Marseille: En appel, le rapporteur public refuse un nouveau délai à Alteo pour ses rejets en mer
CALANQUES•L’usine affirme qu’elle ne sera pas prête technologiquement au 31 décembre 2019, le délibéré est attendu pour la fin du mois…Caroline Delabroy
L'essentiel
- L’usine d’alumine de Gardanne conteste devant la cour administrative d’appel la décision l’obligeant à respecter les seuils environnementaux de ses rejets en mer dès le 31 décembre 2019.
- Avant que l’affaire ne soit jugée au fond, la cour se prononce sur la suspension de l’exécution du jugement de première instance.
- Le rapporteur public s’est prononcé pour le rejet de la demande d’Alteo.
- Sur les six paramètres de rejet en mer, deux posent aujourd’hui vraiment des questions de délai.
Le contre-la-montre pourrait bien tourner en faveur des écologistes. Une nouvelle fois. A la cour administrative d’appel de Marseille, ce vendredi, la date du 31 décembre 2019 semblait l’emporter sur celle du 31 décembre 2021 pour obliger l’usine Alteo à respecter les normes environnementales concernant ses rejets liquides dans le parc national des Calanques.
Le rapporteur public s’est en effet prononcé pour le rejet des requêtes de l’industriel, estimant que le nouveau délai de quatre ans accordé en première instance par le tribunal administratif (contre six ans auparavant) n’entraînerait pas de « conséquences difficilement réparables pour l’entreprise ». La décision, mise en délibéré, devrait être rendue fin janvier. Les débats ont tourné finalement sur deux polluants, sur lesquels Alteo affirme qu’il lui est impossible de respecter la date couperet de la fin 2019. Explications.
De quoi s’agit-il exactement ?
N’était pas débattu ce vendredi le fond du dossier en appel, mais la suspension à exécution du jugement du tribunal administratif qui, en juillet dernier, a raccourci le délai dérogatoire de six ans préalablement accordé à l’industriel pour mettre ses rejets liquides aux normes. L'arrêté préfectoral du 28 décembre 2015 avait en effet donné jusqu’au 31 décembre 2021 à Alteo pour se conformer aux seuils limites. S’agissant de l’arsenic par exemple, il s’agissait de passer à cette date-là d’une concentration maximale sur 24 heures de 1,7 à 0,05 mg par litre. Seulement, le juge a récemment décidé d’avancer la date de deux ans…
Quels sont les arguments du rapporteur public ?
Le rapporteur public estime que les objectifs fixés à Alteo sont réalistes d’ici fin 2019 et que de toute façon, s’ils n’étaient pas atteints, « la sanction ne serait pas automatiquement une cessation d’activité ». Le préfet peut mettre l’entreprise en demeure, fait-il valoir, et « un délai complémentaire pourrait être accordé au vu des efforts accomplis par l’entreprise ». C.Q.F.D.
Pourquoi Alteo estime la nouvelle date butoir irréaliste ?
« Ce n’est pas une question financière ni de droit, mais une question de délai, de technique », a martelé l’avocate d’Alteo, Me Cendrine Delivré. La dérogation initiale porte sur six paramètres. Pour trois d’entre eux (le PH, l’aluminium et l’arsenic), un traitement innovant a été mis au point, par neutralisation avec du CO2. La station d’épuration doit être mise en place en mars 2019, « toutefois il demeure des incertitudes sur la date à laquelle ce traitement sera effectif à l’échelle industrielle, ce n’est pas garanti que cela fonctionne au 31 décembre 2019 », avance l’avocate. Concernant le fer, l’entreprise est déjà passée bien en deçà du seuil, ce n’est donc plus, de ce point de vue, un sujet.
Quid des deux derniers paramètres ?
Restent comme paramètres la DCO (demande chimique en oxygène) et la DBO5 (demande biologique en oxygène), pour lesquels un pilote a été mis en place au printemps 2018, pour une mise en service opérationnelle prévue par Alteo au premier semestre 2020. « On construit une petite usine, cela ne se fait pas en trois mois, ce n’est pas en mettant de la pression que cela ira plus vite », dénonce Frédéric Ramé, président d’Alteo, à la sortie de l’audience. « Pourquoi se mettre en infraction alors que ce n’est pas possible », s’interroge-t-il. « Nous attendons de la justice qu’elle comprenne le contexte et se montre pragmatique, poursuit Eric Duchenne, le directeur des opérations. Et il y a 600 personnes qui vont se demander ce qui va se passer au 31 décembre 2019, sachant qu’on ne sera pas prêt. »
Que disent les écologistes ?
« Il faut maintenir le cap fixé par le tribunal », lance Me Benoît Candon, représentant de l’Union Calanques Littoral, qui dénonce « cette fable de l’impossibilité technique » avancée par l’industriel. « Alteo ne fait tout simplement pas les efforts nécessaires, poursuit-il. De 2015 à 2018, pendant trois ans, rien n’a été fait sur la DCO et la DBO 5. » Pour Me Mathieu Victoria, avocat de France nature environnement, Surfrider Foundation et Sea Shepherd, « ce calendrier de 2019 n’est pas tombé du ciel, Alteo elle-même annonçait en septembre 2016 sa capacité à respecter les valeurs limites d’émission pour ces six paramètres d’ici la fin 2019 ! ». Et d’enfoncer un peu plus le clou : « Alteo est une société dont on a beaucoup de mal à faire respecter les échéances environnementales. »
Quel est le compromis possible ?
A la sortie de l’audience, vendredi, les défenseurs de l’environnement affichaient la mine des bons jours. L’avis du rapporteur public en défaveur d’Alteo donne un signe fort, même si pas suffisant : les magistrats ne suivent pas toujours ses conclusions. Au final, Alteo a confirmé en demi-teinte qu’elle serait prête dans le courant de l’année pour respecter les normes de ses rejets d’arsenic, d’aluminium et de Ph. Le débat de la date butoir porte donc sur deux paramètres, et le tempo à suivre. Tout va se jouer là, en mode pression (rejet du recours d’Alteo et exécution totale de l’arrêté préfectoral), compromis (exécution partielle) ou lâché de lest (retour à la date du 31 décembre 2021).