ENVIRONNEMENTQu’est-ce que les sargasses, ces algues brunes qui plombent les Antilles?

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ENVIRONNEMENTCe sera l’un des sujets sensibles qu’abordera Emmanuel Macron ce vendredi lors de son déplacement en Guadeloupe. Les sargasses envahissent régulièrement les littoraux depuis 2011 sans que les scientifiques ne puissent l’expliquer encore...
Fabrice Pouliquen

Fabrice Pouliquen

L'essentiel

  • Actuellement en Guadeloupe, Emmanuel Macron sera très attendu sur le dossier « sargasses », une algue brune venue de la mer qui prolifère sur les plages des Antilles dégageant gaz toxiques et odeurs nauséabondes.
  • Ces sargasses reviennent régulièrement depuis 2011 plomber le quotidien des Antillais. La pollution devrait même atteindre des niveaux records cette année.
  • En attendant que les scientifiques percent le mystère de ces algues brunes, les Guadeloupéens demandent à l’Etat de prendre bien plus ses responsabilités.

Elles bloquent les bateaux dans les ports, obligent les riverains à déménager, dissuadent les touristes de venir se prélasser sur les plages… Depuis 2011, les sargasses empoisonnent le quotidien des Antillais. Ces algues brunes, tissées en rang serrées, prolifèrent sur le littoral, sur des dizaines de kilomètres et finissent par répandre des gaz toxiques et une odeur d’œuf pourri.

Actuellement aux Antilles, un an tout juste après les dégâts causés dans la région par une vague d’ouragans de forte intensité, Emmanuel Macron n’échappera pas au « dossier sargasses ». En particulier ce vendredi après-midi [cette nuit pour Paris] alors qu’il fait halte en Guadeloupe, l’île la plus en proie par ces algues brunes.

D’où viennent ces sargasses ? Pourquoi s’agglutinent-elles aux Antilles ? Pourquoi seulement depuis sept ans ? Et que peut-on contre elles ? 20 Minutes fait le tour de la question.

Nous n’avions jamais vu de sargasses avant 2011 ?

Oh que si ! Il n’y a d’ailleurs pas qu’une seule espèce de sargasses. Celle qui nous intéresse ici est la « Sargassum fluitans », une algue brune qui se développe à la surface de l’eau en pleine mer. Elles sont bien connues des navigateurs, ceci depuis des siècles.

Elles ont même une mer à leur nom -la « mer des sargasses »- localisée au beau milieu de l’Atlantique. Une zone sans vent, sans courant et sans rivages puisque constituée par un tapis de ces algues brunes aux frontières mouvantes. Elle a été observée dès 1492 par les navires de Christophe Colomb qui notèrent l’abondance de cette végétation, signe pour eux de la proximité d’un continent.

Y a-t-il donc une nouvelle mer des sargasses ?

Portées par les courants, ces sargasses sont en perpétuels mouvements. « Elles font une boucle, décrit Pascal Jean Lopez, chercheur CNRS au laboratoire Borea qui étudie ce phénomène. Une partie se détache de la mer des Sargasse pour dériver jusqu’aux côtes africaines qu’elles descendent pour retraverser une nouvelle fois l’Atlantique. Elles arrivent ainsi au large du Brésil et remontent peu à peu la côte pour arriver jusque dans la mer des Caraïbes en passant par la Guyane. »

Mais ceci n’explique pas pourquoi, depuis 2011, ces algues brunes s’accumulent autant aux Antilles. C’est bien cette nouvelle donne qui taraude les scientifiques. « D’un côté, la mer des Sargasses, située au nord vers les Bermudes, s’amenuise, commence Thomas Changeux, scientifique à l’Institut Méditerranéen d’océanologie. De l’autre, la prolifération de ces algues brunes s’accroît dans les Antilles. Cette année, il n’y a quasiment pas eu d’interruption dans les arrivées de sargasses, si on prend le cas de la Guadeloupe. Or, jusque-là, la pollution était saisonnière, survenant au début de l’année et débordant sur le printemps. »

Cette prolifération des sargasses aux Antilles est-il le fait de l’homme ?

