La France renonce-t-elle à ses objectifs sur les émissions de gaz à effet de serre?
CLIMAT•Dans le projet de loi énergie, actuellement en préparation, le gouvernement veut remplacer l’objectif de diviser par quatre les émissions de gaz à effet de serre du pays d’ici 2050 par un objectif de neutralité carbone, plus flouFabrice Pouliquen
L'essentiel
- Dans son projet de loi énergie, le gouvernement prévoit de remplacer l'ambition de diviser par quatre nos émissions de gaz à effet de serre d'ici 2050, jusque-là un grand objectif climatique de la France, par celui de neutralité carbone en 2050.
- Pour le Cler-Réseau pour la transition énergétique, cela revient à introduire du « flou » dans la loi, « car la neutralité carbone est un but qui peut être atteint de différentes façons. Et toutes ne se valent pas », pointe l’ONG.
- Le risque ? Que la France s’éloigne de la priorité numéro 1 : celle de réduire ses émissions de gaz à effet de serre. Ce ne serait pas les intentions du gouvernement, assure François de Rugy.
«Atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050 » au lieu « de diviser par quatre les émissions de gaz à effet de serre entre 1990 et 2050 ». Voilà les termes que souhaiterait changer le gouvernement dans son projet de loi énergie actuellement entre les mains du Conseil économique, sociale et environnemental (Cese) pour avis et dont Libération s’est procuré une copie.
Ce projet de loi énergie doit précéder l’adoption de la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), un document majeur, présenté dans les grandes lignes début décembre et qui fixe la politique énergétique de la France sur les dix prochaines années.
« Préparer le terrain à la PPE »
« Le problème est que dans l’état actuel et sur plusieurs points, cette PPE est en dessous des objectifs définis dans la loi, notamment celle sur la transition énergétique de 2015, explique Jean-Baptiste Lebrun, directeur du Cler-Réseau pour la transition énergétique, une association de protection de l’environnement.
Un exemple ? La PPE prévoit par exemple le report à 2035 de la réduction à 50 % de la part du nucléaire dans la production d’électricité française, contre 2025 prévu par la loi de la transition énergétique. « Autrement dit, si la PPE, un document réglementaire, était adoptée aujourd’hui, elle serait hors-la-loi, reprend Jean-Baptiste Lebrun. Il faut donc préparer le terrain : c’est l’objectif de cette loi énergie. »
« On introduit du flou dans la loi »
En remplaçant l’objectif de diviser par quatre les émissions de gaz à effet de serre entre 1990 et 2050 par celui d’atteindre la « neutralité carbone » en 2050 dans le premier article du projet de loi, le gouvernement abandonnerait un engagement écologique fort pris par la France. Appelé communément « facteur 4 », cette promesse de réduire par quatre nos émissions de GES d’ici 2050 a été pris dès 2003 par la France devant la communauté internationale. Elle a ensuite été validée en 2009 dans la loi Grenelle 1 puis dans la loi de transition énergétique de 2015.
La neutralité carbone, quant à elle, est un point d’équilibre à partir duquel la France sera capable de générer moins d’émissions de gaz à effet de serre dans l’atmosphère qu’elle ne sera capable d’en retirer via les puits de carbone. Vouloir l’atteindre en 2050 est un objectif louable, primordial même dans la lutte contre le réchauffement climatique, rappelait le Giec (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) dans son dernier rapport publié en octobre.
Jean-Baptiste Lebrun ne dit pas le contraire, mais souligne aussi que « cette notion introduit du flou dans la loi ». « Auparavant, le grand objectif était cette division par quatre de nos GES d’ici 2050, précise-t-il. C’est clair, c’est chiffré, on sait ce que ça veut dire. L’objectif de la neutralité carbone est certes très ambitieux politiquement, mais il s’agit d’un but qui peut être atteint de différentes façons. Et toutes ne se valent pas. »
Le pari risqué de miser sur le stockage de carbone ?
Le risque est de voir des stratégies qui, plutôt que de viser une réduction de nos émissions de GES, reposeraient sur l’achat de crédits carbone [de droits à polluer] à l’étranger, pointe le directeur du Cler. Ou encore des stratégies qui reposeraient exagérément sur nos capacités futures à séquestrer du carbone. Des procédés industriels sont aujourd’hui à l’étude pour créer à l’avenir des puits de carbone artificiels. Certaines peuvent paraître ubuesques, du moins à ce jour. L’une d’elles consisterait par exemple à fertiliser les océans en y injectant du fer afin de stimuler la réaction de photosynthèse du phytoplancton et lui permettre ainsi de stocker plus de carbone. Une autre piste évoquée serait de récupérer le carbone en sortie de cheminées d’usines et de centrales à charbon puis de le réinjecter dans le sol, dans des cavités souterraines. Des anciens puits de pétrole par exemple.
« Non seulement, ces solutions ne sont pas matures mais elles ne pourront vraisemblablement pas être déployées à l’échelle nécessaire pour répondre au défi du changement climatique », précisait à 20 Minutes Lola Vallejo, directrice du programme climat à l’Iddri (institut du développement durable et des relations internationales), début octobre.
La promesse du facteur 8 ?
Reposer sur ces techniques dans l’optique d’atteindre la neutralité carbone en 2050 serait donc un pari risqué qui nous éloignerait en outre de la priorité numéro 1 : celle de réduire drastiquement nos émissions de gaz à effet de serre. Contacté par Libération, le cabinet du ministre de la Transition énergétique fait savoir que le texte du projet de loi énergie est susceptible d’évoluer.
Sur Twitter, François de Rugy s’est aussi voulu rassurant en justifiant le retrait du facteur 4 de loi pour laisser place à un objectif plus ambitieux : celui de diviser par huit les émissions françaises de gaz à effet de serre. « D’accord, mais ce n’est qu’un tweet qui n’a aucune valeur juridique, fustige Jean-Baptiste Lebrun. Si le facteur 8 est le nouvel objectif visé, tant mieux, mais il faut qu’il soit écrit dans la loi. Sans cela, le gouvernement pourra toujours revenir sur sa parole sans passer par un débat parlementaire. » Le parallèle est alors tentant avec la promesse d’Emmanuelle Macron – non écrite dans la loi également – de sortir du glyphosate d’ici trois ans. Un objectif sur lequel il est finalement revenu fin janvier.
L’avis du Cese sur ce projet de loi est attendu pour le 27 février, annonce Libération. Le projet de loi devra ensuite être soumis au Conseil d’État pour avis, avant un passage en conseil des ministres envisagé mi-mars.