Vignoble bordelais: Comment les chauves-souris peuvent-elles le sauver des pesticides ?
ENVIRONNEMENT•La LPO a mené une étude sur 23 parcelles de vignes girondines qui montrent que les chauves-souris se nourrissent des tordeuses de la grappe, des papillons ravageurs de la vigne, que les viticulteurs ont l'habitude d'éradiquer avec des insecticides...Elsa Provenzano
L'essentiel
- Une étude de la LPO Aquitaine, financée par l’interprofession bordelaise, montre que les chauves-souris peuvent jouer un rôle de régulateur important de la population de tordeuses de la grappe, des papillons ravageurs de la vigne.
- Ces chauves-souris augmentent leurs chasses lorsque les papillons ravageurs font leur apparition en nombre, sur les rangs de vigne.
- Après cette étude préliminaire, il pourrait s’agir de favoriser l’accueil de ces mammifères en aménageant des zones pour leur habitat, par exemple.
Plusieurs bonnes nouvelles se dégagent d’une étude menée dans les vignes girondines par la ligue de protections des oiseaux (LPO) Aquitaine (qui œuvre plus largement en faveur de la biodiversité) sur les chauves-souris, avec l’appui financier de l’interprofession des vins de Bordeaux. On y apprend d’abord que les chiroptères sont plus nombreux que prévu. Pendant l’étude, réalisée de mai à octobre 2017 avec le concours du bureau d'étude Eliomys et de l'INRA, 19 espèces de chauves-souris ont été comptabilisées sur les 22 connues à ce jour en Gironde.
La LPO démontre que ces volatiles se nourrissent de tordeuses de la grappe, des papillons ravageurs de la vigne qui constituent un cauchemar pour les viticulteurs lorsqu’ils pullulent dans les cultures. Une piste sérieuse pour réduire l’usage des pesticides dans le département de la Gironde, épinglé pour être un des plus gros consommateurs en France.
Des centaines de ravageurs engloutis par une chauve-souris
Sur 23 parcelles de vignes, situées dans différentes appellations comme le Médoc, Saint-Emilion, les Graves et les Côtes de Bordeaux, l’activité des chauves-souris a été observée à l’aide d’ultrasons enregistrés. « Si les papillons ravageurs émergent, on a vu que les chauves-souris vont chasser préférentiellement dans ce vignoble », observe Yohan Charbonnier, chargé de mission scientifique LPO Aquitaine et chiroptérologue. On ne savait même pas de façon certaine que les chauves-souris se nourrissaient de ce ravageur, même si certaines espèces sont connues pour être insectivores.
Et l’étude démontre que les chauves-souris ont bien ingéré ces insectes-là, à partir de l’étude de leurs excréments, comparés avec un guano témoin fourni par le centre de soins de la faune sauvage de la LPO. « Les chauves-souris y sont nourries habituellement avec des vers de farine mais ont été pour l’occasion alimentées avec des papillons ravageurs », précise Yohan Charbonnier. Les analyses génétiques des crottes de chauves-souris ont été menées grâce à des outils moléculaires mis en place par l’INRA et écartent le fait que les chauves-souris aient pu chasser d’autres insectes dans les vignes, sur les périodes étudiées.
Et ces chiroptères peuvent ingérer une quantité impressionnante d’insectes, « jusqu’à plusieurs centaines de moustiques chacun donc quelques centaines de papillons ravageurs », estime le spécialiste des chauves-souris. Pour autant, il prévient qu’il n’existe pas de « solution miracle », au sens où « il n’existe pas de prédateur dans l’écologie scientifique qui extermine l’ensemble de ses proies mais, les chauves-souris pourraient contribuer à un objectif de populations équilibrées ».
Favoriser l’accueil des chauves-souris sur le vignoble
Si après cette étude préliminaire, les viticulteurs estiment qu’ils ont un intérêt économique à favoriser l’accueil de population de chauves-souris, il faudra alors penser aux gîtes et aux routes d’accès de ces mammifères. L’herbe entre les rangs, les haies pourraient favoriser leur présence. « Certaines font tout leur cycle dans des arbres creux ou des grottes alors que d’autres changent d’exigences au cours de l’année, s’abritant parfois derrière des volets, des tuiles ou dans des granges etc.) », précise le chiroptèrologue.
« Les résultats de l’étude sont intéressants à creuser », estime Laurent Charlier, ingénieur agronome au CIVB, insistant sur les efforts déjà fournis par l’interprofession en matière de lutte biologique. Sur le vignoble bordelais, (112.000 hectares au total mais avec des pressions différentes du ravageur) la technique de confusion sexuelle, qui permet d’éviter l’usage d’insecticide pour le ver de grappe, concerne 8.000 hectares. « Il y a eu une réduction drastique des pesticides, notamment les plus dangereux, souligne Laurent Charlier. On n’utilise plus d’acaricide pour les acariens par exemple. La lutte biologique a bien pris le pas ».
L'intérêt des chauves-souris pour le ravageur constitue en tout cas un atout qui pourrait être exploité dans les années à venir, dans l'objectif affiché par le CIVB de sortie des pesticides.