VIDEO. «Les espèces qui ont l’air les plus insignifiantes sont en fait celles qui font le plus de boulot»
INTERVIEW•Une étude dirigée par le chercheur Nicolas Mouquet montre que nous avons tendance à préférer les poissons aux couleurs vivres alors que ce sont les plus ternes qui entretiennent un écosystème riche...Propos recueillis par Yasmina Cardoze
L'essentiel
- Nous nous intéressons davantage aux poissons que nous trouvons beaux.
- Préserver seulement les espèces les plus jolies est dangereux pour les écosystèmes.
- Nous intéresser au fonctionnement des espèces pourrait nous pousser à mieux les protéger.
Dans une étude financée par la Fondation de France et le CNRS, six chercheurs français ont comparé la valeur esthétique que nous accordons aux poissons et leurs fonctions dans les récifs de corail. Ils en ont conclu que ceux que nous trouvions les plus moches étaient en fait les plus utiles à cet écosystème. Nicolas Mouquet est directeur de recherches au CNRS de Montpellier. Il nous éclaire sur ces travaux qu’il a pilotés.
A quoi reconnaît-on un beau poisson ?
Ceux que les personnes interrogées ont retenu comme les plus beaux présentent une forte hétérogénéité des couleurs (du bleu et du jaune, du rouge…) et des motifs, des lignes, des diamants… Mais la beauté c’est un concept seulement humain. Ces couleurs et motifs sont du camouflage pour se fondre dans le récif corallien puisque ces espèces en vivent tout près. Ça peut aussi être un signal sexuel des mâles pour attirer les femelles.
En quoi les poissons moches sont-ils les plus utiles ?
Les poissons qu’on trouve beaux ont des fonctions écologiques plus proches les unes des autres. Ils vivent le jour, sont de taille moyenne, solitaires, vivent au sol proche du récif, n’ont pas ou peu de fonctions liées au recyclage. Chez les espèces moins attractives on trouve de tout. Certains ont les mêmes fonctions que les beaux poissons, mais il y a aussi des poissons moches qui vivent la nuit, qui sont filiformes, qui déplacent la matière organique, recyclent, consomment, vivent plutôt dans la colonne d’eau… Ces espèces ont tout les rôles, tandis que les espèces belles ont tous le même. Par ailleurs, il y a autant d’espèces menacées, proportionnellement, chez les beaux poissons que chez les moches.
Quelles sont les conséquences à préférer ceux qui sont les plus esthétiques ?
Il y a une prime à la beauté, de façon un peu inconsciente. Il faut être vigilant à ce qu’il n’y ait pas non plus un biais de conservation. Le moins de connaissances on a sur une espèce, le moins on peut mesurer son importance. La biodiversité ce n’est pas que la beauté. Les espèces qui ont l’air les plus insignifiantes sont en fait celles qui font le plus de boulot. On doit mettre en valeur le fonctionnement du système pour qu’il y ait une volonté de faire des efforts de conservation.
Pourquoi doit-on changer notre perception de ces espèces ?
Il faut qu’on s’émerveille du fonctionnement des écosystèmes. On a une culture du beau, si on axe sur la compréhension, on aimera ce qu’on comprendra. C’est comme quand on voit du Miro pour la première fois, au début on est désarçonné, mais si on explique on peut basculer dans l’émotion. On est dans une période critique pour la biodiversité. Il y a actuellement un discours culpabilisant mais on pourrait essayer d’avoir des arguments plus positifs. Il faut faire connaître ces espèces pour que naisse de l’empathie avec elles.
Préparez-vous des études pour prolonger celles-ci ?
On va mesurer le biais de perception chez d’autres espèces, chez les oiseaux, les reptiles, les mammifères… On va aussi mesurer le biais de conservation, examiner comment le grand public perçoit les espèces en danger. Et puis on va travailler avec des psychologues et des sociologues pour trouver comment adapter les arguments et l’éducation.