C’est à cette question notamment que tentent de répondre les deux expéditions scientifiques lancées l’an dernier par l’IRD (Institut de recherche pour le développement). Deux milles échantillons ont été prélevés sur le parcours des sargasses et sont toujours en cours d’analyses. Thomas Changeux était chef de mission de l’une de ces missions scientifiques : « A ce jour, nous ne pouvons émettre que des hypothèses », prévient-il. L’anthropisation du bassin amazonien est l’une d’elle. Autrement dit, le développement de l’agriculture dans une zone préservée jusque-là et qui chargerait les eaux du fleuve Amazone en sels nutritifs. Une fois arrivés en mer, ces sels nutritifs favoriseraient la prolifération des sargasses expliquant ainsi qu’elles sont plus abondantes aujourd’hui dans cette partie du globe.

« Mais c’est encore aujourd’hui qu’une hypothèse de travail, insiste Thomas Changeux qui en avance une autre : « le réchauffement climatique et l’élévation de la température de l’eau ». « Il y a notamment eu un réchauffement des eaux en 2010 dans la partie centrale de l’Atlantique qui aurait pu être à l'origine d'un changemenet de régime dans le développement de ces algues brunes », poursuit-il.

Quels dégâts causent les sargasses sur les Antilles ?

« Cette pollution est catastrophique pour les Antilles, lance Patrick Karam à 20 Minutes. Guadeloupéen d’origine et actuel vice-président de la région Ile-de-France, il a pris la tête du collectif contre l’empoisonnement par les sargasses qui a déposé une plainte ce jeudi visant l’Etat pour « mise en danger d’autrui ». « Ces sargasses posent déjà un problème de santé publique. En séchant, elles dégagent de l’hydrogène sulfuré et de l’amoniac qui provoquent à ceux qui y sont exposés de façon prolongée des maux de tête, des nausées et des vomissements. » Il n’y a pas eu de décès enregistrés à ce jour, « mais des hospitalisations et des déménagements contraints pour les riverains habitant près des plages polluées et des zones de stockage des sargasses ramassées », précise Me Benaiem, l’avocat du collectif.

Les sargasses pèsent aussi sur l’économie antillaise. En 2015, un tiers des entreprises guadeloupéennes déclarait souffrir des sargasses, estimant avoir subi au total une perte de près de cinq millions d’euros au premier semestre, indiquait Le Monde, en février 2016. Le secteur du tourisme est au premier rang, car ces amas de sargasses dégradent les paysages et répandent une odeur fétide.

« Le secteur de la pêche souffre aussi beaucoup, reprend Patrick Karam. Des ports se retrouvent bloqués par ces tapis d’algues qui colmatent également les moteurs des bateaux et cassent les matériels de pêche. » Patrick Karam craint enfin la pollution permanente des sols, que ce soit celui des plages ou celui des zones sur lequelles les sargasses sont entreposées une fois ramassées, seule parade actuelle à ces algues brunes.

Que peut-on faire contre ces sargasses ?

En juin dernier, Nicolas Hulot t avait annoncé un plan de dix millions d’euros sur deux ans pour aider les Antilles à lutter contre les sargasses et fait la promesse d’un ramassage de ces algues en moins de 48 heures. En démissionnant, fin août, l’ex-ministre de la Transition écologique avait reconnu à demi-mot que le gouvernement n’avait pas pris toute la mesure du problème.

Patrick Karam ne le fait pas dire : « Ces dix millions d’euros sont bien insuffisants et, quoi qu’il en soit, l’Etat n’assume pas ses responsabilités en laissant les collectivités mener la lutte seules. Pourtant, les problématiques de santé publique sont de la compétence exclusive de l’Etat. »

Ce vendredi, le collectif contre l’empoisonnement par les sargasses demandera à Emmanuel Macron de se montrer à la hauteur des enjeux. « Il ne faut pas attendre que les sargasses échouent, invite Patrick Karam. Les Etats-Unis l’ont bien compris. Ils tracent ces algues lorsqu’elles sont en haute mer et déterminent les endroits où elles sont susceptibles d’échouer. Ils les arrêtent alors avec des systèmes de barrières flottantes. » Avec succès ? « La Floride, autrefois très affectée par ces algues brunes, l’est beaucoup moins que les Antilles aujourd’hui. »