Empreinte carbone: Les éleveurs laitiers lancent la chasse aux émissions de gaz à effet de serre
AGRICULTURE•La filière laitière française, dont l’empreinte carbone est alourdie par les pets et rots de ses vaches, s’est engagée à réduire de 20 % ses gaz à effet de serre d'ici 2025, ferme par ferme...Fabrice Pouliquen
L'essentiel
- Cet été, la filière laitière s’est fixée pour objectif de réduire 20 % ses émissions de gaz à effet de serre d’ici 2025. Un chantier de taille sachant que les éleveurs ont peu de prise sur 50 % de ces émissions issues de la fermentation entérique des vaches.
- Il reste toutefois tous les autres postes d’émissions pour agir. La filière laitière veut ainsi déployer à grande échelle son programme « Ferme laitière bas carbone », expérimenté depuis 2014, qui traque les améliorations exploitation par exploitation.
- Les agriculteurs Ghislain de Viron et Jean-Marc Burette s’y sont engagés très tôt. Ils racontent à 20 Minutes leurs plans d’action.
Réduire de 20 % les émissions de gaz à effet de serre des 58.000 élevages laitiers français d’ici 2025. Tel est l’engagement pris par la filière laitière française dans la feuille de route climatique fixée cet été et rappelée cette semaine au Space, salon international de l’élevage, à Rennes.
Le chantier est de taille. L’agriculture génère 19 % des émissions de gaz à effet de serre françaises. « L’élevage laitier en représente à lui seul 6 % », situe Thierry Geslain, directeur des affaires scientifiques au Cniel (Centre interprofessionnel de l’économie laitière).
Peu de prises sur 50 % des émissions
D’une certaine façon, les fermes laitières ont une excuse. La moitié des émissions de gaz à effet de serre qu’elles émettent proviennent de la fermentation entérique des vaches. Autrement dit, de leurs pets et rots qui laissent s’échapper dans l’atmosphère du méthane, un puissant gaz à effet de serre. Difficile d’avoir une prise sur ce phénomène naturel, même si des solutions sont à l’étude, soit dans le champ de la génétique, soit dans celui des additifs alimentaires.
Cette embûche mise de côté, il reste tous les autres postes d’émissions pour agir. Pour se faire, la filière laitière mise principalement sur la démarche « Ferme laitière bas carbone », déjà expérimentée en France depuis 2014. Installé à Rouperroux-Le-Coquet, près du Mans, Ghislain de Viron était l’un des premiers éleveurs français à s’y engager. « Il y a tout d’abord un diagnostic réalisé par un technicien formé et qui détermine l’empreinte carbone de la ferme », raconte l'agriculteur. C’est-à-dire non seulement les émissions de gaz à effet de serre (carbone, méthane, protoxyde d’azote…) que celle-ci émet, mais aussi sa contribution positive au stockage du carbone dans le sol, via le maintien de prairies et de haies.
Ne pas détériorer les capacités de stockage
Le tout donne un chiffre, ramené au litre de lait vendu. L’empreinte carbone moyenne des 58.000 élevages laitiers tourne ainsi autour de 1,03 kg équivalent CO2 par litre de lait, évalue le Cniel. En 2014, la ferme Ghislain de Viron était déjà en dessous avec une empreinte de 0,89 kg eq. CO2/l. C’est qu’elle partait avec un gros atout : ses 50 hectares de prairies et 20 km de linéaire de haies que l’agriculteur a conservé depuis son installation en 2001.
