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Péage urbain inversé: Et si les automobilistes étaient payés pour lâcher leurs voitures?

TRANSPORTPlusieurs villes des Pays-Bas expérimentent déjà cette solution pour lutter contre les bouchons. En France, l’idée fait aussi son chemin: la Métropole européenne de Lille (MEL) veut mettre en place un péage urbain inversé dès fin 2018…
La métropole européenne de Lille songe à instaurer, fin 2018, un péage urbain inversé pour décharger les axes routiers congestionnées. Les automobilistes volontaires seraient alors rémunérés pour lâcher leurs voitures.
La métropole européenne de Lille songe à instaurer, fin 2018, un péage urbain inversé pour décharger les axes routiers congestionnées. Les automobilistes volontaires seraient alors rémunérés pour lâcher leurs voitures. - M.Libert/20 Minutes
Fabrice Pouliquen

Fabrice Pouliquen

L'essentiel

  • Le péage urbain inversé consiste à rémunérer les automobilistes volontaires, et identifiés comme empruntant régulièrement des axes surchargés aux heures de pointe, pour qu’ils optent pour d’autres solutions : télétravail, transports en commun ou horaires décalés…
  • Aux Pays-Bas, plusieurs villes appliquent déjà cette solution, dont Rotterdam où les volontaires sont rémunérés 3 euros par trajet évité, le temps de l’expérimentation.
  • En France, l’idée fait son chemin mais se heurte à une difficulté : comment recruter les automobilistes volontaires sans enfreindre leur liberté individuelle ?

Depuis 2007 et le Grenelle de l’Environnement, les métropoles de plus de 300.000 habitants ont la possibilité de mettre en place des péages urbains pour décharger leurs centres-villes et inciter à l’utilisation de modes de transports plus doux. Mais aucune encore ne s'y est risquée, notamment par crainte de froisser un trop grand nombre d'administrés.

Une idée qui fait son chemin en France

Si alors on inversait le procédé ? Autrement dit, et si on rémunérait les automobilistes, identifiés comme prenant habituellement des axes surchargés et à des heures de pointe, pour qu’ils changent leurs habitudes ? « Trois options s’offriraient alors à eux, liste Mathieu Chassignet, chef du projet Ecobonus mobilité à la Métropole européenne de Lille (MEL). Utiliser un autre moyen de transport tel que les transports collectifs, le vélo ou le covoiturage, décaler leurs trajets en partant avant 7h ou après 9h, ou télétravailler tout simplement. »

Cette idée d’un « péage inversé », appelé aussi parfois « péage positif » fait peu à peu son chemin en France. Alain Juppé, maire de Bordeaux, s’y est dit intéressé, le 24 novembre dernier, lors de la présentation de son plan pour lutter contre la congestion automobile. La Société du Grand Paris y songe aussi avec son dispositif « chasseur de bouchon » grâce auquel elle compte compenser la hausse des bouchons provoquée par les travaux de construction des nouvelles lignes du Grand Paris.

L’exemple de Rotterdam en tête

Mais c’est dans la métropole lilloise que le projet semble le plus avancé. La MEL planche sur l’« Ecobonus mobilité » depuis 2015 et espère le voir instauré d’ici fin 2018. « Nous voulons nous positionner comme un démonstrateur national », souffle Mathieu Chassignet. Lille n’est certes pas sur le podium des villes les plus embouteillées de France (Marseille, Paris, Bordeaux), mais l’agglomération n’est pas pour autant épargnée par les bouchons. Et puis, en faisant quelques kilomètres plus au nord, on tombe rapidement sur les Pays-Bas, où le péage urbain inversé n’a plus rien d’extraordinaire.

Une dizaine d’agglomérations en sont dotées. « L’exemple emblématique, c’est Rotterdam (634.000 habitants), indique Mathieu Chassignet. Le péage inversé y existe depuis 2014. Il se déroule par périodes successives qui ciblent différentes zones de l’agglomération et impliquent jusqu’à 12.000 participants. » Les retours sont positifs : Rotterdam assure éviter jusqu’à 5.000 trajets aux heures de pointe par jour en moyenne sur les axes ciblés. Les automobilistes volontaires, eux, touchent 3 euros par trajet évité.

Le montant n’est pas encore arrêté, mais la MEL devrait mettre en place une tarification similaire. « Elle permet à l’automobiliste qui joue le jeu tous les jours, à raison de deux trajets évités aux heures de pointe, de gagner une centaine d’euros par mois », évalue Mathieu Chassignet.

