«La réforme de la Constitution est une occasion en or d'y intégrer la notion de climat»
INTERVIEW•Pascal Canfin, le directeur de WWF France, veut profiter de la réforme de la Constitution voulue par Emmanuel Macron, pour y intégrer la lutte contre les changements climatiques. L’idée ? « En faire un enjeu non négociable de l’identité française »…Propos recueillis par Fabrice Pouliquen
C’est une fenêtre de tir à ne pas manquer pour inscrire un peu plus encore l’environnement dans le marbre… Pendant sa campagne, Emmanuel Macron avait promis plusieurs aménagements de la vie politique qui doivent forcément passer par une réforme de la Constitution française. C’est l’un des délicats dossiers qui attend le gouvernement en 2018. il doit être validé à l’identique à l’Assemblée et au Sénat.
Le Premier ministre, Edouard Philippe, a d’ailleurs commencé mardi à consulter, pour une dizaine de jours, les groupes parlementaires afin de leur présenter les chantiers de la réforme que l’exécutif souhaite inscrire en Conseil des ministres au mieux mi-avril après passage en Conseil d’Etat.
Pour l’instant, cela s’écharpe sur des sujets très politiques : limitation du nombre de mandats, réduction d’un tiers du nombre de parlementaires, introduction d’une dose de proportionnelle aux élections parlementaires… WWF France lance un autre pavé dans la mare en proposant de profiter de cette réforme pour inscrire la lutte contre le dérèglement climatique dans la Constitution française. Pascal Canfin, directeur général de l’ONG, répond aux questions de 20 Minutes.
Pourquoi déjà cette réforme constitutionnelle est l’occasion à ne pas rater pour votre projet ?
Il n’y a pas des réformes constitutionnelles tous les jours*. Celle que prépare Emmanuel Macron en ce moment sera vraisemblablement la seule du quinquennat. Le point de départ de notre réflexion est tout simple : les termes « changements climatiques » ni même le mot « climat » ne figurent aujourd’hui dans la Constitution. Pas même dans la Charte de l’environnement de 2004 qui fait partie du bloc de constitutionnalité.
La situation est aujourd’hui très paradoxale. D’un côté, la France a signé l’Accord de Paris et a un l eadership reconnu dans le monde entier dans la lutte contre le changement climatique, mais de l’autre, l’enjeu « climat », dont tout le monde s’accorde pour dire qu’il s’agit d’un enjeu de civilisation dépassant largement les clivages gauche-droite, n’est nulle part dans le cadre constitutionnel. Emmanuel Macron a aujourd’hui l’opportunité d’intégrer la lutte contre le changement climatique comme l’une des dimensions qui constitue notre projet collectif, au même titre que la laïcité, la lutte contre les discriminations, la garantie de la liberté d’expression…
L’article 6 de la charte de l’environnement stipule que « les politiques publiques doivent promouvoir un développement durable. À cet effet, elles concilient la protection de la mise en valeur de l’environnement, le développement économique et le progrès social… » Cela ne suffit pas ?
C’est trop large. C’est toute la limite de la charte de l’environnement : elle énonce des grands principes qui ne peuvent être utilisés concrètement par les juges constitutionnels. La seule exception, c’est le principe de précaution [article 5]. Les autres principes ne sont guère opposables. Cet article 6 est un bon exemple. Il y a cette première phrase : « Les politiques publiques doivent promouvoir un développement durable »… Ce n’est pas au juge constitutionnel de dire ce qu’est un développement durable. Ce n’est pas de sa responsabilité. La suite de l’article énonce des grands principes complexes à définir : « environnement », « développement économique », « progrès social »…
Quelle serait alors la phrase idéale à ajouter à la constitution française selon WWF ?
Nous préconisons celle-ci : « Dans le respect de la biodiversité, les politiques publiques assurent la lutte contre les changements climatiques ». Cela nous semble être le bon compromis entre des propos trop généraux qui ne permettent pas au juge de les utiliser et une formulation trop restrictive qui ne serait pas à la hauteur des enjeux et n’intégrerait pas du tout la notion de biodiversité. Surtout, cette fois-ci, le juge constitutionnel n’aura pas à définir la notion de lutte contre le changement climatique puisque tout un paragraphe de la Convention des Nations unies sur les changements climatiques [adoptée le 9 mai 1992] le fait déjà. Sans compter l’Accord de Paris [adoptée à l’issue de la COP 21 le 12 décembre 2015] qui en fait de même. En introduisant cette catégorie juridique « lutte contre les changements climatiques » dans la Constitution française, derrière, c’est tout l’Accord de Paris et tout ce qui a déjà été écrit en droit international sur le climat que peut s’approprier plus facilement le juge constitutionnel.
