Vers un retour de la chasse commerciale à la baleine?
ANIMAUX•La chasse à la baleine à visée commerciale est interdite depuis un moratoire signé en 1987. Le Japon, principal pays consommateur de viande de baleine, avait détourné le texte pour poursuivre les captures au nom de la science. Le pays veut désormais plus…Fabrice Pouliquen
L'essentiel
- La Commission baleinière internationale se réunit début septembre au Brésil. A la table, le Japon qui cette année veut demander la reprise partielle de la chasse commerciale à la baleine.
- Cette chasse commerciale est interdite depuis un moratoire de 1987, votée après des décennies de pêche intensive qui ont décimé de nombreuses espèces de baleines.
- Très attaché à la pêche à la baleine, le Japon détournait déjà ce moratoire en tuant chaque année des rorquals en Antarctique et dans le Pacifique nord au nom de la science.
Le Japon ne s’en cache pas. Lors de la prochaine réunion de la Commission baleinière internationale (CIB), début septembre au Brésil, le pays présentera une demande de reprise partielle de la chasse commerciale à la baleine, ont indiqué cette semaine des responsables nippons.
La position n’est guère surprenante. La chasse commerciale à la baleine est interdite depuis 1987 au grand dam du Japon, principal pays consommateur de viande de baleine, jamais à court d’imagination pour contourner le moratoire. Vincent Ridoux, qui travaille sur l’écologie et la conservation des mammifères marins au sein de l’observatoire Pelagis à La Rochelle, voit tout de même un changement de stratégie dans les dernières annonces de Tokyo.
Le détournement des chasses scientifiques
« Jusque-là, le Japon, signataire du moratoire sur la chasse à la baleine, exploitait une faille du texte qui autorise la chasse à la baleine à des fins de recherche scientifique, explique-t-il. Dès 1987, ils ont lancé des programmes scientifiques de chasse à la baleine, sur des motifs hors protocole et avec des quotas importants. Cela leur permettait alors d’égaler en volume les prises qu’ils faisaient auparavant en chasse commerciale. »
Une part de la chair de ces baleines tuées au nom de la science « finit alors sur les marchés pour être vendues aux amateurs de cette viande », fustige Lamya Essemlali, présidente de Sea Shepherd France, une ONG de défense des écosystèmes marins. Ce détournement a été maintes fois dénoncé jusqu’à aboutir, en mars 2014, à une condamnation du Japon par la Cour pénale internationale saisie par l’Australie et la Nouvelle-Zélande.
Deux ans plus tard, le Japon reprenait tout de même ses pêches scientifiques à la baleine bien qu’en se fixant des quotas fortement réduits. « Les baleiniers japonais en tuent ainsi chaque année 333 en Antarctique plus entre 400 et 450 baleines supplémentaires dans le Pacifique Nord », évalue Vincent Ridoux. Ils tuent principalement du petit rorqual, mais aussi quelques individus d’autres espèces. Des cachalots ou des rorquals tropicaux par exemple. »
Il n’y a pas que le Japon…
Pour être tout à fait juste, le Japon n’est pas le seul pays à chasser la baleine. La Norvège et l’Islande, qui avait tout deux placé une réserve en 1987 au moratoire sur la chasse commerciale, ont maintenu la pêche à la baleine dans les eaux de leurs zones économiques exclusives (ZEE). Cela représente pour la Norvège 500 petits rorquals supplémentaires tués chaque année. Et pour l’Islande, on parle en général entre 100 à 150 prises chaque année, mais ils chassent pour leur part le rorqual commun, deuxième mammifère le plus grand au monde avec ses 20 mètres de long.
Enfin, la CBI autorise également la chasse aborigène. « Elle est très codifiée puisqu’elle doit répondre à des besoins nutritionnels et culturels démontrables, rappelle Vincent Ridoux. Pour faire simple, cela concerne quelques peuples de Sibérie, et du nord de l’Alaska qui chassent traditionnellement la baleine. Et cela représente entre 120 et 150 baleines grises prises annuellement. »
Des populations qui se sont reconstituées depuis le moratoire ?