3 euros par trajets évités… mais pas à vie

Pas négligeable donc, mais ne vous emballez pas trop non plus : la rémunération est limitée dans le temps. Entre 12 et 18 mois. La MEL fait alors le pari que cette durée soit suffisante pour convaincre les automobilistes d’adopter définitivement leurs nouvelles mobilités.

« Les 3 euros par trajet évité sont juste un coup de pouce pour casser la routine, poursuit Mathieu Chassignet. A Rotterdam, ils ont constaté qu’entre 50 et 80 % des anciens participants conservaient leurs nouvelles habitudes une fois la rémunération arrêtée. »

La MEL voudrait commencer l’expérimentation par la partie sud de la métropole, traversée par les autoroutes A1 et A23 particulièrement encombrées. Cette première phase nécessiterait de recruter 6.000 automobilistes volontaires.

C’est alors tout le problème : comment identifie-t-on les automobilistes qui ont réellement pour habitude de prendre des axes surchargés aux heures de pointe ? Et, par extension, comment s’assure-t-on ensuite que les participants respectent les engagements pris ?

La Lapi (Lecture automatique de plaques d’immatriculation) est une réponse techniquement efficace à ces deux questions. Le dispositif est déjà utilisé en France et ailleurs pour repérer les voitures volées ou lutter contre les excès de vitesse. « Il permettrait aussi d’identifier avec précision les automobilistes qui empruntent le plus souvent les axes surchargés, puis de s’assurer qu’ils ne prennent plus ces voies une fois l’expérimentation démarrée », explique Mathieu Chassignet.

Un recrutement des volontaires qui pose problème en France

C’est ainsi que ça marche aux Pays-Bas. Mais en France, cette collecte de données personnelles se heurte à la loi du 6 janvier 1978 relative à l’informatique et aux libertés. L’usage du système Lapi reste possible pour le suivi de l’expérimentation, une fois obtenu l’accord des automobilistes volontaires. Mais pour le recrutement de ces derniers, le Conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD), dans un rapport publié mi-octobre, invite la MEL à plancher sur une autre solution pour obtenir l’autorisation de la Cnil (Commission nationale de l’informatique et des libertés).

Le rapport préconise alors une vaste campagne de communication. Mais le processus est plus long et pose le problème des candidatures d’opportunité. Pour y remédier, le CGEDD préconise une période de test des volontaires, sur ou plusieurs mois, et au cours de laquelle ils démontreront qu’« ils sont des usagers habituels des tronçons routiers aux heures d’encombrement. »

« Eviter la construction de nouvelles routes »

La métropole lilloise est toujours en pleine réflexion sur ce point. « C’est une étape à franchir, reconnaît Mathieu Chassignet. Des contacts ont été pris avec la Cnil pour trouver la meilleure solution. » Mais pas question d’abandonner pour autant. « Le péage urbain inversé nous permettrait d’éviter 2.500 trajets par jour et d’espérer une baisse du trafic de 6 % en heure de pointe sur les axes ciblés, poursuit le chef du projet Ecobonus mobilité. C’est suffisant pour que les effets sur la fluidité du trafic se fassent sentir. »

Au-delà du confort des automobilistes, le péage urbain inversé a aussi une vocation écologique. Déjà en incitant à des modes de transport plus doux. A Rotterdam, 30 % des automobilistes volontaires avaient opté pour les transports en commun, le covoiturage ou le vélo au cours de l’expérimentation.

Mathieu Chassignet voit aussi une autre dimension : « En optimisant une infrastructure existante, on évite de construire de nouvelles routes, ce qui est loin d’être négligeable pour l’environnement. »

Le risque de rester à la simple récompense

Nicolas Louvet, directeur de 6-t, un bureau d'études spécialiste des questions de mobilité, est plus dubitatif : « Sur les comportements de mobilité, on se rend compte que les gens ne sont pas toujours sensibles à la question du prix, ni même au temps passé. Bien souvent, ils prennent la voiture parce qu’ils aiment ça, tout simplement. » « Voilà pourquoi cette première expérience lilloise est intéressante, poursuit-il. Du moins à condition qu’elle soit suivie d’un vrai protocole d’évaluation précis pour bien mesurer l’impact de la mesure sur le trafic routier. »

S'il échoue à changer durablement les habitudes des participants, alors ce péage urbain inversé en restera à la «simple récompense». Ce n’est pas grave en soi, mais le dispositif pose alors une question presque éthique. « Pourquoi rémunérer des automobilistes qui acceptent de se passer de leur voiture alors que d’autres le font depuis longtemps déjà ? », questionne Nicolas Louvet.