VINICULTURE«Nous sous-exploitons la diversité génétique de la vigne»

Viticulture: «Nous n’exploitons qu’une très faible part de la diversité génétique de la vigne»

VINICULTURESur les 1.100 variétés de raisins de cuve cultivées, douze d'entre elles, soit 1 %, occupent environ 45 % du vignoble dans le monde...
Sur les 1.100 variétés de raisins de cuve cultivées, 12 occupent  environ 45 % du vignoble dans le monde.
Sur les 1.100 variétés de raisins de cuve cultivées, 12 occupent environ 45 % du vignoble dans le monde. - CHINE NOUVELLE/SIPA
Fabrice Pouliquen

Fabrice Pouliquen

L'essentiel

  • En Chine, 75 % des surfaces ne sont cultivées qu’avec un seul cépage : le cabernet sauvignon. La Nouvelle-Zélande, elle ne jure que par le sauvignon blanc.
  • Ce manque de diversité fait courir le risque aux viticulteurs de passer à côté de variétés intéressantes.
  • Le risque est aussi d’endormir les palais des consommateurs.

Sécheresse, raisins plus riches en sucres et donnant des vins plus alcoolisés, vendanges précoces… La viticulture est d’ores et déjà affectée par les changements climatiques et doit se pencher sur différentes stratégies d’adaptation.

Dans cette optique, des chercheurs de l’Inra (Institut national de la recherche agronomique) et de l’université d’Harvard, aux Etats-Unis, suggèrent de jouer sur un levier : la diversité génétique de la vigne, très inexploitée aujourd’hui.

Leur étude est parue en ce début d’année dans la revue Nature Climate Change. L’un des auteurs, Iñaki Garcia De Cortazar, agroclimatologue au centre Inra Provence-Alpes-Côte-d’Azur, a répondu aux questions de 20 Minutes.

La viticulture est-elle touchée plus que les autres cultures par le changement climatique ?

L’agriculture en général est touchée par les évolutions du climat ces dernières années. Pas plus la vigne que d’autres cultures. En revanche, contrairement à des cultures comme le blé, qu’il faut semer chaque année, la viticulture comme d’ailleurs l’arboriculture et la sylviculture, ont un renouvellement beaucoup plus lent. Lorsqu’un vigneron choisit un cépage et le plante, il doit faire avec pendant vingt ans, trente ans même. C’est un choix très fort. Il ne faut pas se tromper et la marge de manœuvre est d’autant moindre qu’on s’attend à des changements climatiques dans les années à venir. En ce sens-là, oui, on peut considérer que la viticulture est plus exposée au changement climatique.

A combien évalue-t-on le nombre de cépages existants dans le monde ?

Le Centre de ressources biologiques de la vigne de Vassal-Montpellier, recense environ 2.700 cépages issus de 54 pays. C’est le plus grand conservatoire au monde, mais il y en a d’autres répartis aux quatre coins du globe si bien qu’on évalue entre 6.000 et 10.000 le nombre de cépages au total. Dans le lot, il y a 1.100 variétés de raisin de cuve - destinées à faire du vin - cultivées aujourd’hui. Or, à l’échelle mondiale, les viticulteurs n’utilisent qu’une très faible proportion de cette diversité génétique existante. Douze cépages sur les 1.100 variétés de raisins de cuve cultivées aujourd’hui occupent environ 45 % des vignobles dans le monde. Cette concentration est plus forte encore dans certains pays. La Chine, par exemple. Au rythme où il est parti, le pays devrait devenir d’ici quelques années le premier producteur de raisins de cuve, passant devant la France et l’Espagne, respectivement deuxième et premier aujourd’hui. Or, en Chine, 75 % des surfaces ne sont cultivées qu’avec un seul cépage : le Cabernet Sauvignon. La Nouvelle-Zélande a également construit son vignoble autour d’un seul cépage : le sauvignon blanc.

Et en France ?

En France, nous avons environ 200 variétés inscrites au catalogue, c’est-à-dire que les viticulteurs ont le droit de cultiver. C’est moins que l’Italie qui détient le record avec 300 variétés au catalogue. Mais 200 variétés, ce n’est déjà pas si mal. sauf qu’une nouvelle fois, cette diversité ne se retrouve pas dans les champs. En France, une vingtaine de variétés couvrent 80 voire 90 % de la surface globale cultivée.

Comment expliquer que ces douze cépages se soient autant imposés ?

D’abord parce que ces cépages, très connus et pour la plupart d’origine française, sont très qualitatifs. Au fil du temps, les vignerons des régions traditionnelles du vin, là où l’on trouve de la vigne naturellement, ont sélectionné les meilleurs cépages. Les mieux adaptés à leur région, ceux qui donnaient les productions les plus stables et les vins les plus intéressants. Voilà pourquoi on a historiquement du pinot ou du chardonnay en Bourgogne, du cabernet sauvignon dans la région bordelaise, du grenache en Côtes-du-Rhône… La viticulture s’est depuis mondialisée et les nouveaux pays producteurs ont repris les cépages du Vieux-monde avec l’objectif de faire des vins de même qualité et de répondre aux marchés. Si la Nouvelle-Zélande ne plante que du sauvignon blanc, c’est aussi parce que les Anglo-saxons en sont très friands.

Quel est le risque alors de ce manque de diversité ?

Dans un contexte d’incertitudes climatiques, le risque est de planter un seul cépage qui, dix ans plus tard, se révélera finalement inadapté aux nouvelles conditions météorologiques. Dans notre étude, nous ne disons pas qu’il y a aujourd’hui des cépages qui sont plantés au mauvais endroit. Nous affirmons en revanche que nous sous-explorons le potentiel génétique de la vigne. Or, parmi les 1.100 cépages cultivés, certains d’entre eux sont mieux adaptés à des climats plus chauds et ont de meilleurs comportements face à la sécheresse que les douze cépages les plus utilisés au monde. Il est important de mieux les connaître et de continuer de les expérimenter à travers le monde.

Vous évoquez également les consommateurs et le rôle qu’ils doivent jouer pour favoriser cette diversification…

En construisant un modèle de consommation du vin à partir seulement d’une poignée de cépages, on enlève aux consommateurs la possibilité de découvrir de nouvelles saveurs. C’est dommage, on ferme les esprits plutôt que de les ouvrir. Pourtant, la viticulture a cette chance : les variétés ont encore un sens. « Merlot », « pinot », « cabernet » sont des noms qui parlent à la plupart des gens. D’autres espèces, comme la banane, le cacao, ou le kiwi, ont aussi été développées sur un tout petit nombre de variétés. On ne s’en rend plus compte aujourd’hui. Vous dites « j’ai mangé une banane », point. Vous ne précisez jamais l’espèce. C’est regrettable parce que les producteurs s’enlèvent des marges de manœuvres. Imaginez qu’un cépage auquel on a habitué les consommateurs se retrouve un jour inadapté à une région parce que le climat y a changé. Les viticulteurs concernés pourront-ils facilement en imposer un autre sur le marché ? Voilà pourquoi il faut entretenir cette diversité et voilà pourquoi le consommateur doit être prêt à déguster de nouveaux vins.