Ces différentes chasses mises bout à bout, cela fait moins de 2.000 baleines tuées chaque année. On est très loin des 60.000 baleines toutes espèces confondues tuées annuellement dans les années 1960. « La pire des décennies, commente Vincent Ridoux. Certaines espèces avaient vu leur population fondre jusqu’à atteindre des seuils critiques. La baleine bleue, par exemple, est descendue à moins 0,5 % de ses effectifs d’origine. »
C’est alors tout l’argument de Tokyo pour justifier la reprise partielle de la chasse commerciale. Le moratoire de 1987 aurait porté ses fruits en permettant aux populations de baleine de se reconstituer. Rien n’empêcherait donc de rouvrir la pêche sur les espèces dont les stocks sont reconnus comme sains.
Le Japon n’a pas tout à fait tort. « Il est très difficile d’évaluer les populations, mais nous avons des raisons de penser que les populations d’espèces qui ne sont plus chassées se reconstituent plus facilement, glisse Vincent Ridoux. Le petit rorqual est globalement en bonne santé un peu partout dans le monde. »
La chasse commerciale, forcément incontrôlable ?
Mais le lien de cause à effet n’est pas automatique. Le scientifique de Pélagis évoque ainsi les baleines à bosse et les baleines franches, particulièrement décimées et dont la chasse a été interdite bien avant 1987 et l’instauration du moratoire. « Les populations se sont vraisemblablement bien reconstituées dans l’hémisphère sud mais bien moins dans l’hémisphère nord. » C’est que la chasse n’est pas la seule menace à peser sur les baleines, insiste Lamya Essemlali : « il faut ajouter les collisions avec les bateaux, les prises accidentelles dans les filets de pêche, la raréfaction de leurs nourritures, les changements climatiques… »
« Surtout, poursuit-elle, il ne faut pas oublier que la plupart des espèces de baleines se remettent tout juste d’hécatombe. L’Islande se félicite régulièrement de compter aujourd’hui 40.000 rorquals communs dans sa ZEE, preuve à ses yeux que tout va bien. C’est peut-être mieux qu’en 1987, mais il y a eu jusqu’à 700.000 rorquals dans ses eaux par le passé. »
Sans surprise, pour Sea Sheperd, la relance de la chasse commerciale à la baleine, même partielle, serait une très mauvaise idée. Vincent Ridoux se range à cet avis en évoquant une autre raison encore. « Par le passé, la chasse commerciale a montré à quel point elle pouvait devenir incontrôlable et faire peser une pression considérable pour une augmentation des quotas malgré les mises en garde des scientifiques, indique-t-il. C’est une industrie comme les autres. Même si on fixe pour commencer des quotas très bas, le risque c’est l’escalade. »
Le Japon prépare un passage en force
Reste à savoir si le Japon a une chance de voir la CBI accéder à sa demande. Lamya Essemlali reste méfiante : « La chasse à la baleine est ardemment défendue par une partie de l’extrême droite japonaise soucieuse de préserver cette tradition, même si la viande de baleine est consommée par une très faible minorité de Japonais », explique-t-elle. Par le passé, le Japon est allé jusqu’à payer les droits d’entrée à la CBI à des petits pays des Antilles ou d’Afrique pour avoir des voix amies supplémentaires. Le tout en échange de divers avantages. »
« Le camp des anti-chasse a fait de même sans que ce soit illégal d’ailleurs », précise Vincent Ridoux, l’un des trois membres de la délégation française à la CBI. Voilà comment cette commission baleinière internationale est passée en quelques années de 40 pays membres à 80. Le rapport de force ? « 45 % pour les pro-chasse, 55 % pour les anti, évalue Vincent Ridoux. Or, pour obtenir la reprise partielle de la chasse commerciale, le Japon devra obtenir une majorité qualifiée. Soit au moins 75 % des voix. C’est à mes yeux impossible à ce jour. »
Justement, le Japon cherche la parade. Le pays entend aussi proposer de changer le processus de prise de décision de la CBI, afin que les dispositions puissent être adoptées avec la moitié des voix des membres et non plus les trois quarts, indiquait ce mercredi l’AFP.