Péage urbain: «A Londres et Stockholm, les résultats sont probants»
INTERVIEW•La sénatrice Fabienne Keller est allée voir comment le sujet, sensible en France, des péages urbains fonctionnait à Londres et Stockholm. Et il y a du positif...Propos recueillis par Fabrice Pouliquen
L'essentiel
- La sénatrice Fabienne Keller, ancienne maire de Strasbourg, a remis ce jeudi au Sénat un rapport sur les dispositifs de péages urbains en place à Londres et Stockholm depuis respectivement 2003 et 2006.
- En France, le sujet est sensible mais revient sur le tapis avec le projet d’orientation des mobilités qui doit être présenté au conseil des ministres à l’automne.
- Moins d’embouteillages, baisse de la pollution de l’air, des émissions de CO2 et même des accidents… Les dispositifs ne sont guère plus remis en question dans les deux villes européennes, assure Fabienne Keller.
Les villes auront des « possibilités » pour mettre en place des péages urbains. François de Rugy, ministre de la Transition écologique, l’a indiqué encore ce jeudi sur le plateau de BFMTV. Ce sera l’une des mesures contenues dans le projet d’orientation des mobilités qui doit être présenté au conseil des ministres à l’automne.
Un dispositif juridique permettant aux collectivités territoriales qui souhaitaient les expérimenter, était déjà inscrit dans la loi Grenelle II de 2010, mais ces dispositifs n’ont jamais été testés en France. A l’inverse, cet outil de gestion des flux de transports est déjà en place à Londres et Stockholm, respectivement depuis quinze et douze ans. La sénatrice Fabienne Keller (Agir) a enquêté sur ces deux exemples, qui présentent selon elle « des résultats probants », et vient de remettre son rapport au Sénat.
Que faudrait-il faire en premier lieu pour apaiser les tensions autour des péages urbains ?
Déjà, la dénomination n’est pas adaptée. Le terme « tarif de congestion », choisi par le gouvernement, me semble plus approprié. L’idée n’est en effet pas de punir mais de faire évoluer les comportements. Le constat est qu’une voiture en plus dans l’hypercentre a de nombreuses externalités négatives : elle aggrave les embouteillages et l’accidentologie, dégrade la qualité de l’air, et engendre aussi des émissions de gaz à effet de serre. Le coût de ces externalités ne pèse pas seulement sur les automobilistes mais sur la collectivité dans son ensemble.
Et puis, un péage, si on se réfère à ceux des autoroutes, c’est quelque chose qu’on paie par habitude. Le montant est fixe, quel que soit le jour de l’année, quelle que soit l’heure. Les dispositifs en place à Londres et Stockholm en sont très loin.
Comment fonctionnent justement ces dispositifs dans les deux villes?
Dans les deux villes, les péages fonctionnent aux mêmes horaires. C’est-à-dire en journée, du lundi en vendredi. Il s’agit bien de cibler uniquement les moments où la circulation automobile est spontanément trop importante mais de garantir la gratuité la nuit, les week-ends et les jours fériés. En revanche, Londres a choisi un champ d’application restreint : son hypercentre, soit une zone de 21 km². A Stockholm, bien que l’agglomération soit moins peuplée, le périmètre est deux fois plus large - 47 km² - en s’étalant largement sur la banlieue.
La logique des tarifs est aussi différente entre les deux villes. Londres a fait le choix d’un tarif relativement élevé [11,50 livres soit plus de 12 euros], mais forfaitaire : l’automobiliste ne s’acquitte du péage qu’une seule fois par jour, qu’il n’entre dans la zone protégée qu’une fois dans la journée ou qu’il y pénètre à plusieurs reprises. Le tarif à Stockholm est nettement plus bas : il varie de 1,6 euro en heures creuses à 2,7 euros en heures pleines. En revanche, l’automobiliste doit payer à chaque fois qu’il entre dans la zone protégée, même si c’est plusieurs fois dans la même journée. Il y a tout de même un plafond fixé à 11 euros.
Quel a été l’impact de ces tarifs de congestion dans les deux villes ?
A Londres, le nombre total de véhicules accédant au centre-ville les jours de semaine est passé de 185.000 au début des années 2000 à 125.000 aujourd’hui, soit une diminution du trafic de 60.000 véhicules. En conséquence, les embouteillages ont diminué de 30 % et le nombre d’accidents de 40 % par rapport à 2003. Toujours à Londres, dans la zone soumise au péage, les émissions de CO2 ont diminué de 16 % entre 2003 et 2018, celles de dioxyde d’azote de 8 % et celles des particules fines PM10 de 7 %.
Le dispositif a aussi eu des conséquences positives à Stockholm, où le nombre de franchissement journalier du cordon est passé de 450.000 en 2005 à 325.000 en 2015, soit une baisse de 28 % en dix ans.
Ces dispositifs sont-ils contestés aujourd’hui dans ces deux villes ?
A Stockholm, seul 40 % des habitants étaient favorables au dispositif au départ. Les autorités municipales ont donc décidé de l’instaurer à titre expérimental dans un premier temps, sur six mois. A l’issue de cette période, le péage a été suspendu et un référendum a été organisé. Le « oui » l’a emporté de justesse avec 51,1 % des voix et une participation de 74,7 %. Le péage urbain a été donc été rétabli et a fonctionné sans interruption depuis. Les derniers sondages montrent que 74 % des habitants sont « pour » aujourd’hui.
Quelles sont les conditions pour qu’un péage urbain soit pertinent ?
Il faut déjà que l’agglomération concernée atteigne une certaine taille – une population de 300.000 habitants me semble un minimum — et qu’elle soit affectée par des congestions automobiles qui provoquent retards et pollution atmosphérique. Il faut aussi que ce genre de projets soit longuement réfléchi et concerté avec la population bien en amont. Londres comme Stockholm ont par exemple instauré des exonérations de tarifs et des crédits d’impôts pour les populations les plus vulnérables, celles qui n’ont d’autres choix que d’utiliser la voiture pour se rendre au travail ou tout simplement travailler, celles qui font de longues distances… Ce point est indispensable à mes yeux.
Mais il est tout aussi important, avant même la mise en service du dispositif de péage, que la ville soit pourvue d’un réseau de transports très performants. C’est-à-dire qu’elle soit à même de fournir de véritables alternatives à la voiture individuelle, et capable d’accueillir le surplus de voyageurs que le « tarif de congestion » aura convaincu de laisser la voiture au garage.
Si on prend l’exemple de la région parisienne et de son réseau de transport en commun saturé… Est-ce trop tôt pour y implanter un dispositif de « tarif de congestion » ?
Peut-être, mais la réalisation à venir du Grand Paris pourrait en tout cas être une opportunité à saisir. C’est à chaque territoire de prendre en main le dossier et de décider s’il est temps ou non d’instaurer un dispositif avec un « tarif de congestion ». Mais il n’y a rien d’impossible. Cela marche déjà à Londres, à Stockholm mais aussi à Milan.
Surtout, autre retombée positive, les revenus générés dans ces villes par ce « tarif de congestion » ont permis d’améliorer les transports en commun à Londres et Stockholm. Les réseaux de bus en particulier, mais aussi d’entretenir les routes dans la capitale suédoise. C’est une autre prérogative pour que ces péages urbains soient acceptés de la population : l’argent généré doit être réinvesti localement dans l’amélioration des infrastructures de transport.