Le rapport du Giec sur le climat «bourré d’erreurs»? Une intox aux arguments fragiles
FAKE OFF•Un article de Breitbart News traduit en français dénonce de prétendues graves erreurs dans un ensemble de données utilisé par le Groupe d’experts intergouvernemental sur le climat…Alexis Orsini
L'essentiel
- Un « audit » prétend démontrer qu’un ensemble de données utilisé par le Groupe d’experts intergouvernemental sur le climat est truffé d’erreurs graves.
- Il s’appuie en fait sur des anomalies locales ou des imprécisions reconnues ouvertement par les auteurs de ces données, qui n’ont pas d’impact sur les tendances globales observées.
- L’audit multiplie les accusations injustifiées pour avancer ses arguments climatosceptiques.
Mise à jour du 11 octobre 2018 : l'article intègre les précisions apportées par la climatologue Valérie Masson-Delmotte après sa publication initiale.
Le dernier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur le climat (Giec), publié mardi 8 octobre, est sans appel : des transformations drastiques à l’échelle mondiale sont nécessaires pour limiter le réchauffement climatique à 1,5 degré.
Mais certains sites remettent en question le travail réalisé par les experts du climat de l’ONU. « Le terrifiant rapport du Giec sur le réchauffement climatique est bourré d’erreurs » titre ainsi « Ze Journal », une plateforme qui affirme baser ses publications sur des « sources d’information alternatives, d’informations difficilement accessibles, volontairement cachées ou ne bénéficiant pas de couverture médiatique. »
Le ton est donné dès les premières lignes : « Le premier audit jamais réalisé sur la base de données de températures la plus importante au monde, révèle qu’elle est si criblée d’erreurs qu’elle est en réalité inexploitable. » Or, ce texte – qui est en fait la traduction d'un article publié la veille de la parution du rapport du Giec sur le site d’extrême droite américain Breitbart News – s’appuie sur un « audit » sans aucun fondement scientifique sérieux… mais aux accents climatosceptiques.
FAKE OFF
L’audit en question est signé de John McLean, un ancien étudiant de l’université australienne James-Cook, dont la thèse de doctorat, en 2017, portait déjà sur « un audit des incertitudes dans l’ensemble de données HadCRUT4 des anomalies de température ».
Son audit, vendu 8 dollars par une maison d'édition nouvellement créée – et spécialisée dans la publication d’études « qui ne peuvent paraître dans des journaux conventionnels […] pour diverses raisons », donc sans aucun retour de scientifiques – entend démontrer le manque de fiabilité présumé du HadCRUT4, l’un des outils utilisés par le Giec pour réaliser ses études.
Cet ensemble de données compile les « anomalies de températures observées à travers le monde [au fil des années] ainsi que les moyennes des hémisphères », comme l'explique l’Unité de recherche climatique, la composante de l’université britannique d’East Anglia, qui gère ces données avec le Hadley Centre, une autre institution locale.
L’étude de John McLean prétend mettre à jour « 70 découvertes sur des sujets d’inquiétude propres au […] HadCRUT4. […] Cela implique l’utilisation de données manifestement fausses, des procédures inappropriées, une mauvaise gestion des données ». Autant de failles qui remettent selon lui en question la « crédibilité » des rapports du Giec basés sur les données de cet outil.
« Il y a des imprécisions locales mais elles n’affectent pas la tendance globale »
Or, les erreurs en question couvrent un spectre certes large… mais peu pertinent. John McLean cite notamment différentes fautes de frappe (« Venezuela » orthographié « Venezuala »…) pour démontrer le supposé manque de sérieux de ce travail scientifique. Il dénonce par ailleurs la mesure, dans une île de la Caraïbe, d’une température de 0°C pendant un mois, ce qui lui paraît « quelque peu invraisemblable pour les Tropiques », ou encore « des moyennes établies à partir d’informations pratiquement inexistantes : pendant deux ans, les températures au-dessus des terres de l’hémisphère sud ont été estimées à partir d’un seul site en Indonésie ».
Boris Leroy, écologue au Muséum d’histoire naturelle, ayant déjà travaillé sur ce genre de jeux de données, fustige cette pratique : « L’article semble remettre en cause le rapport sur la base d’exemples locaux d’aberrations. En réalité, je pense qu’il joue sur les incertitudes inévitables propres à ce type de jeu de données à l’échelle globale : il y a des erreurs et des imprécisions locales, mais celles-ci n’affectent pas la tendance globale. » Valérie Masson-Delmotte, climatologue qui a contribué au quatrième rapport du Giec, dénonce pour sa part « un méli mélo qui est à la limite de l'incompréhension ».
Les erreurs existantes sont d’ailleurs clairement reconnues par les instituts à l’origine de ces données, qui les proposent en libre accès au public – et dont s’est justement servi John McLean dans son argumentaire.
Le Hadley Centre explique ainsi ouvertement pourquoi il existe 100 versions de cet ensemble de données : « Les erreurs dans les ensembles de données climatiques proviennent de différentes sources. Certaines, dues à une mauvaise transcription, affectent une seule interprétation. D’autres […] touchent des ensembles plus grands, mais ne risquent pas d’affecter les estimations sur les tendances à long terme, qui s’étendent sur des décennies. »
Découvertes auto-proclamées et complots faciles
« [Cette publication] dénonce la totalité du travail du Giec sur la base d’une seule des multiples sources de données utilisées par le Giec. Ce n’est pas sérieux. A titre d’exemple, pour les données historiques de température, [le Giec utilise aussi des ensembles comme le] GISTEMP ou le NCDC MOST », déplore par ailleurs Boris Leroy.
« Le rapport sur [le réchauffement à] 1,5°C comporte une estimation du réchauffement global utilisant les 4 jeux de données disponibles dans le monde, le jeu de données des services météo britanniques HadCRU, mais aussi 3 jeux de données américains : GISTEMP (NASA), Cowtan–Way, et NOAA (Agence américaine océan atmosphère) » ajoute Valérie Masson-Delmotte.
L’article n’hésite en outre pas à affirmer que l’auteur de l’audit est à l’origine d’une « découverte » sur un « autre scandale » lié au réchauffement climatique et au Giec : « En analysant le rapport d’évaluation du Giec de 2007, qui, selon le Giec, représentait la vue ‘consensuelle’de ‘2.500 climatologues’, [McLean] a découvert que c’était faux. En fait, le nombre de scientifiques impliqués dans le chapitre 9 crucial […] n’était que de 53. »
Ce faisant, John McLean n’a pourtant rien fait d’autre que… comptabiliser le nombre de contributeurs crédités au chapitre 9 du rapport du Giec publié en 2007 : ces derniers sont ouvertement cités en ouverture du chapitre concerné.
Et, comme l’expliquait récemment l’historienne et sociologue des sciences Hélène Guillemot à 20 Minutes, ces rapports sont bien réalisés par des milliers de scientifiques, répartis en nombre variable selon les chapitres : « Le Giec ne compte qu’une dizaine de membres permanents. Mais pour chaque rapport, ce bureau collabore avec une centaine de chercheurs internationaux dont les écrits sont relus par d’autres scientifiques encore. Et là on compte en milliers. »
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