ANIMAUXDans le doute, la Suisse vole au secours des homards

Souffrance animale: Dans le doute, la Suisse vole au secours des homards

ANIMAUXDepuis ce jeudi, la Suisse interdit d’ébouillanter vivant les homards, crabes et bernard-l’hermite. Même si la science ne peut affirmer encore avec certitude que les décapodes marcheurs sont sensibles à la douleur...
Fabrice Pouliquen

Fabrice Pouliquen

L'essentiel

  • La Suisse oblige désormais les cuisiniers, professionnels comme particuliers, à assommer les décapodes marcheurs (homards, bernard-l’hermite, crabes) avant de les plonger dans l’eau bouillante.
  • Pour éviter des souffrances inutiles ? C’est tout l’esprit de cette ordonnance. Mais les décapodes marcheurs sont-ils sensibles à la douleur ? La science peine encore à répondre à cette question. « Le système nerveux des invertébrés est radicalement différent du nôtre », précise Daniel Cattaert, chercheur au CNRS.

C’est un pas en avant pour la condition des homards. Grand ? Petit ? Difficile à dire encore. Disons que le crustacé a toujours autant de risques de finir à la casserole. Mais au moins, en Suisse, qui consomme chaque année environ 130 000 homards vivants, une ordonnance entrée en vigueur ce jeudi, oblige désormais les cuisiniers – professionnels comme particuliers – à étourdir les décapodes marcheurs (homards, crabes, bernard-l’hermite) avant de les plonger dans l’eau bouillante.

Pour les étourdir, deux solutions sont préconisées : soit l’électrocution, soit la « destruction mécanique du cerveau », qui revient à planter fermement un couteau dans le cerveau du crustacé. Deux méthodes a priori peu agréables pour le homard, mais qui ont, au moins, l’avantage de provoquer une mort rapide du crustacé.

Moins facile à trancher que pour les vertébrés

Mais est-on déjà certain que les décapodes marcheurs ressentent la douleur ? La science peine encore à répondre. Pourtant, pour les vertébrés, la question ne fait plus débat aujourd’hui. « On sait qu’ils sont capables de souffrir, explique Daniel Cattaert, directeur de recherche au CNRS et membre de l’Institut des neurosciences cognitives et intégratives d’Aquitaine. Les vertébrés constituent un groupe très homogène dans lequel on retrouve d’une espèce à l’autre, un système nerveux analogue et notamment des récepteurs sensoriels de la douleur. » D’où des lois d’ores et déjà instaurées pour encadrer l’expérimentation animale ou imposer l’étourdissement avant la mise à mort des animaux en abattoirs.

Aux vertébrés, Georges Chapouthier, spécialiste du comportement animal et directeur de recherche au CNRS, aujourd’hui retraité, ajoute les mollusques céphalopodes comme la pieuvre. « On trouve dans leurs cerveaux des régions qui ressemblent au cortex des vertébrés et nous avons de bonnes raisons de penser que ces mollusques céphalopodes ont une conscience développée et sont sensibles à la douleur. »

Mais les invertébrés, c’est un autre monde encore. « Ils ont un système nerveux radicalement différent, sans moelle épinière notamment [dont la fonction principale chez les vertébrés est la transmission des messages nerveux entre le cerveau et le reste du corps], reprend Daniel Cattaert. On peine encore à comprendre tous les mécanismes et à définir avec précision la zone associée à la douleur dans leur système nerveux. »

Des études qui sèment le doute

Plusieurs études ont tenté de percer les mystères des systèmes nerveux des décapodes marcheurs. Georges Chapouthier en cite deux au moins. « L’une concernant les crabes et montrant que lorsqu’il présente une blessure, l’animal passe beaucoup de temps à s’intéresser à la blessure d’une façon qui suggère qu’il ne s’agit pas seulement d’un réflexe », commence-t-il.

La deuxième étude s’est intéressée aux bernard-l’hermite, menée par Robert Elwood, de l’université de Belfast, en 2009. « Naturellement dépourvu de coquille, ce crustacé doit en trouver une pour se protéger et occupe alors souvent celle d’un mollusque mort. Robert Elwood a alors relié des fils conducteurs à certaines coquilles et a envoyé ainsi des petites décharges électriques à l’abdomen des bernard-l’hermite. Ceux qui ont quitté leur coquille sont ceux qui ont reçu les décharges, ce qui indique que l’expérience leur était désagréable. Et ceux soumis aux décharges électriques gardent un souvenir de l’expérience lorsqu’ils sont mis en présence d’une nouvelle coquille, poursuit Georges Chapouthier. Ils semblent montrer une plus grande attention à l’inspection de la nouvelle coquille comme s’ils mettaient en balance le besoin d’un abri de qualité et la nécessité d’éviter les décharges électriques. Là encore, on est au-delà d’un simple réflexe. Elwood suggère bien qu’il y a un raisonnement de l’animal. »

« Le bénéfice du doute doit profiter aux homards »

On reste dans des constatations empiriques, ce qu’admet Georges Chapouthier. Mais le scientifique estime que le bénéfice du doute doit profiter aux homards, crabes et autres bernard-l’hermite et salue alors l’initiative suisse. « Pour ma part, j’aurais privilégié l’endormissement par le froid comme technique d’étourdissement », précise-t-il tout de même.

Sans grande surprise, Reha Hutin, présidente de la fondation 30 Millions d’amis, applaudit aussi à la nouvelle ordonnance suisse, « un autre signe encore d’une reconnaissance de l’animal comme un être doué de sensibilité ». En la matière, la Suisse a souvent une longueur d’avance. « Le pays impose depuis 2008 que certains animaux de compagnie adoptés par des particuliers, comme les cochons d’Inde, les tortues ou les hamsters, soient en couple afin de ne pas souffrir de solitude », illustre Reha Hutin. Les éleveurs helvètes sont aussi autorisés à abattre leurs bovins à la ferme au fusil, ce qui permet d’éviter le transport des bêtes sur de longues distances, autre source de stress.

Ce jeudi, outre l’interdiction d’ébouillanter les décapodes marcheurs, la Suisse a aussi proscrit les colliers anti-aboiements pour chiens, même ceux qui ne diffuse pas des chocs électriques.