Blocage du 17 novembre: Peut-on être écologiste et «gilet jaune»?
MOBILISATION•Les deux camps se retrouvent sur la dénonciation de l’injustice fiscale qui sanctionne les automobilistes mais accordent des avantages à de plus gros pollueurs. Mais il reste un point de désaccord profond : le maintien ou non de la taxe carbone...Fabrice Pouliquen
L'essentiel
- Depuis quelques semaines, des automobilistes dénoncent la hausse du prix des carburants. Ils appellent à une grande journée de mobilisation samedi 17 novembre.
- Les profils des «gilets jaunes» sont hétéroclites, mais les instigateurs du mouvement ne se présentent pas comme des anti-écolos et dénoncent plutôt l’injustice fiscale dont ils se disent victimes. Injustice fiscale que disent comprendre plusieurs ONG environnementales.
- Reste une divergence de taille : la majorité des «gilets jaunes» veulent revenir sur la taxe carbone quand les ONG affirment son maintien comme indispensable et prônent en parallèle l’amélioration des mécanismes d’aide.
Bloquer les routes contre le carburant cher, samedi, ou participer à la grande marche pour le climat le 8 décembre ? Dans de nombreux témoignages qui fleurissent la Toile, on vous invite à choisir votre camp. C’est soit gilet jaune, soit #sansmoile17novembre. Soit dénoncer « l’escrologie », soit fustiger ces automobilistes qui carburent aux énergies fossiles.
« Les deux sont incompatibles, tranche Loïc Branchereau, salarié de La République en marche qui a lancé le hashtag #sansmoile17 le 6 octobre dernier. On ne peut pas avoir une conscience écolo et en même temps vouloir payer son essence moins cher et se complaire ainsi dans l’économie carbone dans lequel on vit aujourd’hui. »
« Les gilets jaunes ont pour la plupart une sensibilité écologique »
Côté « gilets jaunes », le discours tenu par les instigateurs du mouvement semble plus conciliant. « Il est tout à fait honorable que nous cherchions des solutions pour circuler en polluant le moins possible notre environnement », écrit par exemple Priscillia Ludosky, la Francilienne à l’origine de la pétition sur change.org présentée comme point de départ de l’appel du 17 novembre.
« Évidemment qu’on peut être écologiste et manifester samedi avec les gilets jaunes, reprend Pierre Chasseray, délégué général de l’association 40 millions d’automobilistes. Je suis persuadé que les Français qui seront sur le bord de la route samedi ont pour la plupart une sensibilité écologique. Lorsqu’ils seront en capacité de changer de voiture, lorsqu’ils en auront les moyens, ils opteront pour des modèles moins polluants. » Pierre Chasseray invite alors à voir cet appel du 17Novembre comme une manifestation contre la baisse du pouvoir d’achat et « dont la hausse du prix du carburant est devenue le symbole ».
Un mouvement contre « l’injustice fiscale » ?
La lecture du mouvement est d’une certaine façon similaire chez les ONG environnementales. Celles notamment fédérées au sein du RAC (Réseau Action climat), pour qui l’appel du 17 novembre est bien plus tourné contre l’injustice fiscale que sur une remise en cause de la transition énergétique. Clémence Dubois, responsable en France des campagnes de 350.org en veut pour preuve certaines indignations revenant avec insistance dans les posts publiés par les « gilets jaunes ». « Sur l’évasion fiscale, sur l’absence de taxe sur le kérosène, un carburant pourtant très polluant, qui profite aux compagnies aériennes, la préservation et même l’octroi de nouveaux avantages aux Français les plus aisés, le soutien du gouvernement à des grands projets qui impactent l’environnement », liste-t-elle.