Un choix pas si anodin : « Nous avons perdu en France trois millions de prairies en France depuis 1970, rappelle Jean-Louis Peyraud, directeur scientifique de l’Inra (Institut national de la recherche agronomique). Elles ont notamment été remplacées par des champs de maïs, plus simple à faire pousser que l’herbe et avec plus de rendements à la clé. En contrepartie, les fermes ont perdu de leur capacité à stocker du carbone. » Thierry Geslain en fait alors un ba-ba : « Nous n’arriverons jamais aux 20 % de réduction visés si nous détériorons encore les capacités de stockage de nos fermes. »
La chasse aux jours improductifs
Si l’audit mentionne les points forts de l’exploitation, il en pointe surtout les faiblesses et propose un plan d’action pour les gommer. Pour Ghislain de Viron, cela passait notamment par la réduction du nombre de jours improductifs de sa centaine de vaches. « C’est-à-dire le laps de temps où elles ne produisent pas de lait en émettant malgré tout la même quantité de méthane, explique-t-il. Cela passe par une plus grande attention encore portée au soin, pour éviter qu’elles ne tombent malades. Il me fallait aussi réduire l’âge moyen auquel mes génisses donnent naissance à leur premier veau et commencent à produire du lait. Il est de 27 mois sur mon exploitation, alors que l’optimum est de 24 mois. »
Ce levier d’action est un grand classique des programmes « Ferme laitière bas carbone » déjà engagés. « L’Irlande, les Pays-Bas, l’Allemagne atteignent déjà sans difficulté ces 24 mois quand en France la moyenne est de 27 mois et atteint parfois 30 mois, note Jean-Louis Peyraud. Cet objectif n’est pas contraire au bien-être animal. Physiologiquement, une Prim’Holstein, race laitière par excellence en France, n’a aucune difficulté à donner naissance à 24 mois. » « Mieux, poursuit Thierry Geslain, on observe alors que les vaches qui vêlent tôt vivent plus longtemps et donnent plus facilement naissance à 4 ou 5 veaux quand la moyenne en France est autour de trois. Cela permet d’amortir les quantités de méthane émises quand elles étaient jeunes et improductives. »
Alimentation, lisier, consommation d’énergie…
Pour améliorer l’empreinte carbone de sa ferme, Ghislain de Viron s’est également mis à cultiver de l’épeautre, une céréale qu’il ajoute à la ration alimentaire de ses vaches et qu’il faisait venir auparavant de sa Belgique natale. « J’améliore ainsi mon autonomie alimentaire et limite les transports », précise-t-il.
L’éleveur sarthois a aussi amélioré la récupération et le stockage du lisier que génèrent ses 110 vaches. Il les utilise ensuite comme engrais naturel sur ses terres, réduisant du même coup son recours aux engrais chimiques. Depuis 2007, il augmente aussi régulièrement le nombre de m² de panneaux photovoltaïque installés sur ses hangars agricoles. « Nous en aurons entre 600 et 700 m² en janvier prochain, ce qui nous permettra de produire trois fois plus d’énergie propre que ce que nous consommons sur l’exploitation », se félicite-t-il.
« Pas une recette miracle »
Voilà pour le plan d’action de Ghislain de Viron. L’agriculteur précise bien qu’il n’y a pas « une recette miracle applicable à toutes les exploitations ». Plus au nord, à Fleurbaix près de Lille, les solutions mises en œuvre par Jean-Marc Burette, autre éleveur très tôt engagé dans la démarche « Ferme laitière bas carbone » sont toutes autres. « Je suis en zone périurbaine, là où le foncier est rare et cher, raconte-t-il. J’ai donc très peu de prairies mais que je valorise au mieux en y plantant des variétés d’arbres fruitiers en voie de disparition dans la région. »
La ration alimentaire de ses vaches est composée pour l’essentiel de maïs, « mais qui provient entièrement de ma ferme et que je cultive en utilisant le moins possible d’engrais, poursuit-il. J’en ai diminué de 30 % l’usage en achetant un localisateur d’engrais qui me permet d’enfouir le produit directement sous le pied de la plante là où je le répandais sur toute la parcelle autrefois. » Jean-Marc Burette se refuse aussi à importer du soja d’Amérique-du-sud pour compléter l’alimentation de ses bêtes et valorise au contraire les coproduits des cultures alentour. La pulpe de betterave à sucre notamment.
Engager toutes les fermes laitières dans la démarche
Résultat : l’éleveur nordiste est passé d’une empreinte carbone de 1,50 kg eq. CO2/l en 2015, lors du premier diagnostic, à 0,95 deux ans plus tard. Ce qui n’est pas rien sachant qu’il produit 650.000 litres de lait par an. Et Ghislain de Viron ? Son deuxième diagnostic est prévu dans les prochains mois et lui donnera des éléments de comparaison.
Depuis 2014, 4.000 éleveurs sont entrées dans la démarche « Ferme laitière bas carbone » avec u ne baisse moyenne de 6 % de leur empreinte carbone. « On n’est pas encore au 20 % visé, concède Thierry Geslain. Mais la démarche était jusque-là expérimentale et on peut supposer qu’elle a intéressé prioritairement les éleveurs à la fibre écologique développée. »
L'expérimentation terminée, l'enjeu est désormais d'appliquer le programme aux 54.000 autres exploitations laitières françaises, dont l’empreinte carbone grimpe parfois à 1,50 kg eq. CO2/L. De quoi espérer alors, dans certains cas, des baisses d'émissions de gaz à effet de serre bien supérieures à 20%. C'est tout le pari de la filière.