Où faudrait-il placer cette phrase dans le bloc constitutionnel ?
L’une des pistes évoquées [relayée par le Journal du Dimanche dans sa dernière édition] serait de mentionner la lutte contre le changement climatique dans l’article 34 de la constitution de 1958 [qui définit les champs d’application de la loi]. Je crains alors qu’il ne s’agisse juste, à cette place, de préciser que c’est la loi qui organise les décisions sur le climat. Or, nous le savons déjà puisqu’il y a eu ces dernières années un Grenelle de l’environnement, une loi sur la transition énergétique… La valeur ajoutée serait très faible. Nous resterions dans le symbole. Il y a d’autres options plus prometteuses, comme celles de placer la phrase que nous préconisons dans le préambule de la constitution de 1958, son article 1 ou encore dans l’article 6 de la charte de l’environnement. Il y a sans doute d’autres pistes encore. L’essentiel, pour nous, est que cette mention soit efficace.
Que pourrait changer concrètement cette modification de la constitution française ?
Il y aurait déjà un volet symbolique : La France serait le premier pays du G20 à instaurer cette catégorie juridique du « changement climatique » dans sa Constitution. Ce serait assez cohérent avec le leadership qu’Emmanuel Macron veut avoir sur le climat. Par ailleurs, tous les pays du monde ont une Constitution. L’exemple français serait transposable ailleurs. Pour ce qui est des implications concrètes, tout dépendra de la formulation adoptée, mais si la phrase que nous préconisons avait déjà été intégrée à la Constitution, nous aurions pu aller un peu plus loin par exemple sur le projet de loi Hulot sur les hydrocarbures [mettant fin à la recherche et à l’exploitation des hydrocarbures en France].
Surtout, un tel outil permettrait d’empêcher de revenir sur les objectifs que nous nous sommes fixés en matière de lutte contre le changement climatique. Si par exemple un gouvernement futur voulait supprimer la loi relative à la transition énergétique, par laquelle la France se fixe l’objectif de réduire 75 % de ses émissions de gaz à effet de serre d’ici 2050, le Conseil constitutionnel pourra brandir l’article que nous proposons et rétorquer que cette régression est anticonstitutionnelle puisque contraire au principe que « les politiques publiques assurent la lutte contre les changements climatiques ».
N’y a-t-il pas alors le risque que cet article soit un frein au développement économique et tue dans l’œuf tous projets futurs ?
Non. L’article que nous proposons fixe un cap général. Il revient à dire que la lutte contre le changement climatique fait partie de l’identité française et que ce point est non négociable. En revanche, ce que la Constitution ne doit pas faire est de juger des moyens concrets à mettre en œuvre pour arriver aux objectifs climatiques que nous sommes fixés. C’est tout à fait normal en démocratie : chaque gouvernement doit pouvoir mener la politique pour laquelle il a été lélu. Il y en a qui sont plus pro-voiture électrique que d’autres, plus pro-nucléaire que d’autres, etc. L’article que nous proposons ne dit pas non plus qu’il n’y a plus qu’une seule chose qui compte dans la politique française, c’est le climat. Simplement, on introduit ce mot dans la Constitution où il n’apparaît nulle part aujourd’hui et on le met au même niveau que d’autres enjeux. Pas plus haut, mais pas plus bas non plus.
Avez-vous déjà des premiers retours du gouvernement et du parlement sur votre initiative ?
Nous avons rencontré le président de la république fin 2017 sur ce sujet qui nous a dit être plus qu’ouvert sur ce dossier. Nicolas Hulot pousse aussi de son côté. J’espère que l’occasion ne sera pas manquée. Ce sujet du climat est très fédérateur aujourd’hui. Je ne vois pas qui, sur l’échiquier politique, pourrait s’opposer à notre initiative.
*La constitution française fête en 2018 ses 60 ans. La réforme constitutionnelle que prévoit Emmanuel Macron serait sa 25e révision.