Kévin Puisieux, responsable « Economie et Finance » à la Fondation pour la nature et l’homme (FNH), ajoute à ce sentiment d’injustice sociale le fait de savoir que l’argent récolté grâce à la taxe carbone sert à tout autre chose qu’à financer la transition écologique. « Sur le prix d’un litre d’essence ou de diesel, 40 % environ sont liés au coût de la matière première, commence-t-il. C’est cette partie qui a beaucoup augmenté depuis un an. Les 60 % restant du prix sont liés aux taxes. Mais la taxe carbone, c’est-à-dire la taxe au nom de la transition écologique, ne représente qu’une petite part. De l’ordre de 8 % pour l’essence et de 12 % pour le diesel. »
Cela fait tout de même une certaine somme chaque année dans les caisses de l’État. Entre neuf et dix milliards en 2018 et probablement 12,8 milliards en 2019. « Mais une petite partie seulement sert à financer la transition écologique, reprend Kévin Puisieux. Sur les près de 10 milliards de taxes carbone perçus en 2018, 1,8 milliard est destiné aux énergies renouvelables. Le reste va au budget général de l’État. » « D’aucuns diront alors que cette taxe carbone ponctionne les classes populaires pour financer la baisse de la taxation du capital. Ce n’est malheureusement pas totalement faux », écrit Lucas Chancel, économiste et codirecteur du Laboratoire sur les inégalités mondiales dans une tribune publiée lundi dans le journal Libération.
Que faire de la taxe carbone ?
Il persiste toutefois un point de désaccord profond entre les ONG environnementales et la majorité des « gilets jaunes » : le maintien ou non de la taxe carbone, du moins à son niveau actuel. Sans surprise, Pierre Chasseray dit « non » et argumente en exposant sa théorie des deux écologies. « La première pense que pour réduire son impact environnemental, il faut consommer moins, tordre le bras aux automobilistes pour qu’ils cessent d’utiliser leur voiture, explique-t-il. C’est l’écologie de la décroissance. Je lui préfère une écologie plus optimiste axée sur l’investissement dans la R & D [recherche et développement] afin de faire émerger de nouvelles solutions qui réduisent l’impact environnemental de nos voitures. » Il cite en exemple l’Allemagne, « en pointe sur plusieurs technologies de la transition écologique, elle applique pourtant une fiscalité sur les carburants bien plus basse que la France. »
« La hausse de la fiscalité des carburants, dans un monde sous contrainte climatique, est tout simplement indispensable », écrit à l’inverse le Réseau action climat dans un communiqué fin octobre. « Il y a ceux qui peuvent faire autrement et la fiscalité est là pour les inciter, poursuit le RAC qui rappelle qu’un déplacement sur deux effectués en ville en voiture fait moins de trois kilomètres. « Mais nous le répétons depuis des mois au gouvernement, poursuit Kévin Puisieux. Cette hausse de la fiscalité doit s’accompagner de mesures d’accompagnement pour ceux qui ne peuvent faire autrement ou ceux qui ont de faibles ressources. C’est ce qui manque aujourd’hui en France. »
« Focalisés sur la Marche du climat »
Pour le responsable « Economie et Finance » de la FNH, cela passe alors par une meilleure utilisation des recettes de la taxe carbone et la fin de certaines niches fiscales dont profitent des gros pollueurs et une plus grande cohérence dans les mécanismes d’aides existant. « Aujourd’hui, la prime à la conversion permet encore l’achat de véhicules qui continuent de fonctionner sur la base d’énergies fossiles, notamment des voitures neuves diesel, ou encore des SUV, ces voitures volumineuses qui sont une aberration écologique, illustre-t-il. En recentrant les aides en vigueur sur des véhicules à très faibles émissions et plus sobres, les montants alloués pour changer de véhicules pourraient être beaucoup plus généreux pour les ménages les plus fragiles. »
Pas sûr en revanche que cette revendication soit portée par les « gilets jaunes » samedi. C’est en partie ce qui retient sans doute les ONG environnementales d’adhérer à l’appel du 17 novembre. « Nous sommes focalisés sur la préparation de la Marche du climat du 8 décembre », élude Clémence Dubois, lorsqu’on lui demande si 350.org appelle ses adhérents à se joindre aux « gilets jaunes ». « Mais nous veillerons à créer des ponts entre ceux qui se mobiliseront samedi et ceux qui le feront le 8 décembre », précise-t-elle.