français en 2017, 48 % provenaient de stocks bien exploités, indique-t-il. La tendance est positive. En Atlantique nord-est sur la plupart des stocks, la pression de pêche a diminué depuis le début des années 2000 et la biomasse des reproducteurs [poissons matures en age de se reproduire] a augmenté de 39 %. »
Un cas d’école est celui du thon rouge de l’Atlantique nord. L’espèce a longtemps été surexploitée au point d’être en péril au début des années 2000 et de nécessité à partir de 2006 l’instauration de quotas de pêches drastiques [un total de captures autorisées]. Ce plan de reconstitution a porté ses fruits. « L’espèce est aujourd’hui dans le vert », indique Alain Biseau.
Tout de même, 27 % des débarquements de la pêche française en 2017 provenaient toujours d‘espèces surexploitées. C’est le cas du maquereau de l’Atlantique, du cabillaud, merlan et églefin de mer celtique et de mer du Nord, ainsi que de nombreuses espèces de Méditerranée, « zone où la situation reste globalement préoccupante ». Quant au dernier quart restant, il correspond à des stocks pour lesquels il n’existe pas suffisamment de données pour faire une estimation de leur santé. Des incertitudes qui empêchent bien souvent une bonne gestion de l’espèce.
Un bilan Ifremer qui a ses limites
Par ailleurs, le bilan d’Ifremer a ses limites. Il ne s’intéresse déjà qu’aux pêches en atlantique nord-est et en mer Méditerranée. La pêche aux thons albacores, pratiquée par des navires français dans l’Océan indien, n’est ainsi pas prise en compte. Le dernier Cash Investigation en a dénoncé les ravages, cette pêcherie ayant largement recours aux DCP (dispositifs de concentration de poisson), des radeaux prolongés sous l’eau par des filets et cordages. La technique est redoutablement efficace, « mais entraîne la capture de nombreux juvéniles [jeunes poissons n’ayant pas eu le temps de se reproduire] et occasionne d’importantes captures accidentelles, fustige Frédéric Le Manach, directeur scientifique de l ’ONG Bloom.
Frédéric Le Manach ajoute un autre biais au bilan de l’Ifremer. « Il raisonne en volume de pêche et non en nombre d’espèces pêchées, précise-t-il. Or 95 % des débarquements de la pêche française sont issus de 49 espèces seulement sur les 325 prises en compte dans l’étude. Autrement dit, « il suffit que quelques-unes de ces espèces fortement prélevées soient bien gérées pour tirer la moyenne vers le haut, reprend Frédéric Le Manach. Mais il faut aussi se préoccuper des autres, parce qu’elles ont tout autant de valeurs écologiques et peuvent, aussi, être tout aussi victime de surpêches. »
« Se pencher sur les techniques de pêche »
Bloom prône alors une vision plus large qui ne s’intéresse pas seulement aux captures, mais aussi aux dommages collatéraux. « Certaines méthodes de pêches intensives ne permettent plus aux stocks de se reconstituer, abîment les habitats, génèrent beaucoup trop de prises accidentelles », pointe Frédéric Le Manach.
Les DCP en font partie. C’est aussi le cas de la pêche électrique ou du chalutage profond, dont les filets géants raclent les fonds marins et ratissent large, le tri étant fait ensuite à bord des navires. Des avancées ont été obtenues ces dernières années sur ces deux méthodes de pêche. Du moins dans les eaux européennes. Le chalutage profond y est interdit depuis juin 2016 à plus de 800 mètres de profondeurs et la pêche électrique sera interdite à partir du 30 juin 2021.
Le label MSC ne convainc pas tout le monde
En attendant, Jean-Charles Pentecouteau invite aussi les consommateurs à jouer leur rôle en valorisant par leurs achats les pêcheries durables. Une invitation, sans surprise, à acheter des produits certifiés MSC. « Pour obtenir la certification, les pêcheries doivent passer par un audit indépendant de quinze mois, détaille-t-il. La certification est donnée pour quatre ans mais ça n’empêche pas des contrôles annuels. » La pêche aux maquereaux de l’Altantique nord-est, perdra ainsi sa certification au 1er mars. « Les stocks de ce poisson ont baissé et les pêcheurs n’ont pas réussi à s’entendre pour établir des bases sérieuses », justifie le directeur de MSC France.
Pour autant, le label n’a pas grâce aux yeux de Bloom. « Nous y avons cru avant de considérer que MSC certifie aujourd’hui tout et n’importe quoi, regrette Frédéric Le Manach. Des pêcheries utilisant le chalutage profond ou des DCP sont ainsi aujourd’hui labellisées. » Fin 2016, WWF, pourtant cofondateur du label, a lui-même remis en cause la délivrance de certains certificats de pêche durable à des professionnels, notamment à des thoniers opérant dans l’océan indien.
Encore beaucoup de progrès à faire…
« A part la pêche illégale, la pêche à l’explosif, au poison ou le shark finning [la pêche aux ailerons de requins], exclues d’emblée, nous n’excluons pas de facto d’autres techniques de pêche, se défend Jean-Charles Pentecouteau. Nous raisonnons au cas par cas, à l’échelle des pêcheries. Certaines utilisant le chalutage de fond ou des DCP ont été labellisées parce qu’elles utilisaient ces technologies sans mettre en péril l’environnement dans lequel elles opèrent. »
Des divergences qui illustrent bien les défis auxquels doit encore répondre la communauté scientifique pour Alain Biseau. « Nous devons encore améliorer les estimations de population de nombreuses espèces de poissons, un vrai problème aujourd’hui en Méditerranée par exemple, commence-t-il. Mais nous devons aussi travailler à des indicateurs objectifs permettent de déterminer des seuils à partir duquel une technique de pêche a trop d’impacts sur les habitats ou en termes de captures accidentelles. » Un vaste chantier.